Et si la BCE créait la surprise ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis son dernier conseil des gouverneurs, au cours duquel la BCE a ouvert la porte à d’éventuelles nouvelles actions, les avis divergent sur ce que va finalement faire la BCE jeudi 6 mars. M. Draghi avait mis en avant deux facteurs susceptibles de faire bouger la BCE, des tensions persistantes sur les marchés monétaires et/ou une augmentation du risque déflationniste. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Concernant les marchés monétaires, les tensions se sont quelque peu apaisées comparé à janvier mais l’eonia reste sensiblement supérieur au niveau de 2013 (0,15% sur février vs 0,08% à l’automne dernier). En revanche, les anticipations se sont modifiées depuis le dernier conseil avec la baisse des eonias forward suggérant que les marchés croient à une baisse du refi cette année (même s’ils ont corrigé juste après la publication du chiffre d’inflation le 28/02). Ainsi, l’atténuation des tensions peut être en partie imputable au changement de ton de la BCE et la déception pourrait être grande en cas d’inaction. La liquidité excédentaire a continué de diminuer en février, elle se montait à environ 120Md€ en fin de mois.

L’appréhension du risque déflationniste est plus complexe et fait intervenir une multitude de facteurs.

  • Le news flow macroéconomique a été négatif en février avec des surprises notamment sur les productions industrielles et les ventes au détail de la zone euro et le ZEW allemand. Certes, les PIB du T4-2013 ont été plutôt positifs mais il n’y a pas d’amélioration de la dynamique sur les deux premiers mois de l’année 2014. Les enquêtes PMI ont plutôt tendance à montrer un léger tassement des perspectives.
  • Les statistiques de crédit continuent de refléter le désendettement des agents privés, à un rythme toutefois un peu moins marqué notamment du côté des entreprises espagnoles. Les taux pratiqués à l’économie réelle restent encore très élevés en Espagne et en Italie reflétant la persistance d’une fragmentation des marchés dans la zone euro.
  • Après la légère révision du chiffre de janvier (de 0,7% à 0,8%), l’inflation de la zone euro est restée inchangée en février à 0,8%. La publication des premiers chiffres nationaux révèlent une baisse en Espagne où l’inflation est maintenant nulle mais également en Allemagne (à 1,0% sur le chiffre harmonisé). Ainsi, le ralentissement des prix est généralisé aux pays de la zone euro même ceux où la situation n’est pas si mauvaise.
  • Si l’euro s’était quelque peu déprécié début février, il s’est redressé au cours du mois (1,38 le 28) et reste à des niveaux trop élevés. Non seulement cela n’aide pas les entreprises européennes à regagner en compétitivité mais cela renforce la désinflation déjà en cours.
  • Malgré la baisse des anticipations d’inflation de court terme (qui sont en général corrélées à l’inflation courante), celles à plus long terme restent relativement bien ancrées mais montrent cependant un début de tassement.

Tous ces facteurs vont-ils pousser la BCE à baisser le refi jeudi prochain ? La BCE a déjà mis en avant à plusieurs reprises que l’inflation allait rester sensiblement sous son objectif de 2% pendant longtemps et que l’important était que cette faiblesse de l’inflation courante ne se transmette pas aux anticipations d’inflation. A ce titre, la première publication de sa prévision d’inflation de 2016 sera primordiale. A court terme, le principal argument contre une baisse du refi serait de garder cette marge de manœuvre en cas de choc plus marqué sur l’économie ou sur les marchés… Mais cet argument nous apparaît quelque peu fallacieux dans la mesure où tout assouplissement supplémentaire diminue la probabilité de l’occurrence d’une telle dégradation. Elle pourrait préférer des mesures visant à libérer des liquidités pour maintenir l’eonia à un niveau plus faible (baisse de la stérilisation du SMP, baisse du taux de réserves obligatoires) mais une baisse du refi serait probablement plus efficace dans la mesure où non seulement elle permet en théorie de capper l’eonia mais diminue effectivement le coût du financement des banques à la BCE. Rappelons que les banques espagnoles avaient encore 188Md€ de financement BCE fin janvier et les banques italiennes 224Md€. Une baisse de 15pb n’est pas complètement neutre pour ces systèmes bancaires qui sont en train de s’ajuster.

Dans son dernier discours du 27 février, M. Draghi ne donne aucun signe d’une baisse imminente des taux mais rappelons que depuis son arrivée, il a, à plusieurs reprises, créé la surprise. Ainsi, une baisse de taux, accompagnée de nouvelles mesures sur la liquidité, ne nous semblent pas totalement exclues. Si elles peuvent donner un peu d’air, elles ne seront de toute façon pas suffisantes pour contrer la déflation. Ainsi, en cas de matérialisation de ce risque, ce sont d’autres types d’instrument que la BCE serait finalement obligée d’utiliser (hausse de la taille du bilan).

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