par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Malgré des sanctions économiques à l’encontre de la Russie qui peuvent ne pas paraître à la hauteur des enjeux politiques, les évènements récents vont avoir un impact important sur la croissance russe qui pourrait la faire basculer en récession cette année. L’économie russe a déjà fortement ralenti en 2013, en croissance de seulement 1,3% (vs 3,4% en 2012) en raison d’une décélération marquée de l’investissement et plus marginalement de la consommation des ménages.
Les événements politiques avec l’Ukraine depuis le début de l’année associés aux sanctions ont conduit à une forte aversion pour le risque vis-à-vis de la Russie avec pour conséquence environ 70Md$ de sorties de capitaux au T1 (vs 63Md$ pour l’ensemble de l’année 2013) provoquant une dépréciation du rouble de 10% et une chute de l’indice action du même ordre. Les primes de risque sur les papiers d’état ont également fortement augmenté (entre 100 et 130pb). La Banque Centrale de Russie est intervenue sur le marché des changes pour tenter de limiter les sorties de capitaux et a également augmenté les taux d’intérêt de 1,5pt début mars. Les turbulences financières récentes devraient avoir plusieurs impacts sur l’économie réelle.
La dépréciation du rouble va tirer à la hausse l’inflation qui se situe déjà à un niveau élevé (6,4% début mars) alors que la Banque centrale a un objectif de 5% pour cette année. Le pouvoir d’achat des ménages va donc s’éroder et ce d’autant plus que le marché du travail a commencé à se dégrader, malgré un taux de chômage encore faible (5,6%). Le crédit aux ménages ralentit également. Au total, les dépenses des ménages devraient se tasser cette année.
Du côté des entreprises, les conditions de financement ont déjà commencé à se durcir et le crédit aux entreprises a bien décéléré en 2013. La dégradation de la situation financière pèse sur la confiance des entreprises et devrait avoir également un impact négatif sur l’investissement. Par ailleurs, alors que les prêts aux particuliers sont principalement libellés en rouble, 23% des prêts aux entreprises le sont en devises ce qui, avec la dépréciation du change, implique une hausse de leur endettement. Enfin, l’investissement devrait également pâtir de moindres investissements étrangers.
Ainsi, les événements récents vont contribuer à accentuer deux problèmes importants auxquels doit faire face la Russie, l’inflation et la faiblesse du taux d’investissement.
Toutefois, point plus positif, la crise récente n’a que peu impacté le prix du pétrole (Ural proche de 105$ le baril) alors que son évolution est un facteur primordial pour l’économie russe (exportations, production, budget,…).
Que peut faire la Russie pour contrer ces effets négatifs ?
Faisant face aux sorties de capitaux et au risque inflationniste, les marges de manœuvre de la politique monétaire pour soutenir la croissance semblent limitées. En revanche, la Russie a des marges de manœuvre du côté de la politique budgétaire avec un déficit public qui était encore légèrement positif en 2013 (0,5%) mais qui devrait devenir négatif en 2014. De plus, la Russie a une très faible dette publique et un fonds de réserve de 87Md$. En cas de ralentissement trop marqué, le gouvernement pourrait décider de soutenir la croissance avec un stimulus fiscal. Rappelons en effet qu’au moment de la crise financière de 2008, un stimulus budgétaire important avait été mis en place conduisant à un déficit public de 5,8% en 2009.
Par ailleurs, la Russie a également des réserves de change importantes (493Md$) qui devrait lui permettre de contrer une trop forte dépréciation du rouble et une dette extérieure faible, ce qui la rend malgré tout moins vulnérable face au reste du monde. Toutefois, son excédent courant a fondu ces dernières années avec le dynamisme des importations. Il pourrait augmenter en 2014 sous l’effet du net ralentissement de la demande intérieure.
Au total, la croissance russe devrait continuer de s’affaiblir en 2014 (alors qu’une légère amélioration était attendue en début d’année) et n’être que faiblement positive. Une entrée en récession n’est pas exclue si les tensions financières persistent.
A ce stade, l’impact sur la croissance mondiale devrait rester modéré, le PIB russe ne représentant que 3% du PIB mondial. L’effet sur certains pays de l’Est qui exportent beaucoup vers la Russie pourrait être important. En revanche l’impact sur ses deux principaux partenaires, Allemagne et Chine, devrait rester limité (leurs exportations vers la Russie ne représentant respectivement que 3% et 2% de leurs exportations totales). Le risque pourrait également provenir des liens financiers entre l’Europe et la Russie1 (engagements des banques, …).
NOTES
- Cf. SR :"La Russie place l’occident au pied du mur".