par Chris Iggo, Directeur des investissements obligataires chez AXA IM
La chute des prix du pétrole peut annoncer un essoufflement de la croissance au niveau mondial, soit parce que l’offre est trop abondante soit parce que des chefs d’État ont conclu des ententes secrètes. Quoi qu’il en soit, le pétrole bon marché est une bonne nouvelle dans un monde à l’appétit en énergie toujours vorace. La création de plus de 300 000 emplois non agricoles aux États-Unis en novembre est un indice de plus en faveur d’un durcissement de la politique de la Fed l’an prochain. Si la baisse du prix à la pompe donne un autre coup de pouce à la croissance, ce revirement pourrait se produire plutôt que prévu.
Les obligations d’État des pays centraux ont fait de la résistance malgré une croissance américaine toujours plus solide. Néanmoins, à mesure qu’on s’approche du premier relèvement des taux, la prudence est de mise en matière de duration. Les rendements continuent de progresser.
L’or noir perd de son attrait
Le changement le plus important de l’environnement macro-économique au deuxième semestre 2014 est le repli soudain des cours du pétrole. Plusieurs explications ont été avancées : pessimisme économique (la baisse des cours est la conséquence d’une faible demande mondiale, elle-même fruit d’une croissance économique atone), facteurs techniques (augmentation de l’offre provenant des puits de pétrole de schiste américain, mais aussi de la Libye, du sud de l’Irak et de la Russie) et conspiration (baisse orchestrée par le cartel des pays producteurs pour perturber la production américaine de pétrole de schiste ou faire tomber le président Poutine). En tout état de cause, cette ample variation dans le prix relatif du pétrole a des effets économiques non négligeables. La plupart des observateurs s’accordent à dire qu’elle favorise la croissance économique (ce qui est logique si l’on considère les cours élevés du pétrole comme un impôt sur la croissance). L’inflation mondiale va probablement encore refluer. On peut s’attendre à un maintien des taux d’intérêt bas, phénomène qui a dopé les marchés obligataires depuis mi-septembre. Les conséquences prévisibles en matière de taux et de croissance ont aussi joué en faveur des marchés actions. Ainsi, le S&P500 a progressé de 12 % depuis le début de l’année. Les rendements du dernier trimestre s’annoncent excellents…
Les performances des marchés de titres à haut rendement à la peine
…à moins d’avoir un portefeuille exposé aux grands perdants de la baisse des cours du pétrole : pays producteurs et entreprises du secteur du pétrole et de l’énergie en général. Les marchés de devises restent le meilleur indicateur du sentiment des investisseurs mondiaux vis-à-vis d’un pays. L’évolution du cours de devises telles que le rouble, la couronne norvégienne et le peso mexicain montre que les prévisions économiques des principaux pays producteurs sont extrêmement sensibles aux cours au comptant du pétrole. Sur le plan sectoriel, il est clair que les investisseurs en actions et en obligations ont vendu des actions liées au pétrole. Dans mon univers, le secteur des titres à haut rendement américains a été particulièrement touché, l’énergie en représentant environ 13 %. L’indice du marché a cédé 11 % depuis le début du mois de septembre, entraînant l’ensemble du marché américain des titres à haut rendement dans le rouge sur la même période. Ce secteur a, de toute évidence, sous-performé les obligations à haut rendement européennes et les actions américaines, en raison de la forte concentration d’emprunteurs liés au secteur de l’énergie dans l’indice. Les secteurs hors énergie ont davantage tiré leur épingle du jeu, mais le poids de l’énergie sur la performance globale a débouché sur un yield-to-worst de 6,4 % pour le marché des obligations à haut rendement. Si les cours du pétrole se maintiennent à leur niveau actuel, les performances pourraient encore reculer compte tenu de l’effet à attendre sur les flux de trésorerie. En revanche, le marché des titres à haut rendement devient encore plus attrayant dans un contexte de baisse des rendements des bons du Trésor américain et d’optimisme quant à la croissance économique outre-Atlantique.
Malgré la baisse du pétrole, la Fed pourrait revoir sa politique plus tôt
Le pétrole fait toujours l’objet de spéculations quant aux facteurs qui influencent ses cours et eu égard à son contexte géopolitique. Néanmoins, il ne fait aucun doute que la baisse prononcée des cours contribue à la croissance économique à travers l’accroissement du revenu disponible réel. Ce phénomène devrait profiter aux consommateurs américains, européens et, dans une moindre mesure, asiatiques. Malgré le tapage des médias autour du Black Friday, il est difficile d’avoir une idée des ventes au détail avant la publication des chiffres officiels. Certes, les fondamentaux de la consommation aux États-Unis sont très favorables. L’économie américaine affiche un rythme d’expansion raisonnable. Au 3e trimestre, le PIB réel a progressé à un rythme annualisé de 3,9 %. L’indice ISM manufacturier de novembre s’est établi à 58,7 tandis que son équivalent non manufacturier a atteint 59,3. Ce sont d’excellents chiffres. La baisse des cours du pétrole pourrait stimuler davantage la demande dans les mois qui viennent (exception faite des perturbations hivernales habituelles) à tel point que les prévisions du PIB sont d’ores et déjà revues légèrement à la hausse. Si l’on ignore le consensus actuel, on pourrait s’attendre à une intervention anticipée de la Fed en réponse au décollage économique actuel et à des signes de progression des salaires, même en présence d’un IPC toujours bien inférieur à 2 %. Le Livre Beige de cette semaine était globalement positif en ce qui concerne l’économie. Il sera donc intéressant de voir si le FOMC change de ton dans son communiqué du 17 décembre. La forte augmentation de l’emploi non agricole en novembre (312 000 postes créés) réduit d’autant la marge de manœuvre de la Fed. Sans compter les indices pointant vers une progression des salaires.
