Les modalités des stress tests bancaires ne changent pas la donne… au contraire

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

Les récents discours des banques centrales, Fed et BCE, confortent les anticipations de politiques monétaires moins hawkish que prévu (États-Unis), ou de nouveaux gestes d’assouplissement (Zone euro). Les marchés des changes ne s’y trompent pas, n’anticipant pas de mouvements marqués des politiques monétaires, et la volatilité des devises du G10 est désormais au plus bas depuis la création de l’euro.

Convergence et défragmentation financière en zone euro

Les semaines passées sont venues conforter l’optimisme des marchés sur la défragmentation financière, voire même la convergence économique en zone euro. Parmi les faits majeurs, on notera bien évidemment le retour (gagnant) du Portugal sur les marchés des capitaux, après 3 ans d’absence et de soutien externe. Certes, cela n’autorise pas à considérer que tous les problèmes sont derrière nous, mais cela démontre bien que les marchés financiers restent plus attentifs aux opportunités qu’offrent les spreads de crédit qu’à la solvabilité réelle des États. Un atout à court terme, sans nul doute, mais qui pourrait bien conduire à des excès de valorisation… qu’il faudra bien corriger à un moment donné.

L’Espagne a non seulement vu son rating relevé par Fitch (après l’avoir été récemment par Moody’s), mais la décomposition de son dernier PIB fait naître de véritables lueurs d’espoir sur la demande interne. On sait à quel point la politique d’austérité a « détruit » consommation et investissement, conduisant à une situation de déflation qu’illustre très bien la spectaculaire amélioration des comptes courants. L’Espagne n’est pas un cas isolé, mais c’est sur ces différents aspects le pays indiscutablement le plus emblématique.

La faiblesse du marché du crédit bancaire et le repli des taux d’inflation restent de véritables sujets de préoccupation (voir notre édition du mois d’avril pour une analyse détaillée des enjeux de la BCE et des mesures à venir).

Pas étonnant, dès lors, que depuis le début de l’année, les marchés d’actions européens (+4 % pour le DAX, +5,8 % pour l’IBEX, +13 % pour le MIB) surperforment États-Unis (1,6 % pour le S&P500), Japon (-13 % pour le Nikkei), Chine (- 4 % pour le Hang Seng)… À cela s’ajoute le retour des activités de M&A qui conforte la tendance. En effet, dans un environnement de faible croissance, d’abondance de liquidités, sans crise ni stress financier particulier, la croissance externe revient naturellement au goût du jour. En ce qui concerne les banques, des échéances importantes se profilent à l’horizon.

Stress bancaires et Asset Quality Review: des échéances importantes, mais pas forcément inquiétantes

Le mécanisme de supervision bancaire unique (SSM, Single Supervision Mechanism) sera opérationnel en octobre 2014. On sait que 128 groupes bancaires (environ 85 % des actifs bancaires de la zone et 65 % en ce qui concerne l’Allemagne) sont visés par ce dispositif de supervision sous l’égide de la BCE. Rappelons également que le SSM, le BRR (Bank Resolution Regime), et le DGS (Federal Deposit Guarantee Scheme) constituent les trois piliers de l’Union Bancaire Européenne.

Les marchés financiers s’intéressent désormais à deux événements :

• La revue de qualité des actifs bancaires (AQR – Asset Quality review), qui sera finalisée au début du mois d’août, et publiée en octobre prochain.

• Les stress tests bancaires (EBA et BCE) dont les modalités viennent d’être dévoilées (le 29 avril). Ces tests seront livrés en octobre prochain. Octobre est donc une date importante :

• Mise en place effective du mécanisme de supervision bancaire;

• Publication des stress tests bancaires ;

• Publications des résultats de la revue de qualité des actifs ;

• Recommandations pour corriger les éventuels problèmes de certains groupes bancaires, instructions données aux superviseurs nationaux. 
Les banques sont-elles en risque ? Regardons de près les modalités des stress tests que devront conduire les banques au cours des mois à venir :

• Le scénario économique est plus sévère que lors du dernier stress test de 2011. Il est question désormais d’un fléchissement d’activité économique de 7,3 % en zone euro sur les trois ans à venir (2014-2016) contre 4,1 % sur deux ans lors du test de 2011 ;

