Zone euro : nuages à l’horizon

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

Les indicateurs de conjoncture sont peu encourageants et promettent un troisième trimestre (T3) 2014 très faible en termes d’activité dans la zone euro.

Ce sont les enquêtes auprès des chefs d’entreprise ainsi que les données de production industrielle qui envoient les signaux les plus négatifs.

Le tableau est toutefois nuancé par l’évolution positive des ventes au détail ainsi que la détente des conditions monétaires et financières.

Nous anticipons une croissance quasi nulle au second semestre 2014. L’activité ne devrait accélérer qu’en 2015, et encore très progressivement.

En novembres Eurostat publiera ses premières estimations de croissance pour le troisième trimestre 2014. Or les données disponibles jusqu’à présent ne sont pas des plus encourageantes.

Données d’enquêtes en recul

Depuis cet été, la reprise s’essouffle dans la zone euro et le rythme de croissance semble avoir encore ralenti récemment, les données d’enquête suggérant un possible retour en récession. Les tensions géopolitiques et des perspectives de demande toujours moroses plombent la confiance des entreprises. Aussi ces dernières préfèrent-elles attendre avant de lancer de nouveaux plans d’investissement. Elles recrutent également moins. Comme il fallait s’y attendre, la confiance des ménages, qui avait nettement rebondi au premier semestre à la faveur de l’augmentation du revenu disponible réel (essentiellement due à la faiblesse de l’inflation et non à une hausse de l’emploi ou des salaires), a récemment commencé à reculer. Une analyse en composantes principales de plusieurs données d’enquêtes montre une activité quasi étale mais avec des risques de contraction de plus en plus importants ; la dynamique dont bénéficiait la zone euro depuis l’été 2012 (discours de Draghi à Londres « [la BCE] fera tout ce qui est en son pouvoir… ») s’essouffle.

La production industrielle freine

Les signaux négatifs des données d’enquête se sont d’ores et déjà traduis par un recul de la production industrielle : environ -2% en août. Cette chute, particulièrement sévère en Allemagne (-4%), efface largement la performance positive de juillet. Les liens économiques étroits avec l’Europe orientale expliquent pourquoi c’est l’Allemagne souffre le plus des tensions actuelles avec la Russie. Cependant, selon le ministère allemand de l’Economie, des effets de calendrier ont aussi probablement joué négativement, avec des vacances scolaires davantage concentrées sur le mois d’août que d’habitude. Dès lors, un rebond partiel de l’industrie allemande en septembre semble probable, ce qui devrait être suffisant à tirer dans le positif la performance globale de la zone euro sur le mois. Cependant, il est fort probable que le rebond sera insuffisant pour compenser l’effondrement du mois d’août. Pour avoir enregistrer une croissance positive au T3, la production devrait avoir progressé de 2% en septembre, ce qui semble très improbable au vu des données d’enquête. La contraction de l’activité industrielle aura donc tiré vers le bas la performance de l’ensemble de l’économie.

… mais les ventes au détail auront soutenu l’activité

Les ventes au détail viennent compenser en partie les mauvaises nouvelles en provenance de l’industrie. Elles ont augmenté de plus de 1 % m/m en août. Si elles étaient restées étales en septembre, leur progression trimestrielle aurait été de 0,7% t/t, un rythme deux fois plus dynamique qu’au T2 (+0,3 % t/t). Les ventes au détail constituent un indicateur fiable des dépenses de consommation, et après une hausse de 0,3 % t/t au T2, une nouvelle progression de la consommation privée au T3 semble probable, limitant ainsi les risques à la baisse pour la croissance du PIB.

