Besoin d‘un choc de confiance

par Antoine de Salins, Directeur des Gestions chez Groupama AM

L’environnement fondamental n’a pas beaucoup changé : du fait d’un endettement global toujours élevé, les croissances du monde développé sont plafonnées sur le moyen terme. Plus faible, cette croissance mondiale est néanmoins plus saine car le rééquilibrage « épargne‐ consommation » avec son pendant sur les situations externes est en cours. Ce rééquilibrage provoque d’ailleurs la baisse sensible des matières premières, notamment du prix du pétrole. En Zone euro, les progrès en matière de réformes structurelles restent limités.

Si la « toile de fond » reste à peu près la même, le contexte conjoncturel de 2015 s’annonce sous de meilleurs auspices que celui de 2014. En effet, trois éléments vont simultanément soutenir la croissance mondiale : la baisse forte et durable du prix du pétrole va bénéficier économies développées, les politiques monétaires vont rester très accommodantes voire de plus en plus accommodantes (en Zone euro, au Japon mais aussi dans de nombreux pays émergents), et les politiques budgétaires ne pèseront plus sur la croissance comme cela été le cas ces trois dernières années. Dans cet environnement, les Etats‐Unis restent la « locomotive » de la croissance mondiale, la Chine ralentit progressivement mais sans rupture, et l’hémorragie de croissance est stoppée en Zone euro (mais pas les pressions déflationnistes).

Le prix du pétrole est un élément de soutien à la croissance mais il va aussi fortement peser sur les chiffres d’inflation. En particulier, en Zone euro, une incursion en territoire négatif en début d’année est très probable. Dès lors, la mise en place d’un « quantitative easing » de dettes d’État début 2015 ne fait plus de doute. Et si le prix du pétrole devait encore baisser (à 50 USD), le glissement annuel de l’inflation resterait quasiment toute l’année négatif, ce qui augmenterait encore la pression sur la BCE. Cette évolution du pétrole pourrait aussi retarder de quelques mois la date de relèvement du taux FED Fund aux Etats‐Unis.

La FED et la BCE sont donc confrontées à de lourds défis de crédibilité : pour la première, la réussite d’une sortie de politique monétaire non conventionnelle, pour la seconde, l’entrée dans une politique non conventionnelle « à l’américaine ». La FED va poursuivre sa politique totalement pragmatique mais elle a fait le plus dur en annonçant aux marchés en mai 2013 qu’ils allaient être « sevrés ». La BCE est dans une situation plus délicate : son intervention à venir est déjà tardive par rapport à l’évolution des anticipations d’inflation, ses modalités risquent de ne pas convaincre, des dissensions internes non maîtrisées peuvent devenir un évènement politique de première ampleur.

Seul un choc de confiance vis‐à‐vis des agents économiques (et des citoyens) permettra de convertir ces quelques facteurs positifs de soutien conjoncturels en une politique économique crédible et capable d’engranger des résultats tangibles, eux‐mêmes créateurs d’adhésion.

Dans ce contexte qui va rester compliqué et volatil, en particulier en Europe et dans certains pays émergents, nous pensons qu’une prise de risque maîtrisée sur les actifs risqués (crédit, actions, périphériques) est possible de manière sélective en profitant de points d’entrée favorables qu’offrent des « chocs de volatilité » qui, comme en 2013 et 2014, ne manqueront pas de se produire en 2015.

1. Trois éléments structurent notre scénario de moyen terme

i) Une croissance mondiale plafonnée sur le moyen terme.

Avant la crise, la croissance mondiale s’établissait autour de +5.5%. Désormais, il faut envisager un rythme de croissance « normal » plutôt entre +3.5% et +4.0% (+3,3% en 2014 et +3,6% en 2015 dans notre scénario). Pour l’essentiel, trois « freins » pèsent et plafonnent la croissance sur le moyen terme : le vieillissement de la population qui affecte particulièrement les pays développés via un ralentissement dans la croissance de la force active, un rythme de hausse de la productivité plus « normal » ou moins anormalement élevée que ce qui a été observé dans la décennie passée, et surtout, un poids de la dette qui pèse sur la demande agrégée (consommation et investissement). Il convient de garder à l’esprit que dans un tel environnement d’endettement public et privé élevé (singulièrement en Zone euro où le processus de désendettement des acteurs privés n’a pas démarré), l’économie mondiale est durablement vulnérable à tout choc exogène (remontée brutale des taux, …).

ii) Une Zone euro enlisée en raison d’un manque de coordination des politiques économiques et d’insuffisantes réformes structurelles.

