Renaissance espagnole ?

par Jésus Castillo, économiste chez Natixis

L’économie espagnole est sortie de récession depuis le troisième trimestre 2013. Les indicateurs d’activité continuent de se redresser, que l’on regarde du côté de l’offre ou de la demande. La production industrielle est revenue en territoire positif. La saison touristique s’annonce particulièrement favorable. La consommation des ménages se réactive très progressivement.

L’investissement des entreprises poursuit son redressement. Du côté des principaux déséquilibres macroéconomiques, les ajustements continuent. Le déficit budgétaire est enfin sur une trajectoire de réduction. Le solde de la balance courante est redevenu excédentaire depuis l’année dernière.

Après avoir évité de justesse un programme d’aide complet de la Troïka à l’été 2012, mais sans réussir à éviter un vaste plan de secours européen pour son système bancaire, l’Espagne s’est alors engagée dans un processus de réformes sous la surveillance étroite des autorités européennes(1). Un programme national de réformes a été engagé touchant tous les domaines: marché du travail, secteur financier, système de retraite, marché des biens et des services, énergie, administrations publiques, fiscalité… Nombre de ces réformes sont encore en cours de mise en œuvre et / ou d’élaboration à l’instar de la réforme fiscale actuellement en examen par les parlementaires.

Ce travail a porté des fruits. La croissance est revenue, certes à un niveau toujours trop faible (0,5% en GA au T1 2014). La défiance des investisseurs vis-à-vis de l’Espagne sur les marchés de capitaux s’est progressivement dissipée. Par ailleurs, les objectifs visés par cette thérapie semblent également avoir été atteints. Les indicateurs de compétitivité extérieure s’améliorent avec des gains significatifs de parts de marché depuis 2008. Les entreprises ont restauré leur profitabilité et dégagent des capacités d’autofinancement avec la baisse des coûts salariaux unitaires et le désendettement en cours. Enfin, les performances à l’exportation atteignent des niveaux rarement vus par le passé. Le changement de modèle économique paraît ainsi engagé, mais peut-on pour autant parler « de success-story » ?

L’histoire ainsi conté est effectivement assez belle. L’Espagne a regagné en stabilité économique. Néanmoins, la crise n’est pas finie en raison de l’héritage très lourd des excès du passé en termes d’endettement public, privé, extérieur, de taux de chômage, de pertes de richesse. Les réformes engagées étaient nécessaires et certainement inévitables, malgré les coûts induits. Mais à ce stade de la crise, il est également légitime de s’interroger sur la suite des évènements. Faut-il persister dans le sens des réformes visant à renforcer la compétitivité, libéraliser les marchés ? Ou bien, faut-il dorénavant orienter plus clairement les politiques économiques en direction de mesures actives de soutien de la croissance (projet d’investissement, soutien de l’emploi, assouplissement des règles budgétaires…) ? C’est du moins les questions qui semblent apparaître au lendemain des élections européennes de mai dernier. Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, va probablement se retrouver entre le marteau et l’enclume. D’un côté, « le marteau » des pays qui souhaitent que l’Europe adopte une lecture plus flexible des critères de Maastricht (la France, l’Italie) avec un budget européen plus proactif en termes de soutien de la croissance.

D’un autre côté, « l’enclume » composé des pays (Allemagne, Pays-Bas…) les plus rétifs à tout changement des règles qui induirait davantage de souplesse budgétaire. Tout dépendra de la situation dans laquelle se trouve chaque pays. Certains devront effectivement avancer encore dans les politiques dites de « l’offre » alors que pour d’autres un soutien de la demande pourrait être d’un grand secours. C’est probablement dans ce cas que se trouve l’Espagne. Comme nous l’avons vu, nombre de réformes ont été menées à bien. Mais en l’absence de débouchés, l’investissement ne redémarrera pas suffisamment intensément pour tirer la croissance et l’emploi. Le temps semble donc venu de s’intéresser réellement au volet « croissance » du Pacte de Stabilité et de Croissance qui lie les pays de la zone euro.

NOTES

  1. La Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif à l’encontre de l’Espagne en mars 2009. De même l’Espagne a été sous le coup d’une procédure pour déséquilibre macroéconomique excessif d’avril 2013 à mars 2014 et reste sous surveillance de la Commission car elle présente toujours des déséquilibres macroéconomiques importants.

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