Des conditions financières assouplies, sans retombées sur l’économie réelle (pour l’instant)

Les décisions adoptées par la BCE cet été (taux négatif sur la facilité de dépôt, taux refi proche de zéro, opérations ciblées de refinancement à plus long terme ou TLTRO à taux fixe) et l’annonce de nouvelles mesures (opérations de rachat de titres de dette privée, pas encore été mises en œuvre), ont contribué à assouplir les conditions monétaires et financières, compensant la tendance enregistrée en 2013. L’amélioration est surtout due à la dépréciation de l’euro, qui a perdu près de 4% en termes effectifs nominaux depuis juin 2014. Les taux d’intérêt sur diverses échéances ont également reculé, même si l’amélioration en termes réels a été moins significative compte tenu de la baisse persistante de l’inflation. (…) l’assouplissement des conditions financières ne se répercute qu’avec un certain retard sur l’économie réelle. Il faut attendre deux trimestres pour observer la corrélation la plus étroite entre les deux séries. Si on limite l’échantillon à la période postérieure à la crise, la corrélation entre les deux séries est plus faible et elle n’atteint son niveau maximum qu’au bout d’une période plus longue. Rien d’étonnant à cela compte tenu du processus de désendettement. En effet, les entreprises et les ménages, qui s’emploient à réduire leur endettement, ne profitent pas réellement de l’amélioration des conditions monétaires et financières. La croissance du crédit au secteur privé a de fait continué à se replier en août, quoique à un rythme moins sévère.

Une croissance modérée au troisième trimestre

Dans ses Perspectives économiques mondiales d’octobre, le Fonds monétaire international estime à 40% les risques de récession dans la zone euro, contre une probabilité beaucoup plus faible dans ces prévisions de printemps. Certes, les données ne sont pas encourageantes, mais probablement pas assez mauvaises pour une récession technique (soit deux trimestres consécutifs de recul de l’activité). Les résultats de notre modèle (voir Encadré) nous renforce dans notre prévision d’une croissance positive au T3, même si très modéré.

Et maintenant ?

A l’heure où nous écrivons, les perspectives pour le quatrième trimestre n’ont rien d’engageant et le rythme de croissance a peu de chances de se redresser sur les trois derniers mois de l’année. C’est ce qu’indiquent les composantes les plus avancées des données d’enquête. Les sanctions à l’encontre de la Russie ont été durcies en septembre et leurs effets pourraient se faire sentir encore plus violemment au quatrième trimestre. Une accélération de la croissance du PIB est peu probable au T4, mais la situation ira probablement en s’améliorant tout au long de l’année prochaine. L’assouplissement des conditions monétaires et financières finira en effet par soutenir l’économie réelle. La politique monétaire va, par ailleurs, prendre un tour de plus en plus accommodant au fur et à mesure que la BCE lancera ses programmes de rachats de titres de dette privée et conduira les prochaines TLTRO, augmentant ainsi la taille de son bilan. Les incertitudes qui pèsent sur la confiance des entreprises, devraient progressivement se dissiper : l’examen de la qualité des actifs des banques et les tests de résistance dont les résultats seront publiés au cours du trimestre devraient aller dans ce sens en permettant d’avoir une idée plus précise de la position et de la solidité du secteur bancaire, qui reste la principale source de financement extérieur pour le secteur privé.

L’activité profitera également du commerce extérieur. La croissance devrait, en effet, continuer de s’améliorer chez les principaux partenaires commerciaux de la zone euro (Etats-Unis et Royaume- Uni). De plus, l’orientation des politiques monétaires devrait continuer à diverger (la Fed a annoncé qu’elle mettrait fin à son programme d’achats d’actifs à la fin octobre) et l’euro devrait continuer à se déprécier, entraînant une détente supplémentaire des conditions monétaires et financières. En raison de l’effet décalé de cette amélioration sur l’activité, il ne faut pas s’attendre toutefois à un rebond notable de l’activité avant le second semestre. Nous entendons rester prudents : nos projections de croissance, à 0,7% en 2014 et 0,9% en 2015, sont inférieures à celles du FMI (voir pour plus de détails « Faible et inégale », Frédérique Cerisier, Eco Week, BNP Paribas Recherche Economique, 10 octobre 2014). Plusieurs risques pourraient en effet se matérialiser et freiner la dynamique de croissance. En particulier, un ralentissement plus important que prévu dans les marchés émergents limiterait le soutien extérieur à la zone euro à un moment où elle en a particulièrement besoin, compte tenu de l’atonie persistante de la demande intérieure. De plus, l’aggravation des tensions géopolitiques aurait des effets négatifs sur l’activité, alors que la chute récente des marchés actions et l’élargissement des spreads pourraient, si la situation se prolongeait, se solder par des conditions de crédit plus restrictives et peser ainsi sur la demande intérieure.

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