Chronique d’une rentrée chahutée

par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas

• Au deuxième trimestre de 2014, l’économie française est, une fois de plus, restée à l’arrêt, une panne de croissance qui pourrait se prolonger.

• Pour cette raison, et aussi à cause de la grande faiblesse de l’inflation, les objectifs de réduction du déficit budgétaire (3,8% de déficit en 2014) sont hors d’atteinte.

• C’est dans ce contexte et sur fond de dissensions gouvernementales autour de la politique à mener que François Hollande et Manuel Valls ont décidé d’un nouveau remaniement ministériel.

• L’arrivée d’Emmanuel Macron au ministère de l’économie clarifie la ligne « sociale démocrate » suivie par l’exécutif et incarnée par le « pacte de responsabilité ». Mais si le gouvernement gagne en cohésion, il va devoir composer avec une majorité parlementaire récalcitrante.

• Sur le plan politique, une dissolution est peu probable mais fait désormais partie du domaine du possible. Sur le plan économique, c’est l’avancement des réformes qui est en jeu.

Jamais, probablement, une mauvaise surprise conjoncturelle aura été suivie de telles conséquences mais il y a un lien de cause à effet entre la croissance nulle au deuxième trimestre 2014 et le nouveau remaniement ministériel annoncé ce lundi 25 août. Nous revenons ici sur l’enchaînement des évènements et ce qu’ils impliquent.

Les mauvaises surprises du mois d’août

Le 14 août, la publication très attendue de la première estimation des comptes nationaux trimestriels pour le deuxième trimestre 2014 a réservé une mauvaise surprise. Le PIB réel a, en effet, enregistré une croissance nulle, décevant les attentes d’un léger rebond après sa stagnation au premier trimestre. Le lendemain, le ministre des finances, Michel Sapin, tirant les conclusions de cette panne de croissance, actait que l’objectif de réduction du déficit budgétaire à 3,8% du PIB en 2014 ne serait pas tenu. Il avançait aussi de nouvelles prévisions de croissance, de l’ordre de 0,5% en 2014 (soit moitié moins que ce que le gouvernement prévoyait jusque-là) et guère supérieure à 1% en 2015 (au lieu de 1,7% auparavant).

Dans les jours qui ont suivi, face à ces résultats décevants, Manuel Valls, puis François Hollande, ont réaffirmé leur volonté de maintenir le cap de la consolidation budgétaire et du soutien à la croissance par la promotion d’une politique de l’offre. François Hollande parle même d’accélérer les réformes, il se veut proactif et illustre son propos en citant quatre chantiers qui vont être engagés à la rentrée : la relance du logement, les assises de l’investissement, les professions réglementées, l’apprentissage. Mais ce ne sont pas les seuls sujets de discussion. S’y ajoutent : le budget 2015, les seuils sociaux, le travail le dimanche, les modalités des EUR 5 milliards de baisses d’impôts à l’horizon 2017 annoncées pour les ménages modestes dans le cadre du pacte de solidarité. Ce dernier point s’annonçant plus compliqué que prévu suite à la censure, début août, par le Conseil constitutionnel des EUR 2,5 milliards d’allègements de cotisations salariales jusqu’à 1,3 SMIC, qui devaient être effectifs à compter du 1er janvier 2015, forçant le gouvernement à réfléchir, dans l’urgence, à une mesure de remplacement d’ampleur et de portée similaires.

L’ensemble de ces développements s’inscrit dans un contexte de contestation grandissante, par une partie des députés de la majorité, de l’orientation « social-libérale » de la politique économique. La rentrée s’annonçait donc difficile. Elle s’avère plus chahutée encore à la suite de la tribune très critique d’Arnaud Montebourg de cette même politique économique. Une dénonciation que François Hollande et Manuel Valls ont jugé inacceptable de la part du ministre de l’économie en place, précipitant la démission du gouvernement et la constitution immédiate d’un nouveau, avec pour instruction officielle pour Manuel Valls de reformer une équipe en pleine adéquation avec la ligne économique défendue par la tête de l’exécutif. Au final, peu de jeu des chaises musicales : Emmanuel Macron est nommé au ministère de l’économie, Najat Vallaud- Belkacem à l’Education et Fleur Pellerin à la Culture.

