Zone euro, soleil levant ?

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Les perspectives de croissance n’évoluant guère aux Etats-Unis, et s’avérant moins radieuses dans les pays émergents, c’est sur la zone euro que se cristallisent, pour une fois, les principaux espoirs de rebond.

En 2013, ces derniers avaient surtout concerné le Japon. Pariant sur le succès des « Abenomics », un mixte d’hyperstimulation monétaire, de relance budgétaire et de réformes structurelles, les marchés avaient « acheté » la reprise dans l’Archipel. La Bourse de Tokyo avait bondi de 57% (Nikkei), l’activité s’était raffermie. Mais l’ampleur du déficit public (10% du PIB en 2013), ainsi que la dégradation spectaculaire des comptes extérieurs (le Japon enregistre ses premiers déficits courants depuis plus de 30 ans) ont marqué les limites de la politique de relance du gouvernement.

En avril, celui-ci n’aura pas d’autre choix que de relever la TVA (elle passera de 5% à 8%) ; la consommation, qui représente 60% du PIB et n’a été soutenue jusqu’ici que par des achats anticipés, chutera. La croissance ralentira. Nous estimons qu’elle reviendra vers 1% en 2014, contre 1,6% en 2013. Si la moyenne des prévisions établie par le « Consensus » est plus élevée, elle subit néanmoins des révisions en baisse.

Un mieux timide mais général

Concernant l’Union économique et monétaire (UEM), les anticipations résistent mieux et s’améliorent même. Elles sont, cependant, loin de verser dans l’euphorie, alors que les Dix-Huit sortent de deux années de récession et accusent un déficit d’activité considérable. Du premier trimestre 2011 au quatrième trimestre 2013, leur retard cumulé de croissance vis-à-vis des Etats-Unis atteint huit points de PIB. Le déficit d’activité par rapport au potentiel (output gap) est estimé à 3,8 points de PIB par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), à 2,7 points de PIB par le Fonds monétaire international (FMI). Si les évaluations diffèrent, elles sont, dans les deux cas, parmi les plus importantes jamais mesurés. En 2014, l’UEM ne remonterait la pente que lentement. Sa croissance s’établirait à 1,4%, et serait encore inférieure à 2% en 2015. La reprise apparait donc graduelle, mais au moins ne laisse-t-elle plus de côté les pays d’Europe du sud. De fait, ces derniers ont enregistré un redressement assez marqué de leurs indices de conjoncture durant l’hiver.

En Espagne, Portugal, Grèce, les enquêtes de la Commission européenne ou encore celles menées auprès des directeurs d’achats se teintent d’optimisme. Toutes confirment le retour de l’activité en zone d’expansion. Dans ces pays, en mal de financements mais ne pouvant user de l’arme du taux de change, les politiques de «dévaluations internes» (baisse des charges, compression des dépenses publiques…) ont été rendues incontournables. Elles ont dynamisé les exportations, permis le rééquilibrage des comptes extérieurs, et attiré les investissements directs étrangers. Mais elles laissent derrière elles une demande intérieure exsangue et d’importantes capacités de production inemployées.

Eurosceptiscisme

Le début de mieux intervient donc sur un terrain économique et social dégradé. Certes, les taux de chômage ont commencé à reculer au sud de l’Europe (sauf en Italie), comme dans la moitié des pays de l’UEM. Mais ils restent à des niveaux tels (25,8% en Espagne, 15,3% au Portugal, 27,5% en Grèce) que personne ne songe vraiment à s’en réjouir. L’amélioration est encore trop timide pour être vécue comme telle par l’opinion publique. Auscultée deux fois par an à l’initiative la Commission européenne, celle-ci exprime une défiance inédite à l’égard des institutions de l’Union. Alors que les élections au Parlement interviennent fin mai, seuls 31% des Européens conservent une image positive de l’Europe. Ils étaient 57% au printemps 2007, juste avant la crise.

L’un des principaux aléas attachés au scénario économique est donc politique. Les partis eurosceptiques, en progression sensible dans les intentions de vote, pourraient doubler le nombre de leurs représentants à Strasbourg. Les dernières projections les créditent de 180 sièges, près d’un sur quatre. Mais, dispersés aux extrêmes de l’échiquier politique et porteurs de messages contradictoires, ces derniers ont peu de chance de former un groupe au Parlement. Le risque de blocage institutionnel est donc faible. Mais celui d’entraver la marche, déjà lente, du processus législatif, existe, dès lors que la formation de coalition sera rendue moins facile.

Les récentes avancées, comme l’accord européen sur le mécanisme de résolution unique, sont bienvenues dans ce contexte. Mais une complète mise en œuvre de l’union bancaire reste une perspective lointaine. En attendant, les progrès de la gouvernance, comme le retour la croissance, devront continuer d’être encouragés par une politique monétaire aussi souple que possible.

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