• En revanche, le scénario de hausse des taux courts est moins sévère: la hausse des taux euribor 3 mois dont il faudra tenir compte ne sera « que » de 85 pb lors du test de 2014, contre 185 pb en 2011 ;

• Le stress test prévoit également d’inclure une hausse des taux des obligations souveraines en tenant compte du niveau de la dette publique (plus la dette est élevée, et plus le stress est sévère). Au total, il faudra stresser les bilans bancaires avec une hausse des taux longs espagnols et italiens de l’ordre de 200 pb;

• Le stress test inclut également des contraintes concernant les pays émergents, et notamment sur les cours de change des pays de l’Europe Centrale et de l’Est, ainsi que sur les pays considérés les plus fragiles (Brésil, Inde, Indonésie, Turquie et Afrique du Sud).

Il est particulièrement intéressant de noter que le stress fait implicitement référence à un choc exogène (une hausse des taux américains, courts et longs) et non plus à un choc endogène (du style d’une crise de la dette), puisque les taux courts montent finalement assez peu et que l’ensemble des taux longs, y compris les taux allemands, seraient impactés dans le stress test.

Il s’agit davantage de stress lié aux conditions économiques qu’aux conditions financières ou de crédit bancaire. Cela est légitime au regard des conditions actuelles (reprise économique, faible stress, faible volatilité, défragmentation financière… Au total, même s’il est plus sévère que celui de 2011, le stress de 2014 « préserve » les banques des pays périphériques via deux aspects:

• L’absence de choc endogène, qui atténue les problèmes pouvant survenir des liens entre dettes publiques et banques ;

• L’absence de référence aux problèmes de financement de l’économie réelle, ce qui est indubitablement favorable aux banques de détail que l’on retrouve en plus grande majorité dans les pays périphériques. 
Compte tenu des mesures de renforcement du capital des banques menées partout en zone euro, il est hautement probable que les stress tests seront concluants. Les banques ont en effet reconstitué leurs liquidités et l’emploi de ces ressources reste globalement faible. La photographie des banques au moment des résultats des stress tests et de l’Asset Quality Review devrait montrer des niveaux de capitalisation acceptables.

Allocation d’actifs globalement inchangée

Non seulement la perspective de nouvelles actions de la BCE et le discours plutôt dovish de Janet Yellen ont conforté les perspectives de soutien à la croissance, mais elles ont également repoussé les taux longs à la baisse, tant et si bien que le taux à 10 ans américain est revenu vers 2,60 % (-40 pb depuis le début de l’année), et que les taux allemands ont de nouveau repassé la barre des 1,50 %. Difficile d’aller contre ce mouvement. Pour ajouter de la duration dans les portefeuilles, on peut bien évidemment se porter vers des maturités plus longues sur les souverains, mais on peut également réduire les surexpositions sur les obligations d’entreprises et ajouter des obligations souveraines (les indices souverains ont des durations bien plus longues que les indices de crédit).

Au total, pas de changement majeur dans notre allocation d’actifs, qui reste favorable aux actifs risqués, actions en tête.

• Sur les actions, nous continuons de préférer l’Europe aux États-Unis, Japon et marchés émergents dans leur ensemble.

• Sur les obligations d’entreprises, il y a bien évidemment de moins en moins de valeur à extraire des spreads qui sans cesse se resserrent, mais le High Yield, les ratings autour des BBB et les financières gardent notre préférence.

• Sur les obligations souveraines, il y a encore du potentiel de resserrement des spreads contre Allemagne, et il est de plus en plus urgent de ne conserver que ce qui est liquide et à solvabilité non contestée. Non pas parce que nous croyons en la résurgence d’une crise bancaire ou de dette souveraine, mais tout simplement parce que seront de plus en plus légitimes les questionnements sur les excès de valorisation.

• En ce qui concerne les cours de change, nous préférons encore l’USD, l’AUD et le GBP à l’EUR, et revenons graduellement vers les grandes devises asiatiques dont la chute nous semble bien excessive (INR, IDR, KRW notamment).