Zone euro : un plan d’investissement pour l’Europe

par Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas

• Nous détaillons ci-dessous le mode de financement et les principaux objectifs du Plan d’investissement pour l’Europe présenté par J-C Juncker.

• En renonçant à chercher des moyens publics supplémentaires, le président de la Commission s’est autorisé à aller vite, et a mis les chefs d’Etats devant leurs responsabilités.

• Le Plan renoue avec l’Europe des projets, et s’efforce de moderniser les modes d’actions des politiques européennes.

Jean-Claude Juncker a présenté le 26 novembre les grandes lignes de son Plan d’Investissement européen, mesure phare du début de sa mandature. Plusieurs de ces éléments avaient été dévoilés dans la presse, mais la présentation du Président de la Commission a permis de confirmer certains arbitrages. Dans cet article, nous revenons sur les principaux points à retenir1.

Le meccano financier

Dès le départ, il était clair que le principal défi lancé à JC Juncker allait être de faire beaucoup avec peu de moyens. L’esprit du plan a donc été de favoriser un flux d’investissement privés dans un contexte de liquidités abondantes mais de faible appétit pour le risque.

L’idée était donc est en premier lieu de travailler à une meilleure utilisation des financements européens – une idée porteuse compte tenu des critiques montantes sur l’utilisation du budget de l’UE – et également de s’appuyer sur l’expertise et la capacité de la Banque Européenne d’Investissement à être un catalyseur de financements, c’est-à-dire à susciter un afflux de co-financements privés sur les projets qu’elle soutient. Cette dernière était toutefois rétive à l’idée d’accroître sensiblement ses encours de crédits sans augmentation de capital.

Au final, un Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (EFSI) sera créé au sein de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Il sera initialement doté par cette dernière d’un capital de EUR 5 Mds, auxquels s’ajouteront EUR 16 Mds octroyés, sous forme de garanties, par la Commission européenne. D’ores et déjà, celle-ci a réservé EUR 8 Mds pris sur les lignes de crédit existantes de la programmation 2014-2020 pour assurer cette garantie. Les Etats membres, directement ou au travers de leur propres banques publiques d’investissement, sont invités, s’ils le souhaitent, à apporter des contributions supplémentaires à ce capital. x

Dans ce cas, la Commission s’engage à tenir compte de leurs contributions lors de l’évaluation de la situation des finances publiques des Etats concernés.

L’idée est d’utiliser l’EFSI en appuie des activités déjà existantes de la BEI. Celle-ci finance le plus souvent des investissements de long terme, principalement par l’octroi de prêts, mais a également développé des activités de capital-risque et d’octroi de garanties aux mid-caps et aux PME via un fonds dédié, le Fonds Européen d’Investissement (FEI).

Concrètement, l’EFSI fournira une protection partielle du risque (absorption des premières pertes) à certains projets nouveaux financés par la BEI et le FEI. Avec cette protection, la BEI pourra ajouter à son portefeuille des produits capables d’absorber plus de risques que ses produits traditionnels, et d’offrir un financement à des projets plus risqués que ceux qu’elle retient habituellement. Les services de la Commission et de la BEI estiment qu’en moyenne, 1 euros de protection accordé par l’EFSI permettra à la BEI d’investir 3 euros en dette subordonnée dans des projets cofinancés à hauteur de 12 euros par des investissements privés. D’où, au final, l’annonce que les EUR 21 Mds du EFSI permettront de financer EUR 315 Mds d’investissements stratégiques pour l’UE.

Quels projets seront financés ?

Sur ce montant, les services de la Commission estiment que EUR 240 Mds pourraient servir au financement d’investissements à long terme accordés directement par la BEI, et EUR 75 Mds au financement des PME, ETI et des entreprises de moyenne capitalisations, fortement innovantes ou créatrices d’emplois, via le FEI.

Un groupe de travail conjoint Commission européenne / BEI, alimenté par des propositions en provenance des Etats membres2, est chargé de rendre un premier rapport dans les prochaines semaines. Dans la phase opérationnelle, les décisions d’investissement seront systématiquement prises par un comité indépendant. La Commission Européenne souhaite favoriser le financement de projets en lignes avec les politiques de l’UE : infrastructures stratégiques dans le numérique et l’énergie, infrastructures de transports dans les centres industriels, éducation, recherche et innovation. Les candidats potentiels sont a priori nombreux, et plusieurs Etats membres ont d’ores et déjà commencé à communiquer sur les projets qu’ils espèrent voir retenus.

Un fonds d’investissement qui s’insère dans un projet plus large

Pour finir, notons que la création du EFSI s’inscrit dans un plan plus large, qui permet à la Commission d’’estimer que 315 milliards d’euros sont une estimation somme toute prudente de l’impact probable de ce plan sur l’investissement.

