par Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque
Qu’aurait-pu être l’état de la zone euro si Jean-Claude Trichet était encore gouverneur de la BCE ? Il y a de grandes chances que l’Union, tel qu’on la connait aujourd’hui, n’existerait plus. La réussite de Mario Draghi, c’est d’avoir su faire preuve, au moment propice, de l’audace requise pour apaiser les marchés financiers. Il y a encore deux ans de cela, le risque d’éclatement de la zone euro était un scénario probable. Aujourd’hui, il semble absurde.
L’action de Mario Draghi a donc été décisive pour éviter le pire. Alors que se profile une inévitable stagnation économique sur le Vieux-Continent se pose de nouveau la question des moyens que peut mettre en place la banque centrale pour soutenir l’activité. La BCE a partiellement répondu à cette interrogation au cours des derniers mois en baissant à un plus bas historique le taux directeur et en se lançant dans un programme de rachats de crédits titrisés (ABS) et d’obligations sécurisées émises par les banques (covered bonds).
Ce programme n’est pas encore effectif qu’on peut déjà craindre son échec. L’objectif du dispositif consiste à relancer le crédit dans la zone euro en allégeant le bilan des banques. Le problème, c’est qu’il n’existe pas assez d’ABS à faible risque sur le marché pour que le programme de la BCE soit crédible. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que la banque centrale se soit abstenue d’évoquer un montant possible de rachats d’actifs. Elle a conscience qu’elle a les mains liées et que cette énième mesure sera sans effets. La BCE ne peut que gagner du temps en faisant de la communication pour pallier son impuissance. Nous sommes aux limites de la politique monétaire.
Depuis le début de la crise, la démission du pouvoir politique a conduit la banque centrale européenne à se substituer quasiment à l’action des Etats. Les conséquences sont désastreuses. Les marchés ont intégré des anticipations excessives qui ont provoqué des distorsions de prix et même des bulles spéculatives sur certains segments d’actifs. On pense notamment à la dette souveraine des pays périphériques ou encore à certaines valeurs des secteurs de l’internet et des biotechnologies. Les investisseurs croient, à tort, que si la situation macroéconomique nécessite un soutien supplémentaire, la BCEsera en mesure de lancer un QE (programme d’assouplissement quantitatif) similaire à celui de la FED. Le débat à ce propos va certainement rebondir mais, à moins d’un bras de fer politique hasardeux entre la Bundesbank et la BCE, on voit mal comment un tel programme pourrait être mis en œuvre à court et à moyen terme.
Le principal écueil de ce soutien massif n’est toutefois pas celui qu’on anticipe habituellement. La politique monétaire ultra-accommodante s’est traduite par une expansion sans précédent du bilan de la banque centrale qui devrait croître encore, dans les années à venir, de 1000 milliards d’euros. Jusqu’à présent, l’expansion du bilan n’a pas entrainé un regain d’inflation, contrairement à ce que stipule la théorie économique. La zone euro est engagée dans une période de très faible inflation prolongée au moins jusqu’en 2017 – 2018. Ces montagnes de liquidités font cependant peser un risque inflationniste certain lorsqu’il s’agira de revenir à une politique monétaire plus orthodoxe, surtout si l’endettement des Etats ne s’est pas, en parallèle, significativement réduit. On aurait donc tort de trop s’arque bouter sur l’hypothèse d’une déflation alors qu’au final il y a de grandes chances que la sortie de la stagnation économique se traduise par une trop forte hausse des prix.
L’action récente de la BCE est donc non seulement vaine, avec peu d’effets positifs sur l’économie réelle, mais en plus potentiellement dangereuse. Les Etats ont tout simplement mal posé le diagnostic. Il n’y a pas fondamentalement un problème d’offre de crédit dans l’Union mais plutôt de demande de crédit. C’est notamment particulièrement le cas en France comme le révèlent les enquêtes mensuelles de la Banque de France.
L’explication réside dans l’absence de perspective de croissance suffisamment positive pour inciter à investir et donc à emprunter. Il n’est pas du ressort de la BCE d’influer sur la demande. Ce sont aux Etats de prendre leurs responsabilités et d’envisager une stratégie coordonnée de relance. A cet égard, le plan Juncker de 300 milliards d’euros sur trois ans est un premier pas encourageant. Il n’est en revanche pas question de desserrer l’étau sur les pays qui n’auraient pas fait suffisamment d’efforts en termes de consolidation budgétaire. Ce serait un acte de laxisme mal perçu par les marchés et qui favoriserait les comportements de passager clandestin en partie responsables de la crise actuelle.
Comme ne cesse de le répéter Mario Draghi à chaque conférence de presse, ce sont aux responsables politiques d’être à l’offensive et de prendre le relais. En cela, il ne s’éloigne pas autant qu’on aurait tendance à le croire de la ligne de la Bundesbank.