Le risque de déflation est quasi‐avéré pour les pays périphériques (Grèce, Espagne, Portugal), mais il peut se diffuser au reste de la Zone euro si les décideurs politiques ne deviennent pas plus pro‐actifs en organisant la coordination des politiques économiques car la politique monétaire ne peut pas tout. La BCE protège maintenant de manière efficace la zone contre le retour du risque systémique du type 2011. Les institutions de la zone ont fait des progrès considérables sur certains sujets (supervision financière) mais force est de reconnaître que les politiques économiques en Zone euro restent gérées « au fil de l’eau » sans avancée significative sur le terrain de l’ajustement structurel. Tant qu’une stratégie crédible n’aura pas été mise en place en France et en Italie qui représentent 38% du PIB de la zone et donc les principaux facteurs de risques, les anticipations des agents économiques (et le crédit) ne se redresseront pas significativement. A l’inverse, les risques déflationnistes peuvent continuer à se diffuser.

iii) Un rééquilibrage de l’économie mondiale défavorable aux pays émergents exportateurs de matières premières.

L’économie mondiale poursuit son rééquilibrage. Ce rééquilibrage « Épargne/Consommation » se met progressivement en place entre pays développés et pays émergents. Il se met aussi en place à l’intérieur des zones à savoir entre pays développés (en Zone euro, l’Allemagne versus l’Espagne) et à l’intérieur des pays émergents (Asie‐Pacifique versus Amérique Latine). De ce point de vue, si la croissance mondiale sera désormais durablement plus faible, elle devrait être aussi plus « saine ». Ce rééquilibrage global provoque une stabilisation du contenu en importations de la production, ce qui signifie un ralentissement dans la croissance des échanges mondiaux. Ainsi, ce processus de rééquilibrage des comptes externes et d’ajustement des bilans s’effectue aux dépens du commerce mondial – et singulièrement des pays émergents – et avec une pression baissière sur les prix, y compris le prix des matières premières (énergie et industrielles).

2. Scénario 2015: des facteurs conjoncturels qui soutiennent simultanément la croissance mondiale.

Au‐delà d’un environnement structurel qui nous conduit à envisager des croissances durablement basses dans les zones où l’endettement reste marqué (singulièrement la Zone euro), l’environnement conjoncturel de 2015 s’annonce sous de meilleurs auspices que 2014. En effet, trois facteurs conjoncturels vont simultanément soutenir la croissance des pays développés : la baisse forte et durable du prix du pétrole, des politiques monétaires extrêmement accommodantes, et des politiques budgétaires qui deviennent « neutres » :

  • nous interprétons la baisse du prix du pétrole comme « fondamentale » au sens où elle reflète un marché où l’offre mondiale excède la demande d’environ 1 million barils / jour. Et ce déséquilibre devrait persister entre une demande de pétrole qui resterait contenue du fait du rééquilibrage de la croissance mondiale, et une nouvelle donne du côté de l’offre, notamment avec la plus forte indépendance énergétique américaine (la production de pétrole y dépasse désormais les importations). Cette baisse du prix du pétrole est incontestablement une bonne nouvelle pour les économies développées (notamment les Etats‐Unis et le Japon), et une mauvaise nouvelle pour les pays émergents exportateurs de matières premières (notamment la Russie) ;
  • les politiques monétaires resteront extrêmement accommodantes, et vont même le devenir davantage en Zone euro, au Japon mais aussi dans de nombreux pays émergents. Qui plus est, la transmission de la politique monétaire tend enfin à s’améliorer en Zone euro avec un coût du crédit qui baisse enfin en lien avec la réduction des taux de marché. Si le resserrement apparaît inéluctable aux Etats‐Unis, la Fed ne prendra aucun risque avec la reprise ; en d’autres termes, la hausse attendue des Fed Funds sera largement justifiée par une macroéconomie très bien orientée. Au total, la liquidité mondiale va donc encore fortement progresser en 2015 ;
  • enfin, les politiques budgétaires ne pèseront plus sur la croissance comme cela été le cas ces trois dernières années. En Zone euro, les gouvernements n’amplifieront pas l’effort structurel, ce qui revient à des politiques budgétaires plus « neutres » voire légèrement expansives.

3. Dans cet environnement, les Etats‐Unis restent la « locomotive » de la croissance mondiale, l’hémorragie de croissance est stoppée en Zone euro et la Chine ralentit progressivement mais sans rupture. 


