Escalade de la crise russe : tout le monde perdant ?

par Sylvain Broyer et Sylwia Hubar, économistes chez Natixis

Si l'interdiction des importations de produits alimentaires et agricoles en provenance de l'UE, des États-Unis, du Canada et du Japon a pour objectif de pénaliser les pays ayant adopté des sanctions contre la Russie, elle est surtout préjudiciable à l'économie russe. La part de ces régions dans les importations agricoles russes est élevée (34,5% pour l'UE et 6,2% pour l’Amérique du Nord), ce qui devrait accélérer considérablement les importations. En tenant compte à la fois de la troisième vague de sanctions adoptées par l'UE et les États-Unis et des effets négatifs de l'interdiction des importations, nous tablons désormais sur une contraction du PIB russe de 1,0% en GA en 2014. En outre, la Banque Centrale de Russie pourrait être contrainte de reprendre ses interventions sur le marché des changes et/ou de relever de nouveau ses taux.

Parallèlement, les sanctions adoptées par l'UE comme l'interdiction d'importation de produits alimentaires et agricoles pénaliseront également les entreprises européennes. L’impact subi par l’Occident paraît néanmoins moins préjudiciable que pour la Russie, cette dernière ne pesant que faiblement dans ses exportations de produits agricoles et alimentaires (1,1% pour les États-Unis, 2,6% pour l'UE, 2,9 % pour l'Allemagne, 7,2% pour le Royaume-Uni). Cela étant, si de nouvelles mesures de rétorsion (restriction du trafic aérien, interdiction des exportations de gaz et de pétrole, etc.) étaient économiquement plus préjudiciables à la Russie qu’à l'Occident – le constat est-il suffisant pour dissuader Poutine de poursuivre l’escalade ? – l’incertitude qu’elles représentent dégrade la confiance générale et de fait les perspectives en matière d'investissement. Ces dernières constituant l’un des principaux déterminants de la fragile reprise en cours, l’impact de la crise russe sur l'économie mondiale pourrait s’avérer plus marqué que ne le suggère le point de vue strictement comptable (-0,1% du PIB mondial).

La croissance économique devrait passer en territoire négatif au S2

Les mesures adoptées par l'UE et les États-Unis restreignent l'accès des institutions financières contrôlées par l'Etat russe aux marchés de capitaux primaires et secondaires, privent l’industrie pétrolière russe d'accès à certaines technologies et imposent des restrictions commerciales, notamment sur les armes et sur les biens à double usage. Ces sanctions dégradent les perspectives de croissance en Russie, déjà affaiblies par des taux d'intérêt élevés (taux directeurs à 8,0%), l'accès restreint aux marchés internationaux et les sorties massives de capitaux (estimées à 74,6 MdUSD pour le S1 2014).

En outre, l'interdiction des importations de produits agricoles et alimentaires décrétée par la Russie, qui devrait pénaliser les pays ayant adopté des sanctions à son encontre, sera préjudiciable à l'économie russe vue la part élevée de l’Occident dans ses importations agricoles (34,5% pour l'UE et 6,2% pour l’Amérique du Nord).

La dépréciation en cours du rouble, comme l'accélération attendue de l'inflation alimentaire, vont relancer l'inflation, freiner la consommation et affaiblir la croissance russe.

Tenant compte à la fois des sanctions adoptées par l'UE et les États-Unis et des effets négatifs de l'interdiction des importations, nous tablons désormais sur une contraction du PIB russe cette année de -1,0% en GA, contre +0,1% précédemment.

Les indicateurs récents témoignent déjà d’un ralentissement de l'activité domestique. Les ménages réduisent leurs dépenses, comme en attestent le ralentissement de la croissance des ventes de détail à 0,7% en GA en juin et la décélération de la progression des salaires réels à 1,7% en GA en juin. En outre, la croissance de la production industrielle a ralenti à 0,4% en GA en juin, avec une contraction dans les services publics de 0,8% en GA, et une modération dans le manufacturier à 0,3% en GA en juin, contre 4,4% en GA en mai. Du côté positif, si l'indice PMI manufacturier a rebondi pour repasser au-dessus du seuil de 50 (51 en juillet), une amélioration durable dans l'industrie est inenvisageable du fait de l'ampleur et de la généralisation progressive des sanctions.

