par Jean-Marie Mercadal, Directeur de la gestion chez OFI AM
Notre comité trimestriel d’allocation d’actifs diffuse un message positif vis-à-vis des actions, depuis l’été 2012. Nous devenons désormais plus prudents à court terme pour deux raisons principales : il n’y a plus de décote de valorisation et les risques augmentent ( réalité de la reprise économique, risques géopolitiques, de ralentissement en Chine… ) Les marchés semblent donc mûrs pour des phases plus volatiles… Il faudra en profiter !
Depuis le point bas atteint par les indices boursiers il y a 5 ans presque jour pour jour, la progression a été spectaculaire : les actions américaines ont presque triplé, les actions européennes ont regagné 145%, soit dans les deux cas beaucoup plus que la progression des bénéfices des entreprises constatée sur la même période. Une phase d’observation semble donc s’imposer, d’autant qu’un certain nombre de clignotants se sont concomitamment allumés ces dernières semaines : foyers de discordes géopolitiques un peu partout dans le monde émergent (de surcroît en ralentissement) : Russie/Ukraine bien sûr, mais aussi quelques tensions en mer de Chine à propos de la territorialité de quelques îles, tensions en Thaïlande, Vénézuela, Turquie, Égypte… Par ailleurs, la Chine inquiète actuellement: baisse soudaine et inattendue du Yuan, non soutien systématique des autorités aux entreprises trop endettées, créances douteuses impliquées dans le « Shadow Banking »…
Au final, la question de l’ampleur du ralentissement chinois se pose sérieusement et les marchés doutent de l’objectif de 7% de croissance. Un trou d’air de la Chine serait très dommageable à l’ensemble de l’économie mondiale…
Par ailleurs, sur le plan boursier, de plus en plus de stratèges s’inquiètent de la valorisation excessive de certains segments de marché, comme les valeurs des « réseaux sociaux » par exemple qui capitalisent de façon excessive leurs maigres bénéfices actuels (exemple de Twitter, avec un PER de 500 sur les résultats 2013 !) et qui rappelle une histoire déjà vue… D’autres font également remarquer que le PER Schiller de la Bourse américaine (ajusté du cycle) a dépassé 25, un niveau seulement dépassé à 3 reprises : en 1929, 2000 et 2007… D’un point de vue purement technique, une étude récente américaine réalisée par « Investor Intelligence » montre que la proportion d’investisseurs « bears » est la plus faible depuis 1987 alors qu’il n’y a pas eu de correction de Wall Street de plus de 10% depuis près de 2 ans…
Enfin, les mois de mars ont souvent marqué des points de retournement ces dernières années : mars 2000, 2003, 2009 !
Bref, tout ceci nous semble de nature à adopter une stratégie d’investissement plus prudente à court terme.
Ceci-dit, il est difficile d’être complètement négatif car la croissance mondiale semble s’améliorer, les taux sont bas et les entre- prises sont dans l’ensemble efficaces.
Economie internationale : en amélioration, mais est-ce durable ?
Par rapport à notre dernier comité (11 décembre 2013), les conditions générales n’ont pas beau- coup changé : la croissance mondiale est attendue en progression de 3,4% en 2014 contre 2,9% en 2013, avec une amélioration aux États-Unis et en Europe (+1% prévu en zone Euro). Mais la probabilité de réalisation de ce scénario a baissé avec la crainte d’un fort ralentissement en Chine et dans les pays émergents, qui représentent aujourd’hui près de 40% du PIB mondial. Par ailleurs, l’hiver inhabituellement froid aux États-Unis a faussé les statistiques : les indicateurs avancés suggèrent un ralentissement, mais est-il seulement imputable aux conditions météo ?
Taux d’intérêt : pas de changement de stratégie des Banques Centrales.
Aux USA, la transition entre Ben Bernanke et Janet Yellen s’est faite en douceur et les marchés n’ont pas été surpris : le tapering est conforme aux attentes et aucune hausse des taux monétaires n’est attendue avant mi-2015 : le taux de chômage s’approche certes de 6,5% mais l’inflation est nettement en-dessous de la cible de 2% donnée par la Fed. La BCE n’a aucune raison également de modifier ses taux directeurs car la reprise est modeste et les derniers chiffres d’inflation sont très (trop?) bas. Dans ces conditions, le reste de l’année 2014 sera très certainement marqué par des taux monétaires encore quasi–nuls. Notre scénario de remontée progressive des taux longs obligataires a été «challengé» depuis le début de l’année : les taux ont baissé ! Nous maintenons notre scénario de remontée très progressive des rendements obligataires (objectifs de 3.5% et 2.3% sur les 10 ans US et allemands), en liaison avec la phase de reprise économique généralisée qui est prévue et que les investisseurs prendront tôt ou tard en considération.