Ainsi, la reprise cyclique mondiale est toujours portée par la « locomotive » américaine. Aux États‐ Unis, la croissance resterait donc  i) robuste parce qu’elle est synchrone à tous les secteurs de l’économie ; ii) autonome parce qu’une dynamique vertueuse emploi‐investissement s’est enclenchée ; et iii) équilibrée parce que toutes les composantes de la demande privée (consommation, construction et investissement) y contribuent avec une réduction des « doubles » déficits (budgétaire et commercial) ; ce dernier point devant être toutefois nuancé par la hausse des 
 inégalités de revenus amplifiée par la politique monétaire très accommodante qui a soutenu les actifs financiers.

La Zone euro bénéficierait de l’amélioration du contexte international et de la baisse de l’euro, mais les moteurs de la croissance domestique (consommation, construction, investissement) ne prendront pas le relais en raison d’un endettement toujours important dans le secteur privé. Ainsi, le climat des affaires resterait déprimé dans le secteur de la construction eu égard la durée des cycles dans ce secteur et le revenu disponible réel des ménages resterait trop faible pour que les ménages consomment ou se ré‐endettent. Néanmoins, la récente opération de vérité menée sur les bilans bancaires constitue une bonne nouvelle pour la Zone euro dans la mesure où, d’une part, elle assure la crédibilité de la BCE en tant que régulateur, et d’autre part, elle assoie la crédibilité des banques européennes grâce à un exercice complet et transparent.

La croissance en Chine devrait continuer de ralentir. Ce ralentissement est le bienvenu car il provient en premier lieu d’un moindre investissement, qui était la composante qui avait soutenu de façon excessive la croissance des cinq dernières années. Les évolutions récentes suggèrent que la consommation n’est pas complètement immunisée contre ce ralentissement, car les ménages subissent un effet richesse négatif, lié à la baisse des prix immobiliers. La croissance devrait donc perdre sur les deux prochaines années de 0,5 à 1 point, à partir du niveau de 7,3% qu’elle a enregistré en 2014. Dans ce contexte, les tensions déflationnistes resteront présentes (la demande est inférieure à l’offre), mais la stabilité sociale du pays devrait continuer à perdurer, car ce ralentissement est cohérent avec les objectifs de création d’emplois du gouvernement.

Des deux côtés de l’Atlantique, les chiffres d’inflation seront fortement pénalisés dans les prochains mois par la baisse du prix du pétrole. En particulier, en Zone euro, une incursion en territoire négatif en début d’année est très probable au vue des évolutions récentes du prix du pétrole. Dès lors, la mise en place d’un « quantitative easing » de dettes d’État début 2015 ne fait plus de doute. Et si le prix du pétrole devait encore baisser (à 50 USD), le glissement annuel de l’inflation resterait quasiment toute l’année négatif, ce qui augmenterait encore la pression sur la BCE si les anticipations d’inflation devaient baisser à nouveau. Le profil de l’inflation sous‐jacente (dite « cyclique ») est lié à notre scénario économique : le risque est plutôt à la hausse aux États‐Unis et à la baisse en Zone euro.

Les banques centrales ont continûment montré qu’elles ne prendront aucun risque avec la reprise. Reste que l’hétérogénéité dans les croissances conduira à de l’hétérogénéité dans les politiques monétaires entre la perspective d’un resserrement pour les uns (Fed, Banque d’Angleterre) et des décisions toujours plus accommodantes pour les autres (BCE, Banque du Japon).

3. Opportunités et risques majeurs par rapport à notre scénario central.

La principale opportunité proviendrait d’une poursuite sensible de la baisse du prix du pétrole conduisant à un contre‐choc pétrolier. Cette baisse du prix des matières premières (y compris celle du gaz) soutiendrait les pays développés et en première ligne le consommateur américain et les entreprises européennes (si la baisse du prix du pétrole se combine avec celle de l’euro). En revanche, cette baisse du prix du pétrole constituerait une mauvaise nouvelle pour les pays émergents exportateurs de matières premières. Concernant les risques à la baisse, on peut en citer notamment deux :

  • Le calendrier politique européen sera chargé en 2015, et la montée progressive mais constante du sentiment « anti‐européen » devrait régulièrement alimenter les incertitudes sur la gouvernance européenne. Le « bruit » sur la stabilité politique et sociale de la Zone euro est susceptible de peser ponctuellement sur les actifs risqués ;
  • l’évolution récente des marchés d’actifs risqués a rappelé que l’unanimité des banquiers centraux était primordiale pour assurer les investisseurs qu’il y avait un « pilote » de la normalisation monétaire. Toute erreur de communication de la Fed sur la stratégie de sortie serait durement sanctionnée sur les marchés d’actions, ce qui ne manquerait pas de peser sur la demande agrégée via des effets‐richesse négatifs et une tension sur le coût du capital qui freinerait la reprise de l’investissement.

