Ukraine: un autre émergent en feu

par Sylwia Hubar, économiste chez Natixis

La crise politique et le trouble social en Ukraine sont en train de peser sur les perspectives économiques et la stabilité financière du pays. Cela pourrait conduire à un défaut souverain avec un risque de contagion vers les économies de l’Europe de l’Est. Après une courte période de rally suite à l’introduction du contrôle des capitaux et une dévaluation du taux de change officiel le 7 février, les marchés financiers du pays se dégradent à nouveau.

Le trouble social s’intensifie après que la Russie ait donné son aval de reprise du soutien financier le 17 février. Cependant les premières manifestations anti- gouvernementales ont commencé en novembre 2013 suite à l’échec de l’Europe de convaincre l’Ukraine de signer un accord d’association – ce qui signifie pour l’Ukraine davantage de coopération avec la Russie, son principal partenaire commercial. Les achats d’énergie en Russie représentent 69% des importations énergétiques de l’Ukraine (la Russie approvisionne 87% de gaz naturel que l’Ukraine importe). De plus des usages non efficients, conséquence d’importantes subventions de gaz et d’électricité aux ménages et de faibles incitations à améliorer l’efficacité énergétique, aggravent la dépendance énergétique du pays vis-à-vis des importations en provenance de la Russie.

Par ailleurs l’Ukraine continue de s’opposer aux conditions du FMI concernant la réduction des subventions énergétiques à l’approche de l’élection présidentielle de 2015, le pays a donc besoin de se tourner vers le soutien financier de la Russie qui garantit à l’Ukraine un prêt de 15 milliards de dollars. Parallèlement, la Russie pourrait augmenter le prix du gaz ou interrompre son approvisionnement et demander le remboursement des prêts allant à 30 milliards de dollars, la Russie a déjà menacé l’Ukraine si elle s’approchait de l’Union européenne.

Enfin la Russie pourrait de nouveau introduire des restrictions aux importations en provenance de l’Ukraine qui représentent un quart des exportations de cette dernière.

La situation économique et la capacité de financement du pays s'aggravent de plus en plus. La faible demande extérieure et la compétitivité dégradée (en raison de la Hryvnia surévaluée) ont pesé sur le solde courant du pays qui s'est de nouveau détérioré pour atteindre -12,2 % du PIB au 3ème trimestre 2013 (contre -5,4% au T2). Ne pouvant pas compter uniquement sur les capitaux étrangers, l’Ukraine a dû utiliser ses réserves de change afin de financer ses déséquilibres extérieurs. Couplé au maintien du taux de change fixe cela a pesé sur les réserves internationales du pays qui ont chuté à 17,8Md$ en janvier et couvrent désormais seulement 2,8 mois d'importations, alors que le ratio de la dette à court terme sur les réserves brutes a atteint un sommet de 160,6 % au T3 2013.

En outre, l'économie ukrainienne a enregistré cinq trimestres consécutifs de récession (le PIB à baissé de 1,3% en GA au T3), impactée par l’atonie des exportations en acier, qui représentent 25% des exportations totales du pays et par l'effondrement de la production industrielle. Bien que la consommation privée soutenue par un revenu disponible élevé (grâce à des subventions énergétiques aux ménages) continue d'être robuste et d'atténuer la contraction du PIB, nous nous attendons à une croissance moins vigoureuse des dépenses des ménages à la fin de 2013 et au début de 2014. En effet, le mécontentement à propos des liens trop étroits du pays avec la Russie et les décisions myopes des autorités ukrainiennes ont certainement freiné la consommation et les dépenses des entreprises ainsi que le crédit au secteur privé. Enfin, la situation politique et économique instable continue à dégrader la confiance des investisseurs en pesant sur le coût de la dette, les actions et la monnaie. Les taux des obligations souveraines libellées en dollars ont grimpé à 19,4% pour les obligations à 2 ans et à 11,4% pour les obligations à 10 ans, alors que le taux CDS à 5 ans est passé à 1355bps (au 20 février). Cependant, avec le besoin de financer 33,4Md$ de dette jusqu'à la fin de 2016, cette remontée brutale des coûts du service de la dette publique augmente la probabilité du défaut de l’Ukraine.

Au total, la hausse du coût d’endettement, la réduction des réserves de change et la chute des entrées de capitaux étrangers exacerbent la situation financière du pays alors qu’une Hryvnia surévaluée, une production industrielle effondrée et des importations d’énergies importantes affaiblissent la croissance économique et minent une éventuelle réduction du déficit courant. Le trouble social et la violence semblent conduire le pays vers un défaut souverain, puisque les investisseurs sont en train de quitter massivement l’Ukraine, sachant que l’accord du prêt par la Russie a encore une fois été repoussé au moins jusqu’à vendredi 21 février.

Le défaut du pays aura des impacts directs et indirects sur les économies voisines puisque les investisseurs étrangers pourraient diminuer substantiellement leur exposition à l’ensemble de l’Europe de l’Est. Les changes et les taux souverains de la Pologne, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Russie ont tous enregistré un choc négatif tout comme les données financières de l’Ukraine le 20 février quand les conflits entre la police et les manifestants se sont intensifiés. Les taux souverains 10 ans ont grimpé à 6,2% pour la Hongrie, 5,55% pour la Roumanie, 4,69% pour la Russie et 4,56% pour la Pologne hier ; et leurs devises se sont dépréciées : EUR/HUF à 314,9, EUR/RON à 4,55, USD/RUB à 35,9 et EUR/PLN à 4,19.

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