par Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque
Alors que le marché applaudit à tout rompre la perspective de rachats de dettes souveraines, faisons le point sur les enjeux d’une nouvelle expansion de la politique monétaire de la BCE.
Il parait inconcevable que la Banque centrale européenne annonce lors de sa réunion de jeudi un renforcement de son dispositif de politique monétaire actuel. Sinon, Mario Draghi confirmerait qu’il cède aux pressions conjointes des politiques et des marchés. Le panorama économique pour la zone euro n’est pas positif, mais les derniers chiffres, notamment à propos de l’inflation, sont conformes aux attentes.
Surtout, il n’y a aucune raison objective de céder à la précipitation tant que le bilan de la deuxième opération de TLTRO du 11 décembre n’aura pas été connu. La première opération ayant eu lieu en septembre, et destinée à réactiver le crédit bancaire en fournissant des liquidités aux banques, fut un échec puisque seulement 82,6 milliards d’euros ont été alloués. Tout indique que la deuxième opération ne remportera pas un succès plus significatif. Tout au plus peut-on espérer que les banques empruntent entre 150 et 180 milliards d’euros. On sera donc très loin du montant total de 400 milliards d’euros qui a été envisagé par la BCE pour ces deux opérations.
Cette fois-ci, Mario Draghi ne pourra pas invoquer la perspective des tests de résistance pour justifier le manque d’appétit des banques pour son programme. Il serait salutaire qu’il reconnaisse que le problème fondamental de la zone euro est lié à la demande de crédits, en raison de la visibilité économique quasi-nulle pour l’Union, et qu’il n’a donc qu’une faible capacité à influencer directement cette composante de la croissance.
Le message brouillé de la BCE
Mario Draghi répète bien sûr, presque à chaque conférence de presse, que les Etats doivent prendre leurs responsabilités mais son message est brouillé puisqu’en même temps il réaffirme son engagement à intervenir de nouveau. Les marchés l’ont bien compris. Si la BCE veut augmenter son bilan de 1000 milliards d’euros, elle n’aura pas d’autre choix que de se lancer dans des rachats de dettes souveraines. La BCE est confrontée à une équation très simple. Dans le meilleur des cas, les rachats d’ABS peuvent atteindre environ 800 milliards d’euros, ce marché étant très étroit dans la zone euro. Il manque, par conséquent, au minimum 200 milliards d’euros.
Le chiffre réel est certainement plus proche des 400 / 500 milliards d’euros si la Banque centrale européenne ne veut pas acheter des actifs de fiable qualité.
Les attentes sont donc grandes et alimentent les phénomènes de bulle spéculative sur certains segments de marché. L’évolution de la courbe des taux d’intérêt des pays périphériques de la zone euro en témoigne. La Grèce, plombée par un endettement public autour de 175% du PIB, pourrait emprunter en 2015 à 8% sur les échéances longues alors que le pays est certainement encore moins viable économiquement que le Venezuela qui emprunte à plus du double sur les marchés financiers.
L’illusion de la toute-puissance des banques centrales
Il est incontestable que le rôle des banques centrales est de faire preuve d’innovation en période de crise. Elles ont dû innover pour sortir de la stagflation des années 70, elles ont été contraintes de le faire de nouveau pour surmonter les conséquences de la crise des subprimes. Mais, aujourd’hui, le problème, c’est que la créativité monétaire est vue comme une fin en soi. On ne s’interroge pas sur les effets exacts des mesures prises.
C’est la première fois dans notre histoire que nous avons simultanément toutes les banques centrales majeures et les gouvernements qui impriment des montants sans commune mesure d’argent. Pour ainsi dire, le monde flotte sur un immense océan de liquidités.
Le cycle d’endettement n’a pas été freiné et, en même temps, la planche à billets ne cesse de fonctionner. Il faudra en payer le prix et on ne peut pas croire que les banquiers centraux n’en aient pas conscience. Cet été, Janet Yellen a exprimé des inquiétudes au sujet de la survalorisation de certains segments de marché mais, à regarder l’évolution du S&P 500, cette mise en garde est passée presque inaperçue.
Le retour de bâton pourrait être douloureux. La montée inévitable des taux d’intérêt mettra en difficulté à la fois les Etats, les entreprises et les ménages. Une réplique du krach obligataire de 1994 n’est pas exclue et même, dans le pire des scénarios, un effondrement complet de certaines monnaies. Contrairement à ce qu’on croit, la crise n’est pas derrière nous. L’action des banques centrales pose les jalons d’une profonde remise en cause du système capitaliste.
Il n’y a pas de solutions toutes prêtes et l’année 2015 devrait le montrer. La croyance dans la toute-puissance des banques centrales va s’éroder, les Etats seront alors contraints de revenir au centre du jeu. Ils n’auront plus d’excuses. On ne peut donc qu’être très pessimiste pour l’an prochain…