4. Compte‐tenu de l’ensemble de ces éléments, nous anticipons les évolutions suivantes sur les principales classes d’actifs :

  • Un niveau de rémunération des liquidités proche de zéro et inférieur à l’inflation à horizon 1‐ 2 ans en Zone Euro, sous l’effet des mesures prises (ou encore à prendre) par la BCE ;
  • 
 S’agissant des obligations d’Etat, une très grande stabilité à partir des niveaux actuels, en particulier en Zone Euro. A titre d’exemple, nous anticipons un niveau d’OAT 10Y compris entre 1.0 et 1.20 à fin 2015 (toujours 30 bp au‐dessus du Bund). Cette stabilité devrait être la résultante du jeu combiné de l’action de la BCE et de ses flux d’achat (notre scénario incorpore un QE incluant les dettes d’Etat mais limité à 500/600 mds d’euros) mais aussi de l’évolution progressive des anticipations d’inflation qui peuvent encore baisser sous l’influence, en particulier, du prix du pétrole. Les taux longs américains devraient subir une hausse modérée (+50/60 bp par rapport à la situation actuelle) : l’inflation restera sous contrôle nonobstant une croissance au potentiel. L’impact des taux euros « à la baisse » jouera sur les taux américains comme en 2014. D’ampleur plus modeste que ces deux dernières années, le mouvement de compression des spreads périphériques devrait continuer dans ce contexte d’interventions renforcées de la BCE, et avec de la « volatilité politique » (élections espagnoles et grecques) ;
  • En ce qui concerne les obligations d’entreprises et financières, la poursuite de la baisse des primes de risque, nous semble probable Cette classe d’actif semble, en effet, toujours bien positionnée pour bénéficier de flux acheteurs dans un environnement de taux bas, d’un environnement technique favorable, et surtout des conséquences de l’activisme de la BCE.
  • Pour les marchés d’actions, nos anticipations de performance sont modérément haussières en Europe (+7%) et, plus franchement, aux Etats‐Unis (+12%) (dividendes inclus dans les deux cas). Le marchés américain reste attractif parce qu’il est portée par une dynamique bénéficiaire positive des entreprises, ce qui est beaucoup moins le cas du marché européen, qui reste dépendant des mesures de soutien des banques centrales.

5. Au total, nos convictions peuvent se résumer de la manière suivante:

  • L’univers crédit offrant un surcroit de rendement par rapport aux obligations d’Etat, il convient de renforcer régulièrement les allocations aux dettes de financières et d’entreprises en veillant à la diversification et à la sélectivité des portefeuilles, ce qui impose un filtre strict et qualitatif de sélection des émissions. Nous continuons de privilégier les titres offrant le meilleur portage et le meilleur potentiel de performance ajusté du risque réduit sous l’effet du QE (dette hybrides corporate et financières, dettes BBB, dettes périphériques financières).
  • Dans un univers de taux bas, voire négatif, les sources de rendement « satellites » sur des niches de l’univers crédit (High Yield, Dette émergentes), soit des univers moins liquides (Loans, émissions privées, dette d’infrastructures…) doivent être exploitées activement pour doper le niveau de rendement des portefeuilles, toujours en faisant preuve d’une forte sélectivité dans le choix des émetteurs. 

  • Dans un monde où les cycles économiques et monétaires ne sont plus en phase, la diversification géographique reprend de l’intérêt, en particulier pour un portefeuille d’actions. Cette diversification géographique, via par exemple les multinationales à forte présence aux Etats‐Unis, doit être complétée par quelques convictions de moyen terme (privilégier les valeurs sensibles à la baisse des taux et peu à la croissance ou les entreprises qui maîtrisent leur croissance de niche…).

Enfin, dans un contexte où les marchés devraient présenter encore de nombreux épisodes de hausse de la volatilité comparables à ceux que nous avons connus depuis 18 mois, l’investisseur avec un horizon d’investissement long aura intérêt à mettre en œuvre un profil de gestion de type « contrarian » lui permettant d’alléger ses expositions sur les phases d’accélération de marché pour pouvoir les renforcer lors des phases de baisses. Cela implique une capacité à pouvoir réagir rapidement, de manière opportuniste, à de tels mouvements.