Ralentissement dans les pays émergents : à qui « profite le crime » ?

par Christophe Morel, Chef Economiste de Groupama AM

Les tensions financières dans les pays émergents résultent d’une combinaison de trois facteurs :

• L’évolution de la politique monétaire américaine avec le ralentissement des achats d’actifs par la Fed a provoqué une réappréciation générale du risque, et ainsi, un reflux de liquidités des pays émergents les plus à risque.

• Le ralentissement de la croissance chinoise a alimenté la baisse du prix des matières premières industrielles, particulièrement pénalisante pour les pays producteurs et exportateurs de ces matières premières.

• Enfin, l’accumulation de déséquilibres macroéconomiques dans certains pays est devenue moins acceptable au fur et à mesure que l’on prenait conscience des limites intrinsèques de certains « modèles » de croissance (investissement trop élevé en Chine ou au contraire, investissement insuffisant en Inde et au Brésil). 
Une crise de « certains » pays émergents plutôt qu’une crise « des » pays émergents 
2014 tient ses promesses en marquant bien le retour du risque spécifique. La zone émergente n’est évidemment pas homogène, et il y autant de situations que de pays. Pour autant, on peut distinguer trois groupes :

• D’abord la Chine, qui constitue un groupe à elle-seule. Le pays est fermé (notamment sur le plan financier), il subit son propre ralentissement ainsi que les limites de son ancien modèle de croissance trop centré sur l’investissement et l’industrie lourde. Cela induit un risque financier élevé que nous considérons toutefois sous contrôle parce que la Chine n’a pas de dette extérieure et dispose de ressources financières importantes.

• Le deuxième groupe comporte des pays émergents « sains », n’ayant pas accumulé d’excès et de déséquilibre externe tels que les ex « dragons asiatiques », l’Europe Centrale ou le Mexique. Ils sont souvent spécialisés dans l’industrie et certains d’entre eux font partie des principaux sites de production des économies développées. Leur compétitivité est souvent bonne, leur équilibre macroéconomique leur a permis de baisser les taux, et ils sont très ouverts au commerce international si bien qu’ils devraient profiter de la reprise conjoncturelle dans les économies développées.

• Enfin, il y a le groupe des pays ayant accumulé des déficits externes, et plutôt fermés au commerce international. On y trouve quelques « gros » émergents tels que la Turquie, le Brésil, l’Inde, la Russie, l’Indonésie ou encore l’Afrique du Sud (les BRICs hors Chine au final). Les exportations de matières premières ont souvent joué un rôle clé dans leur dynamique de croissance, et leur industrie est peu compétitive et se maintient grâce à des mesures protectionnistes.

Ces pays sont plutôt « fermés » si bien qu’ils ne profiteront pas pleinement de l’amélioration du commerce mondial. Ils pâtissent du cours déprimé des matières premières (moindre demande de la Chine) et connaissent une pression baissière sur leur devise qui les conduit à relever leur taux pour juguler l’inflation importée. Pour ces pays, le couple « Croissance/Inflation » va continuer de se détériorer ne permettant aucune complaisance à leur égard. De ce point de vue, la situation de la Russie exige une surveillance toute particulière, en tout cas très liée à l’évolution du prix du pétrole. Au total, le mouvement sur les émergents n’est pas systématique et concerne, pour l’essentiel, les pays du troisième groupe.

A qui profite les tensions financières dans les émergents ?

A ce stade, le ralentissement dans les pays émergents ne nous conduit pas à réviser en baisse notre perspective de croissance mondiale, et ce pour deux raisons :

• D’abord – et pour mémoire – notre scénario économique intégrait déjà largement une détérioration du couple « Croissance/Inflation » dans certains pays émergents et son implication dans le commerce mondial.

• Ensuite, le mécanisme de transmission via les échanges extérieurs devrait avoir un impact limité si l’on sait que les émergents représentent 4 à 8% des exportations totales des principaux pays développés. 
Au-delà de l’impact « volume », cette crise de « certains » pays émergents devrait se traduire par une poursuite de la volatilité sur le marché des changes. Ces mouvements de devises – qui traduisent un mouvement de prix relatif – devraient provoquer un transfert de richesses, en particulier un transfert du consommateur « émergent » qui supporte l’inflation au profit … du consommateur « développé » qui bénéficie d’une désinflation importée.