BCE : quels effets du package ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après plusieurs mois de tergiversations, la BCE est finalement passée à l’acte en délivrant une série de mesures lors de son Conseil des gouverneurs du 5 juin dont l’objectif est de rendre les conditions monétaires plus accommodantes et de faciliter le crédit aux agents privés de façon à atténuer le risque de déflation :

1/ baisse des taux directeurs de 10pb sur le refi et le taux de dépôt (ce dernier étant porté en territoire négatif) et de 40pb sur le taux marginal revenant ainsi sur un corridor symétrique.

2/ mise en place d’une série de TLTRO (targeted longer-term refinancing operations) permettant aux banques de venir chercher la liquidité sur une maturité longue (jusqu’à 4 ans) pour financer de nouveaux prêts aux agents privés (hors prêts logement aux ménages)1

3/ intensification des travaux préparatoires en vue d’acheter des ABS adossés à des prêts aux agents privés.

4/ allocation illimitée de la liquidité au moins jusque fin 2016.

5/ arrêt de la stérilisation du SMP.

6/ extension de l’éligibilité de certains titres additionnels comme collatéral jusqu’au moins de septembre 2018.

En combinant toutes les mesures envisagées depuis plusieurs mois excepté l’achat de titres publics (QE), la BCE n’a pas déçu les marchés. Si nous ne voulons pas minimiser les mesures prises par la BCE, nous pensons toutefois que les effets sur l’économie réelle devraient rester limités.

Les différentes mesures ont des effets contrastés pour les banques mais globalement positifs. D’un côté, pour celles très dépendantes du financement BCE (Italie, Espagne, Portugal), elles vont leur permettre de se financer moins cher via la baisse du refi (à 0,15%) et celle induite de l’eonia. Les différentes mesures sur la liquidité vont alléger les tensions et donner plus de temps aux banques pour ajuster leurs bilans2. Par ailleurs, les TLTRO devraient leur permettre de se financer peu chers (0,25%) à assez long terme (4 ans pour les premiers). De l’autre côté, les banques ayant des liquidités excédentaires vont devoir payer pour les déposer à la BCE avec le passage du taux dépôt et de la rémunération des réserves excédentaires sur le compte courant en territoire négatif (- 0,10%). Soit elles utiliseront la liquidité (interbancaire, crédit, achat de titres, dépôt dans d’autres BC,…), soit elles essaieront probablement de répercuter le coût à leurs clients… La liquidité excédentaire se montait à environ 125Md€ début juin, elle devrait augmenter avec l’arrêt de la stérilisation du SMP (effet théorique de 165Md€ mais vraisemblablement plus faible car la BCE ne parvenait pas à tout stériliser depuis début mai (105Md€ le 30 mai).

Les effets sur l’économie réelle de ces mesures passent par différents canaux de transmission mais nous pensons que l’impact global sera modeste. 1/ le canal de la confiance avec un effet positif sur les anticipations des agents, notamment les entreprises. 2/ Le canal financier avec le maintien des taux à un niveau plus faible. 3/ le canal du crédit mais il est difficile de dire aujourd’hui quelle en sera l’ampleur : la possibilité pour les banques de venir chercher de la liquidité à 0,25% à partir du mois de septembre, avec une maturité de 4 ans, apparaît évidemment attractive mais il y a plusieurs écueils : 1/ les montants en jeu restent faibles (7% de l’encours de crédit aux agents privés hors logement ce qui représente environ 94Md€ pour l’Allemagne, 77Md€ pour la France et respectivement 75Md€ et 54 Md€ pour l’Italie et l’Espagne). Certes dans un deuxième temps (mars 2015), les banques pourront également venir se refinancer tous les trimestres en fonction des montants de nouveaux crédits octroyés mais la maturité sera plus courte. De plus elles garderont les crédits au bilan ce qui peut constituer un frein dans le contexte des nouvelles réglementations de Bâle 3. Il nous semble toutefois que ces mesures pourraient permettre de mettre un frein à la contraction du crédit dans certains périphériques.

L’impact sur l’inflation restera modeste à court terme, avec probablement un léger effet positif via le taux de change mais c’est plutôt l’effet sur l’ancrage des anticipations d’inflation qui pourrait être plus important.

Au total, si la batterie de mesures peut sembler impressionnante, la BCE n’a pas sorti l’artillerie lourde, ne s’engageant pas, pour le moment, précisément dans un programme d’achats d’actifs fermes. Sur les achats d’ABS, la BCE essaie de gagner du temps en annonçant qu’ils travaillent sur le sujet mais sans fournir de calendrier précis ni d’objectifs de montants. Toutefois, cela pourrait permettre de dynamiser ce marché dans les mois qui viennent. Enfin, la perspective d’un éventuel QE s’éloigne et sa probabilité (déjà faible) s’amenuise encore, puisque même si M. Draghi ne l’exclut pas, la BCE attendra de voir l’impact de son package sur l’économie avant de potentiellement envisager la mise en œuvre d’un QE, ce qui devrait prendre plusieurs mois, voire trimestres. Finalement, en sortant son package, la BCE s’est donnée du temps, avec l’espoir qu’en 2015, la situation s’améliore sans qu’elle n’ait besoin d’intervenir massivement.

NOTES

  1. Pour plus de détails, Cf. data snap « ECB monetary decision and press conference »
  2. Cf Flash N°2014-296 « Zone euro : y a-t-il un risque de cliff de liquidité ? »

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