Crédit/High Yield : trop cher, mais les flux se maintiennent…
Ces segments ne sont clairement plus attractifs. Nous avons même quelques signaux d’alerte sur le « High Yield ». Cette catégorie offre aujourd’hui un profil « risk/reward » au risque asymétrique, mais dans le mauvais sens. Aux États-Unis, le rendement moyen du gisement « High Yield » est à son plus bas niveau historique en-dessous de 5% (spread de 420 points de base avec les Treasuries). Ceci implique un taux de défaut de près de 2%, certes encore nettement supérieur avec celui consta- té et 0,85% à fin février ! Par ailleurs, les émissions se raréfient : 36% d’émissions en moins cette année par rapport à 2013. De même, en Europe, nos indicateurs mettent en évidence des rendements trop bas de l’ordre de 3,8% alors que les flux continuent d’affluer sur ce marché. Attention donc à de telles situations de marchés : les afflux de capitaux ont été massifs depuis 3 ans, sur des marchés naturellement moins liquides. Que se passera-t-il si jamais tout le monde veut sortir en même temps pour une raison ou une autre ?
Obligations émergentes : en rémission !
Elles ont fait l’objet d’un mouvement inverse à celui des obligations « High Yield », avec de fortes sorties de capitaux sur un marché également peu profond. En conséquence, elles présentent aujourd’hui un profil espoir de rendement/risque qui semble bien meilleur, notamment sur les dettes émises en devises fortes qui ne subissent pas les variations de devises. Le rendement de ce gisement est aujourd’hui proche de 6% contre 7,35% pour les dettes locales. Il y a probablement ici de la valeur à moyen terme, mais nous conseillons à nos investisseurs de les renforcer progressive- ment car les flux ne semblent pas encore positifs à court terme.
Obligations convertibles : leur performance dépendra aujourd’hui essentiellement de celle des actions
Le Delta du gisement américain est de près de 72%, et de l’ordre de 45% en Europe. Par ailleurs, le « crédit » est aujourd’hui assez cher, de même que les volatilités implicites, mais une sensibilité assez faible à ces 2 paramètres. Le marché primaire est correct et suffisant au renouvellement du gisement. Au final, il n’y a pas non plus de décote manifeste mais les flux restent dans l’ensemble encore bien orientés sur ce segment.
Actions : il n’y a plus de décote de valorisation mais il s’agit de la classe d’actifs la plus attractive en absolu et surtout, en comparaison des marchés de taux d’intérêts
Les valorisations des actions ont donc désormais retrouvé des niveaux « normaux », proches des moyennes historiques, voire légèrement au-dessus pour ce qui concerne les actions US : PER 2014 autour de 15 pour le S&P 500, de 13,5 pour le DJ Stoxx600, mais avec des mouvements de révision des bénéfices qui sont pour l’instant en baisse : d’après le consensus des analystes, ils sont toutefois attendus en progression de près de 9% aux États-Unis et de 11% en Europe. Somme toute, la progression des actions devrait donc cette année être entre 7 et 12% avec les dividendes (cf graphiques). Cela reste très correct. Peut-on imaginer une nouvelle phase d’expansion des PER, auquel cas les performances des actions seraient à nouveau à 2 chiffres au cours des prochaines années ? Oui, c’est possible, même si ce scénario est aléatoire. Il faudrait réunir au moins 2 conditions : une modération des taux d’intérêt (possible) et une vague d’optimisme sur un secteur ou un type de valeur de forte croissance, si possible visible !
Reste le cas des actions émergentes, où on a assisté à un découplage, mais dans le mauvais sens ! Depuis 3 ans, le différentiel de per- formance entre l’indice des actions des pays développés et celui des actions émergentes est de plus de 45%, ce qui est totalement contre- intuitif ! Que penser maintenant ? Historiquement depuis la fin des années 80 et la naissance de l’indice « MSCI Emerging », il y a toujours eu des crises, exagérées par les marchés du fait de la liquidité plus réduite. Les ajustements structurels qui ont suivi ont été rapides et efficaces. Les pays émergents dans leur ensemble sont aujourd’hui en bien meilleure situation que lors de la dernière grande crise de change des années 90 : pas (ou peu) de taux de change fixe avec le dollar, des niveaux de dettes extérieures/PIB largement inférieurs à ceux des pays développés….
La crise bancaire en Chine devrait être limitée car elle dépend en effet essentiellement de capitaux domestiques et le gouvernement aura les moyens le cas échéant de régler le problème. Enfin, les valorisations sont désormais attractives, avec une décote estimée de 30% par rap- port aux marchés développés… Bref, comme souvent en Bourse, c’est ce qui est décrié qui offre le plus grand potentiel. Mais comme souvent également, il faut être patient car il y aura beaucoup d’élections dans le monde émergent cette année, ce qui entretiendra une certaine volatilité, et donc des opportunités pour le long terme !