Vue d’ensemble
Le pétrole joue un rôle de premier plan pour l’économie mondiale et les marchés, mais les banques centrales devraient continuer à occuper le devant de la scène au début de l’année 2015. Je suis convaincu que la Fed sera encore plus attentive aux statistiques et que les prévisions du marché concernant le premier relèvement des taux continueront de fluctuer. Après la publication des chiffres de l’emploi, la partie à 5 ans de la courbe s’est effondrée, le rendement gagnant plus de 100 pb, ce qui reflète un changement dans le calendrier et l’ampleur des hausses de taux envisagés aux États-Unis. En Europe, les mouvements de prix des obligations et des devises seront soumis aux spéculations sur la décision éventuelle de la BCE de se résoudre à acheter des obligations souveraines. Lors de la conférence de presse de cette semaine, Mario Draghi s’est efforcé de laisser cette possibilité ouverte si la BCE ne parvient pas à honorer son mandat de stabilité des prix. Certes, lorsque la BCE a été créée, personne ne pensait probablement qu’il s’agirait de lutter contre les risques de baisse des prix. Les adversaires de l’assouplissement quantitatif n’ont jamais imaginé avoir une autre mission que celle d’empêcher l’inflation de dépasser 2 %. Il est clair depuis longtemps qu’il est difficile de rallier une majorité du Conseil des gouverneurs pour le programme de rachat de titres souverains et que M. Draghi devra déployer toute sa finesse politique afin d’obtenir un large soutien, à défaut d’unanimité. L’assouplissement quantitatif en perspective sera favorable aux marchés obligataires européens jusqu’en 2015. Or, les valorisations sont d’ores et déjà bonnes. Les rendements italiens et espagnols à 10 ans sont inférieurs à 2 %. Certes, cela reste supérieur à la croissance du PIB nominal de la zone euro, mais il reste à savoir si cela est suffisant pour assurer une prime de risque à moyen terme. On peut légitimement penser que, si la BCE continue d’intervenir jusqu’à ce que disparaisse le risque de crédit pour les obligations des États périphériques, la politique monétaire accommodante (monétisation) pour une durée indéterminée fait indéniablement peser des risques inflationnistes à long terme. Il est alors recommandable d’être vendeur d’euro sur les marchés de devises et acheteur de spreads de points morts d’inflation européens (les points morts à 10 ans de l’Italie et de l’Allemagne se situent à 0,98 %). On est alors en droit de se poser une question : l’annonce d’assouplissement quantitatif de la BCE ouvre-t-elle la voie à la plus vaste opération de type « vendre la rumeur, acheter la nouvelle » de la décennie ?
Le crédit est encore intéressant, mais les rendements s’amenuisent
En 2014, les marchés obligataires ont affiché, contre toute attente, une surperformance sur le plan de la duration, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni. Toute surpondération du crédit en Europe s’est révélée payante, compte tenu du rétrécissement continu des spreads dans un contexte de désendettement ininterrompu et de soutien de la BCE. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les obligations d’État et le crédit investment grade ont affiché des rendements similaires et c’est seulement sur le marché des titres à haut rendement qu’on observe une sous-performance, quoique modeste. En début d’année, nous pensions que le principal risque pour la position de consensus (longue sur le crédit et courte sur la duration) était un redressement de la duration et un élargissement des spreads. Cela ne s’est produit qu’à moitié et les investisseurs ont donc enregistré des performances totales confortables sur l’ensemble de l’année. Les spreads sont toujours étroits en raison de la quête de rendement et devraient le rester compte tenu de l’alourdissement accéléré du bilan de la Banque du Japon et de la volonté de la BCE de s’engager sur la même voie.