Notre scénario pour la Russie comprend un rouble affaibli, une forte inflation et un recul de la croissance annuelle de l'économie en territoire négatif. Nous anticipons une faible croissance de la Russie au T2, puis une contraction au cours des trimestres suivants de 2014 (graphique 4), conduisant à un repli du PIB de 1,0% en GA en 2014.

La politique monétaire doit rester restrictive

Malgré la chute de la croissance économique en territoire négatif, l'orientation de la politique monétaire devrait rester restrictive. En outre, si l’interdiction des importations et la volatilité des marchés financiers conduisaient à une accélération de l'inflation, la Banque Centrale de Russie pourrait être contrainte de reprendre ses interventions sur le marché des changes et/ou de relever de nouveau ses taux. La banque centrale n’est plus intervenue sur le marché des changes (dans le but de calmer la volatilité de la parité du rouble) depuis le 8 mai dernier. Les réserves internationales ont de ce fait rebondi à 467,2 MdUSD en juin, après un point bas à 478,3 MdUSD en juillet.

La dégradation des marchés financiers s’explique principalement par l'élargissement des sanctions adoptées par l'Occident, notamment du renforcement de celles de l'UE portant sur la coopération sectorielle et les échanges avec la Russie. La Banque Centrale de Russie a relevé son taux directeur de 50 pb à 8,0% à l’issue de la réunion de politique monétaire de juillet dernier. Si la décision n'a pas suffi à calmer la volatilité du marché, l'inflation s'est quelque peu ralentie, à 7,5% en GA en juillet contre 7,8% en juin.

Nous estimons que l'interdiction des importations de produits agricoles/alimentaires n’accroîtra pas simplement la volatilité des marchés financiers, avec un renforcement plus marqué de l’inflation résultant de l’affaiblissement du rouble, mais qu’elle accélérera directement l'inflation alimentaire. En conséquence, un nouveau relèvement des taux par la banque centrale à l’issue de la réunion de politique monétaire de septembre est probable.

Enfin, la banque centrale pourrait reprendre ses interventions sur les marchés des changes afin de stabiliser le rouble, ce qui dégraderait par ailleurs les finances du pays.

Répercussions négatives sur les économies occidentales

Les sanctions adoptées par l'UE telles que l'interdiction des importations de produits alimentaires/agricoles pénaliseront également les entreprises européennes et les industries agricoles/alimentaires des pays à l’origine des sanctions. L’impact subi par l’Occident paraît toutefois moins défavorable que pour la Russie. Certes, les sociétés européennes détenant d’importants actifs immobilisés / intérêts en Russie subiront des pertes, mais le pays ne pèse que faiblement dans les exportations de produits agricoles et alimentaires (1,1% pour les États-Unis, 2,6% pour l'UE, 2,9% pour l'Allemagne, 7,2% pour le Royaume-Uni).

Nous avons dressé la liste de l’ensemble des entreprises et des secteurs européens les plus exposées à la Russie dans notre publication : « Si la Russie devenait le nouvel Iran, quelles seraient les sociétés européennes les plus touchées par des sanctions sévères ? »

En outre, bien qu’envisageable, une réduction des livraisons d'énergie à l'Europe par la Russie serait plus dommageable pour cette dernière (l'UE concentre 50,1% des exportations totales d'énergie de la Russie). La Russie contribue pour 21,6% des importations totales d'énergie de l'UE, indiquant qu’en Europe, certains pays pourraient faire face à d'importantes pénuries d'énergie cet hiver si la Russie réduisait ses livraisons.

Cela étant, si de nouvelles mesures de rétorsion (restriction du trafic aérien, interdiction des exportations de gaz et de pétrole, etc.) étaient économiquement plus préjudiciables à la Russie qu’à l'Occident – le constat est-il suffisant pour dissuader Poutine de poursuivre l’escalade ? – l’incertitude qu’elles représentent dégrade la confiance générale (graphique9) et de fait les perspectives en matière d'investissement. Ces dernières constituant l’un des principaux déterminants de la fragile reprise en cours, l’impact de la crise russe sur l'économie mondiale pourrait s’avérer plus marqué que ne le suggère le point de vue strictement comptable (-0,1% du PIB mondial).

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