BCE : La forward guidance peut-elle suffire ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Finalement, en dépit d’une nouvelle baisse de l’inflation en mars à 0,5%, la BCE a opté pour le statu quo sur les taux et n’a pas annoncé de nouvelles mesures non conventionnelles. Toutefois, le ton adopté est clairement plus dovish qu’il y a un mois. Si la BCE ne voit toujours pas un risque de déflation (les risques sur l’inflation restent toujours équilibrés), elle a, en revanche, sensiblement renforcé sa forward guidance, avec notamment les déclarations suivantes : « nous sommes résolus dans notre détermination à maintenir un haut niveau d’assouplissement monétaire et à agir rapidement si nécessaire » et « le conseil des gouverneurs est unanime dans son engagement à utiliser aussi des instruments non conventionnels dans le cadre de son mandat pour contrer les risques d’une période trop longue de faible inflation ».

La nouveauté résulte surtout dans l’unanimité du conseil qui renforce évidemment le poids de son engagement. D’ailleurs, J. Weidmann s’était exprimé la semaine précédente pour dire qu’il n’était pas opposé à un éventuel QE, révélant une évolution importante puisqu’il s’était toujours montré très réticent à l’OMT1.

Par ailleurs, lors de la conférence de presse, M. Draghi a mentionné l’importance du taux de change et a souligné que les différentes mesures conventionnelles et non conventionnelles (allocation illimitée, stérilisation SMP, QE…) avaient été discutées… en insistant sur le QE. D’ailleurs, Draghi a précisé que la BCE allait présenter, conjointement avec la BoE, un papier visant à assouplir des réglementations concernant les ABS de façon à rendre ce marché plus profond et liquide qu’il ne l’est aujourd’hui, au cas où… En d’autres termes, la BCE se tient prête, s’engage à agir mais ne le fera que si le risque déflationniste s’intensifie…

Pour certains, la communication et donc en corollaire la forward guidance ne sont que des mesures cosmétiques, opposant les paroles aux actes. Nous ne partageons pas ce point de vue. En effet, si la banque centrale est crédible, sa forward guidance doit lui permettre d’influencer les anticipations des agents. L’annonce de l’OMT en est un exemple. Lorsqu’en juillet 2012, M. Draghi a déclaré que la BCE ferait tout ce qui est en son pouvoir pour sauver l’intégrité de la zone euro, cela a modifié les anticipations des marchés, diminuant sensiblement la prime de risque payée sur les dettes périphériques, sans finalement avoir acheté un seul titre d’Etat. De plus, l’introduction d’une forward guidance explicite l’été dernier a également permis de maintenir les taux courts et longs à un faible niveau, contribuant à la décorrélation des taux euro par rapport aux taux américains. Ces deux exemples montrent que la forward guidance permet de rendre les conditions monétaires plus accommodantes.

Avec le renforcement de la forward guidance, la BCE cherche probablement à gagner du temps car le prochain chiffre d’inflation du mois d’avril devrait être un peu plus élevé que celui de mars (0,8% attendu), atténuant les pressions qui pèsent sur la BCE. Cela lui permet de garder ses cartouches de politique conventionnelle (refi, taux de dépôt) et de politiques non conventionnelles (stérilisation SMP, date de l’allocation illimitée,.) en cas de nouvelle dégradation. Toutefois, il nous semble que, plus fondamentalement en renforçant sa forward guidance, la BCE cherche à piloter les anticipations des agents et des marchés et essaie ainsi de contrer le risque déflationniste. Si malgré la baisse de l’inflation, les anticipations d’inflation restent bien ancrées n’impliquant pas de réaction des ménages et des entreprises dans leur comportement de consommation et d’investissement, l’effet sur la croissance restera modéré. De plus, si la BCE arrive à maintenir les taux à un bas niveau, voire à les faire baisser davantage dans les pays périphériques, cela sera également favorable à la croissance. C’est probablement le pari que fait la BCE. Certes, il est probable que finalement le scénario de la BCE se réalise : que la croissance reparte graduellement, que les capacités excédentaires se réduisent petit à petit atténuant les tensions désinflationnistes et permettant à l’inflation de revenir vers 1,7% fin 2016 ! Il nous semble toutefois que la BCE fait un pari risqué. Quels sont les risques ?

Que l’inflation, après le rebond lié aux effets de base, reparte à la baisse avec la poursuite des efforts de compétitivité de plusieurs pays de la zone euro (Espagne, France,…) impliquant la poursuite de la modération des salaires et la baisse des prix des biens échangés. Les prix des services pourraient également ralentir avec la modération des coûts salariaux et la déréglementation de certains secteurs. Si l’inflation repart à la baisse, l’ancrage des anticipations d’inflation deviendra très difficile sans action.

Que le deleveraging du système bancaire de la zone euro actuellement en cours soit plus coûteux pour la croissance que ce qui est actuellement anticipé. Alors que la demande de prêts de la part des agents privés s’améliore, il n’est pas sûr que certains systèmes bancaires soient dans la capacité d’y répondre étant donné les contraintes réglementaires et la nécessité d’ajustement de leur bilan.

Pour le moment, la BCE reste dans une position défensive mais c’est probablement d’une position offensive dont aurait besoin la zone euro pour sortir d’une situation dont l’équilibre semble aujourd’hui bien précaire et dans un contexte où les autres marges de politique économique restent contraintes.

NOTES

  1. OMT : Outright Monetary Transactions , programme d’achats de titres publics en cas de demande d’aide d’un pays.

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