2014 ne se reproduira pas
Les investisseurs obligataires sont donc dans une position inconfortable pour 2015. Sauf vente en masse dans les trois prochaines semaines, l’année 2015 va donc commencer avec des rendements inférieurs à ceux de fin 2013 (d’environ 75 pb pour les bons du Trésor américain, de plus de 100 pb pour les Gilts britanniques et de 120 pb pour les Bunds allemands). Tous les rendements du crédit ont baissé : de 90 pb (!) en Europe, de 70 pb au Royaume-Uni et de seulement 20 pb aux États-Unis. Il en résulte donc des risques de hausse pour les taux d’intérêt directeurs aux États-Unis et au Royaume-Uni, une poursuite du désendettement outre-Atlantique, tandis que les marchés européens devraient profiter des largesses de la BCE. Par conséquent, on peut difficilement s’attendre à des rendements égalant ceux de 2014 en 2015 (oui, j’avais dit la même chose il y a un an). Prenons l’obligation à 10 ans de l’État italien. Elle présente aujourd’hui un rendement de 2 %, soit 120 pb au-dessus du Bund allemand. Si le spread passe à 100 pb à mesure la BCE s’oriente vers l’assouplissement quantitatif, tandis que les rendements des Bunds allemands restent plus ou moins stables, la performance totale devrait se situer autour de 3,5 % (contre 14 % sur l’année écoulée) pour un portefeuille d’obligations italiennes. Depuis janvier 2014, les obligations allemandes ont enregistré +9 %. Pour maintenir ce niveau au cours des 12 prochains mois, il faudrait que le rendement des obligations à 10 ans devienne négatif. Le ratio risque-rendement ne semble pas très attrayant. En matière de crédit, nous sommes encore positifs compte tenu des fondamentaux des titres investment grade et high yield et de la marge dont disposent encore les spreads pour se resserrer, comme ce fut le cas pendant la majeure partie de l’année. En revanche, les performances dépendront d’éventuels mouvements des taux à la hausse.
Risques de hausse de la croissance
À quoi peut-on s’attendre pour les mois à venir ? Les nouvelles en provenance du secteur pétrolier et des banques centrales seront des facteurs décisifs pour la confiance et les rendements sur le marché. Il faudra également garder un œil sur les indicateurs. Une nouvelle baisse des cours du pétrole, quelques ajustements des taux de change et le maintien des bénéfices des entreprises pourraient contribuer ensemble à une amélioration plus forte que prévu sur le plan de l’économie et des investissements. Par exemple, le carnet de commandes des usines allemandes était plus étoffé en octobre, bondissant de 2,5 % en un mois. Le Japon joue aux montagnes russes avec les nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif et le relèvement de la TVA, mais l’économie présente un potentiel de croissance en raison de la faiblesse du yen et de la hausse des prix. La Chine occupe une place importante dans les prévisions mondiales. Or, ses perspectives sont mitigées. La croissance devrait osciller autour de 7 %, notamment à l’aide de mesures de relance de Pékin. Les éléments déterminants seront néanmoins les avancées structurelles conduisant à une réduction de l’endettement, l’ouverture plus large des vannes du crédit et, plus généralement, la libéralisation des marchés financiers. Comme à l’accoutumée, la Chine adopte une perspective à long terme du monde. Elle semble viser la convertibilité totale du compte de capital et le statut de devise de réserve mondiale pour le RMB. Cela pourrait déboucher sur une ouverture progressive des opportunités d’investissement. Le marché obligataire chinois onshore, le troisième en valeur de marché, affiche une croissance annuelle à deux chiffres. Difficile d’accès pour la plupart des investisseurs, il s’ouvre peu à peu aux étrangers grâce au système de quotas. Les obligations des grandes entreprises à duration moyenne en Chine ont actuellement un rendement de plus de 6 %. Par conséquent, si les rendements des marchés développés restent faibles, l’accès au marché obligataire chinois devrait susciter beaucoup d’intérêt.
L’effet « Nigel Farage » sur les Gilts britanniques
Tous les regards seront encore rivés sur la scène politique, surtout au Royaume-Uni. Le pays s’apprête à voter en mai. Les membres de la coalition actuellement au gouvernement sont pressés d’officialiser leur divorce et l’opposition travailliste aimerait avoir un autre dirigeant. Pour la première fois, les résultats pourraient dépendre d’une force politique relativement nouvelle, l’UKIP, parti politique dont le programme est axé sur un seul thème. Rien ne porte à croire qu’un parti obtiendra une majorité absolue ou que la coalition actuelle (conservateurs et libéraux-démocrates) sera reconduite. Le risque politique sera donc fort au Royaume-Uni, même si la menace d’un référendum sur l’appartenance à l’UE ne se matérialise pas. Les rendements des Gilts britanniques ne semblent pas prendre en compte cette situation. Or, la réduction de l’endettement évoquée dans le discours d’automne de cette semaine s’appuyait sur des hypothèses vraiment très optimistes et quelques astuces comptables. Compte tenu du déficit de plus de 5 % du PIB et de la période d’instabilité politique en perspective, les valorisations des Gilts britanniques semblent exagérées. Les analystes politiques restent également attentifs au sort que connaîtront les partis protestataires dans le reste de l’Europe (notamment en Espagne) et aux risques perpétuels associés aux tensions séculaires et religieuses au Moyen-Orient. Tout retournement éventuel dans l’évolution des cours du pétrole trouvera probablement son origine dans les aléas politiques de cette région.