L’économie derrière la politique

La croissance nulle au deuxième trimestre est révélatrice des difficultés conjoncturelles et structurelles de l’économie française. Si la consommation des ménages a enregistré le rebond technique attendu, la mauvaise surprise est venue de la baisse de l’investissement et de l’absence de hausse des exportations. Sur le plan conjoncturel, la crise russo-ukrainienne n’est pas étrangère à cette contre-performance: elle constitue une nouvelle source d’incertitudes et contribue à une détérioration de l’environnement extérieur. On mettra aussi dans la catégorie des difficultés passagères le marasme du secteur de la construction même s’il est plus ancien et si l’on n’attend pas un redressement rapide de la situation. Corollaire du recul de la compétitivité, la faiblesse de l’investissement des entreprises et des exportations est, en revanche, plus structurelle. Si l’on regarde la croissance sur les quatre derniers trimestres, elle ressort également nulle en moyenne. La consommation privée et l’investissement des entreprises apportent une contribution nulle sur la période ; la contribution des dépenses publiques et des variations de stocks est légèrement positive mais elle est contrebalancée par celle légèrement négative de l’investissement résidentiel des ménages et du commerce extérieur. Les ressorts de la reprise sont cassés. Du côté du marché du travail, les nouvelles conjoncturelles n’ont, de manière surprenante, pas toutes été mauvaises. L’estimation « flash » de l’emploi salarié marchand du deuxième trimestre a ainsi favorablement surpris avec une légère hausse (+0,1% t/t) grâce à un nouveau rebond de l’intérim. Et d’après les données d’Eurostat, le taux de chômage aurait encore légèrement baissé au deuxième trimestre (de 10,2% à 10,1%). En revanche, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi poursuit son envolée.

Les performances médiocres de l’économie française signeraient pour certains l’échec de la politique de l’offre défendue par le chef de l’Etat et son Premier ministre. Il est en vérité beaucoup trop tôt pour juger, les réformes structurelles mettant du temps à produire leurs effets. Si échec il y avait, c’est dans l’aptitude du gouvernement à impulser, via les réformes annoncées, un regain de confiance du coté des entreprises. La défiance reste de mise et cela empêche tout redémarrage durable.

Faute de croissance et compte tenu aussi de l’extrême faiblesse de l’inflation qui s’ensuit, les objectifs de réduction du déficit budgétaire se trouvent sérieusement compromis. Ainsi, le déficit cette année devrait encore dépasser 4% du PIB et il risque même d’être supérieur à celui de l’année dernière (4,2%). Si c’est le cas, ce serait la première fois depuis 2010 que le déficit ne serait pas réduit d’une année sur l’autre. Du fait de ce dérapage important en 2014, que le gouvernement ne semble pas désireux de rattraper, et de la moindre croissance attendue, la question qui se pose pour 2015 n’est plus tant celle d’un retour sous la cible des 3% mais celle du passage sous la barre des 4%. Face à Bruxelles, le gouvernement se retrouve dans une position très délicate. Il peut arguer de circonstances exceptionnelles et d’un manque de croissance qui n’est pas propre à la France mais sera-t-il entendu ? C’est possible, d’autant que les lignes bougent en faveur de moins de rigueur budgétaire pour donner de l’air à la reprise, mais la partie s’annonce serrée.

Le dérapage budgétaire est aussi dans le viseur de l’agence de notation Moody’s, dont la communication récente semble préparer le terrain à un nouveau downgrade du rating souverain français (actuellement Aa1 sous perspective négative). Pour rappel, l’agence S&P a déjà procédé à deux dégradations d’un cran (en janvier 2012 et en novembre 2013), laissant le rating à AA sous perspective stable. Quant à Fitch, l’agence n’a procédé qu’à un downgrade, d’un cran à AA+, en juillet 2013, l’assortissant d’une perspective stable.

Le prix de la clarté et de la cohésion du gouvernement

Ce nouveau changement de gouvernement est surprenant seulement cinq mois après le remaniement d’avril post-élections municipales. Il a le mérite de la clarté et de la clarification mais il n’est pas sans risques. Il pose tout d’abord la question de la majorité rétrécie sur laquelle le gouvernement va pouvoir compter. Il va peut- être parler d’une même voix dorénavant mais, dans les rangs de l’Assemblée, on risque d’entendre, au contraire, plus de voix discordantes. Il dispose d’outils institutionnels pour gouverner et faire passer ses réformes (en particulier l’article 49-3 de la Constitution) mais ce n’est pas propice à la restauration d’un climat de confiance. Le dialogue social risque de ne pas s’apaiser non plus au passage. Pour clarifier les choses, Manuel Valls a annoncé qu’il solliciterait un vote de confiance en septembre ou en octobre. Le plus probable est que celle-ci lui soit accordée, la possibilité d’une dissolution agissant comme un repoussoir.

Dans ces conditions, quid de l’avancement des réformes ? Leur mise en œuvre va-t-elle s’en trouver simplifiée et accélérée comme c’est souhaitable ou, au contraire, plus encore freinée qu’aujourd’hui voire stoppée par les blocages politiques ? La question reste ouverte. La volonté réformatrice doit l’emporter pour que l’économie française se porte mieux.

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