La BCE dans un corner ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Tempête sur les marchés financiers depuis dix jours avec un mouvement de fuite vers la qualité caractérisé par la poursuite de la baisse des marchés action, le report des investisseurs vers les obligations d’Etat des pays bien notés, la réouverture des spreads des pays périphériques. Notre indice de perception du risque a atteint 84% le 16 octobre.

Ce mouvement résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : déception après la dernière réunion de la BCE début octobre, statistiques décevantes en zone euro et en particulier en Allemagne, ton dovish de la Réserve Fédérale mettant en avant le risque européen, faiblesse des ventes au détail américaines, révision en baisse des prévisions de croissance mondiale par le FMI, la persistance des risques géopolitiques, les craintes liées à la propagation du virus Ebola,… Les investisseurs prennent conscience de l’importance des risques baissiers sur la croissance mondiale que nous mettions en avant il y a quelques semaines (cf « reprise, vous avez dit reprise ? »).

Résultat des craintes sur la croissance mondiale et du changement de discours de l’Arabie Saoudite, les prix du pétrole ont chuté vers 80$ le baril (brent) vs 115$ en juin. Quelles conséquences de ces évolutions ?

Du côté des Etats-Unis, les nouvelles mitigées sont à relativiser : la croissance reste dynamique mais pourrait quelque peu ralentir après deux très bons trimestres. La Fed se montre très prudente et ne semble pas pressée d’augmenter les taux. La chute du prix du pétrole va tirer l’inflation à la baisse alors que les salaires ne montrent pas de signe d’accélération ce qui va probablement conduire la Fed à un statu quo pendant quelques mois.

En zone euro, la situation est évidemment très différente dans la mesure où la croissance est proche de zéro et où le moindre faux pas (choc négatif de confiance) pourrait reconduire la zone euro en récession (« triple dip » ?). L’affaiblissement du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour la croissance de la zone euro. L’effet baissier sur l’inflation améliore le pouvoir d’achat des ménages des pays importateurs de pétrole. Il diminue également le prix des inputs pour un certain nombre d’entreprises. Via cet impact sur l’inflation, la baisse du prix du pétrole a un effet positif sur la croissance. Mais là où le bât blesse c’est que l’inflation est déjà considérée comme trop basse en zone euro. A 0,3% en septembre, on est très loin des 2% visés par la BCE.

Même si cette dernière a déjà, à plusieurs reprises, nuancé la faiblesse de l’inflation courante, une baisse supplémentaire de l’inflation pourrait devenir très embarrassante pour elle (même si en théorie la BCE ne devrait pas réagir à un choc d’offre)… surtout si elle conduit à la poursuite de la baisse des anticipations d’inflation qui serait une source de perte de crédibilité. La mesure du 5 ans dans 5 ans est repassée sous 2% pour atteindre 1,72% le 16 octobre. A quel niveau la BCE va-t-elle considérer que les anticipations d’inflation ne sont plus « ancrées » ? En tout cas, il est possible que les mauvaises statistiques allemandes et la montée des risques sur les marchés permettent d’assouplir la vision allemande sur l’orthodoxie de la banque centrale… La réouverture des spreads des pays périphériques est probablement également une source d’inquiétude. Si la situation ne s’améliore pas rapidement, la BCE va se trouver contrainte d’assouplir encore sa position… La communication pourrait être privilégiée à court terme pour se donner du temps mais il n’est pas sûr que la BCE puisse échapper au grand saut…

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