D’une part, l’objectif est de créer une plateforme de conseil en investissement (EU investment hub), qui servirait de guichet unique pour les promoteurs de projets en recherche de financement et les investisseurs, et serait à même de les orienter vers les outils communautaires adéquats. Elle bénéficierait de l’expertise technique de la CE et de la BEI. Une « réserve de projets » susceptibles de recevoir des financements européens serait créé, mise à jour en permanence, et rendue publique.

Deuxièmement, J-C Juncker veut associer les Etats membres. Comme nous l’avons dit, ils pourront, sur une base volontaire, contribuer au capital du EFSI. Surtout, ils sont encouragés à optimiser l’utilisation des fonds européens, et en particulier des fonds structurels qui leurs sont alloués en sélectionnant de façon plus exigeantes les projets, et en recourant plus fréquemment à des modes de financements innovants plutôt qu’aux subventions, pour accroitre le cofinancement et l’effet de levier de ces lignes de crédits.

Enfin, les annonces de JC Juncker contiennent tout un volet, que nous ne détaillons ici, de réformes règlementaires visant à améliorer l’environnement européen pour les investissements. Côté financier, il s’agira notamment d’avancer sur le projet d’union des marchés de capitaux, et, côté industriel, de poursuivre l’unification et la déréglementation des secteurs des énergétiques, de télécommunications et de transports.

Les prochaines étapes

D’ores et déjà, les services de la BEI et de la Commission travaillent à la mise sur pied du projet. En outre, un règlement pour la création du EFSI est nécessaire. La Commission, qui publiera sa proposition début 2015, demande au Conseil et au Parlement européen d’en accélérer la procédure d’adoption, en vue d’une entrée en vigueur en juin 2015, date à laquelle l’EFSI et la plateforme européenne d’investissement devraient être opérationnels et entamer leur action.

Mi-2016, une première revue des investissements réalisés pourrait être faite et présentée au Conseil européen, un renforcement du plan envisagé.

Une heureuse surprise dans un environnement très contraint

Tout compte fait, c’est la sélection des projets qui nous semble soulever le plus de questions. Le Comité d’investissement indépendant chargé de statuer sur les choix du EFSI fera-t-il réellement abstraction de la répartition géographique des projets sélectionnés ? D’autre part, les projets doivent être sélectionnés sur leur contribution à l’intérêt général de l’UE, mais, pour bénéficier de cofinancements dans les proportions annoncées, il va falloir organiser leur rentabilité pour des investisseurs privés. Ceci n’est pas forcément évident pour tout type d’investissement et surtout, cela aura un impact sur le coût ou le mode de financement d’infrastructures publiques (concession, rétrocession de produits de taxes, …), qui devront être négociés. Tout ceci nous semble faire peser un important risque baissier sur l’effet multiplicateur que l’on peut réellement attendre dans ce plan, et donc sur le nombre de projets qui pourront in fine être financés.

Au final, nous pensons que ce plan, même s’il comporte des risques d’exécution importants, est plutôt une heureuse surprise dans un environnement très contraint. La principale critique qui lui est adressée est l’absence de moyens publics nouveaux mis à sa disposition. Aussi regrettable soit-elle, cette absence n’est pourtant pas une surprise. Elle était pressentie de longue date. Pour trouver des moyens supplémentaires, le Président de la Commission aurait été obligé de rouvrir des discussions sans fin sur l’augmentation ou la réallocation des fonds de la programmation budgétaire 2014- 2020, qui n’auraient vraisemblablement pas abouti (on se souvient qu’elles avaient tourné au psychodrame européen au tournant de 2012-2013). Ou alors il aurait dû entamer de nouvelles négociations sur la création d’une capacité budgétaire européenne, financée par émission d’obligations européennes.

On peut regretter ce manque d’ambition, mais en renonçant à chercher de financements qu’il n’aurait vraisemblablement pas trouvés, Jean-Claude Juncker s’est finalement autorisé à aller vite, et a mis les chefs d’Etats des 28 devant leurs responsabilités. Ceux-ci sont libres de contribuer au plan de façon individuel, ou coordonnée s’ils parviennent à se mettre d’accord au sein du Conseil. En attendant, le projet est lancé, et tente réellement de répondre aux défis qui se posent à la Commission, en renouant avec l’Europe des projets, en modernisant et dynamisant les modes d’actions des politiques européennes. En listant dès le départ une série d’investissements susceptibles d’être financés, il va rapidement prendre une allure concrète aux yeux des investisseurs (comme des citoyens) et pourrait engendrer un élan favorable.

NOTES

  1. Cet article est une version allégée du Flash Recherche du 27/11/14, « Que penser du Plan Juncker ? »
  2. Des informations de presse évoquent 1800 projets listés par les 28 au total, pour EUR 700 Mds de financements recherchés.

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