par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
L’euro a atteint de nouveaux sommets contre dollar à presque 1,40, poursuivant son mouvement d’appréciation quasi- continu depuis l’annonce faite par M. Draghi en juillet 2012 que la BCE ferait tout ce qui est en son pouvoir pour préserver l’euro. A cette époque où la crise des dettes souveraines battait son plein et où les craintes d’un éventuel éclatement de l’euro s’étaient intensifiées, l’euro se situait à 1,21, un niveau pas si bas pour une devise en pleine crise. Alors que la différence de dynamique de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro nous faisait penser que le dollar allait s’apprécier contre euro en 2013, l’euro a finalement continué sa progression l’année dernière et début 2014. Comment expliquer cette évolution ?
Au-delà du regain de confiance des investisseurs dans la zone euro, qui est visible notamment par leur retour sur les dettes périphériques et également sur les marchés par des positions longues sur l’euro, l’évolution des balances courantes, qui constitue en théorie le principal déterminant des taux de change, a favorisé l’appréciation de l’euro. En effet, à peu près à l’équilibre en 2010-2011, le solde courant de la zone euro est devenu excédentaire en 2012 (1,3% du PIB) et a continué à augmenter en 2013 pour représenter 2,2% du PIB. Les ajustements macroéconomiques dans les pays périphériques qui avaient d’importants déficits courants ont conduit à un rééquilibrage de leurs comptes courants mais sans impact sur les pays du Nord de la zone euro. En d’autres termes, il n’y a pas eu de vases communicants entre les pays de la zone euro ce qui a conduit à une hausse de l’excédent courant de l’ensemble de la zone. Cet ajustement s’est en grande partie opéré par la baisse de la demande intérieure et beaucoup plus marginalement par l’amélioration de la compétitivité des pays. Or c’est l’inverse qui serait souhaitable. Enfin, la différence de politiques monétaires entre les Etats-Unis et la zone euro a également favorisé la monnaie unique, la Fed augmentant son bilan de 1130Md$ en 2013 alors que la BCE voyait le sien se contracter de 730Md€ en raison des remboursements de VLTRO par les banques. Le dollar a aussi été pénalisé par une succession de facteurs dont le shutdown en fin d’année dernière, et la dégradation de l’activité américaine depuis le début de l’année, suite aux mauvaises conditions météorologiques.
Quels seraient les bienfaits d’une dépréciation de l’euro aujourd’hui ?
Le principal avantage d’une dépréciation du taux de change est le gain de compétitivité induit pour les entreprises exportatrices. Or certains pays de la zone euro ont perdu d’importantes parts de marché au cours de la dernière décennie. Même si la compétitivité prix n’est pas la seule raison expliquant cette dégradation (niveau de gamme, innovation,…), l’appréciation du taux de change reste malgré tout un handicap important. Par ailleurs, la dépréciation de l’euro pourrait bénéficier davantage aux pays de la zone euro qui ont aujourd’hui le plus besoin d’être dynamisé avec des élasticités prix des exportations plus importantes en Espagne, en France et en Italie qu’en Allemagne par exemple. D’autant plus que les marges de manœuvre de la politique budgétaire restent contraintes.
Le principal inconvénient de la dépréciation du taux de change est la perte de revenu national liée à la dégradation des termes de l’échange qui implique une hausse des prix des produits importés et en corollaire une hausse des prix à la consommation (dont l’ampleur dépend du comportement des entreprises dans la transmission de cette hausse). Dans le contexte actuel de grande faiblesse de l’inflation et de risque de déflation dans la zone euro, cet inconvénient pourrait finalement se transformer en atout…
Qu’est ce qui pourrait provoquer une dépréciation durable et significative de l’euro ?
- Du côté américain, une très nette amélioration de la conjoncture avec notamment la poursuite de la baisse du taux de chômage qui modifierait la vision et la communication de la Fed provoquant une anticipation de resserrement plus précoce de la politique monétaire que ce qui est actuellement attendu.
- Du côté européen, 1/ la matérialisation du risque déflationniste ou des mauvaises nouvelles ressortant de la revue des bilans bancaires qui conduirait la BCE à mettre en place des politiques beaucoup plus agressives en augmentant la taille de son bilan pour tenter de lutter contre la déflation 2/ Une réduction de l’excédent courant européen, avec par exemple une demande intérieure plus dynamique en Allemagne. 3/ Une dégradation du climat politique en Europe avec les élections européennes qui raviverait les craintes sur la cohésion de la zone euro.
Il nous semble qu’en l’absence de changement significatif sur les politiques monétaires américaine et européenne, la dépréciation de l’euro devrait rester modérée cette année et ce en dépit de dynamiques de croissance différentes.