L’horizon économique et financier est difficilement lisible au-delà de trois mois

par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque

Les bourses sont dans le rouge et les indicateurs macroéconomiques semblent confirmer les pires scénarios. C’est certainement la première fois depuis le début de l’année que le marché est aussi peu lisible. En dépit de nombreux points d’interrogation à propos de 2015, il y a quelques certitudes : la politique monétaire ne parviendra pas à résoudre toutes les problématiques économiques, la zone euro n’évitera pas une longue période de stagnation tandis que le redémarrage américain a de fortes chances d’être confirmé.

En revanche, appréhender avec exactitude l’évolution des marchés financiers devient de plus en plus difficile. Il ne fait pas de doutes qu’on va droit vers une large correction mais il est impossible de savoir à quelle échéance.

Les flux de liquidité qui ne se sont pas encore résorbés, et l’échec de la politique monétaire à renouer avec une croissance forte et des objectifs d’inflation proches des banques centrales sont nos principales préoccupations pour 2015. Le risque géopolitique ne manquera pas d’être présent mais son impact sera isolé. Les déboires économiques actuels de la Russie sont bien plus le fait de la chute du baril de pétrole que des conséquences de la crise ukrainienne.

Nous avons quatre convictions pour 2015 :

– La première, c’est que les investisseurs ont tout intérêt à alléger leur exposition aux actions américaines, surtout celles concernant les secteurs des biotechs, des nouvelles technologies et des réseaux sociaux qui sont les plus susceptibles de subir une correction majeure. A cet égard, la forte chute du Nasdaq au printemps dernier était certainement un avertissement.

Les actions européennes restent attractives. Elles sont moins surévaluées et aussi moins soumises à un phénomène de bulle spéculative mais leur évolution dépendra étroitement des suites de la politique monétaire en zone euro. La déflation, définie comme une inflation négative sur la durée, autoentretenue, et touchant de vastes segments de prix, n’étant pas notre scénario de base, le risque de fuite des investisseurs des marchés actions européens nous parait minime.

– La deuxième, c’est que la nouvelle donne pétrolière va continuer de marquer les performances boursières et les économies. Bien qu’il soit très difficile de juger avec exactitude de l’évolution des prix du baril, tout porte à croire que les niveaux connus ces trois dernières années ne seront pas atteints de sitôt. Le principal perdant est le Venezuela dont le défaut de paiement est de plus en plus probable du fait du pétrole peu cher, de la fuite des capitaux et du désengagement des investisseurs étrangers. Bien que les marchés émergents soient dans l’ensemble à éviter, ceux qui sont d’importants importateurs de pétrole sont devenus soudainement attractifs.

Parmi les gagnants, l’Inde. Peu de marchés peuvent prétendre aux solides résultats de la bourse indienne. L’indice MSCI India affiche une performance de 23,70% depuis janvier qui s’explique en grande partie par l’amélioration du climat économique et l’endiguement de l’inflation en l’espace d’un peu plus d’un an grâce à une politique de taux élevés. Les réformes structurelles mises en œuvre par Narendra Modi, concernant la libéralisation du prix du diesel, la réforme du marché du travail et la levée des obstacles à l’investissement, permettent d’être très confiant pour l’Inde dans les années à venir. A cela s’ajoutera l’impact positif du contre-choc pétrolier puisque le pays est le quatrième plus important importateur de pétrole mondial.

– La troisième, c’est que le renforcement du dollar semble être un phénomène inexorable l’an prochain mais une grande partie de la hausse, liée au prochain durcissement de politique monétaire aux Etats-Unis, est déjà intégrée dans les prix. Le dollar index a ainsi gagné 10% depuis janvier dernier. Les taux de rendement offerts des deux côtés de l’Atlantique seront la clé de l’évolution du dollar américain en 2015.

– La quatrième, c’est que le salut économique de la France viendra soit de l’UE, en cas de réel plan de relance et d’accentuation des transferts de solidarité vers les pays en difficulté, soit des marchés financiers, en cas d’attaque spéculative forçant le gouvernement à prendre des décisions nécessaires mais impopulaires. On peut déjà considérer que la France ne sera pas en mesure d’atteindre ses objectifs de réduction du déficit et de croissance. Les réformes adoptées vont dans le bon sens mais elles sont mises en application trop lentement et on ne pourra juger de leur impact économique que d’ici un an et demi à deux ans.

La principale incertitude pour la deuxième partie de l’année 2015 n’aura pas trait à la croissance ou à la déflation. Elle aura trait au rythme de redressement des taux aux Etats-Unis. Le premier durcissement de politique monétaire depuis la crise comportera peu d’enjeux mais si des craintes inflationnistes venaient à se manifester par la suite, ce qui n’est pas absurde au regard des montants injectés dans les économies, la FED pourrait augmenter ses taux plus rapidement que prévu ce qui aurait un impact négatif sur les bulles spéculatives formées ces dernières années.

Dans cette perspective, les obligations à haut rendement des entreprises pourraient être en première ligne. Dans un univers financier où les taux sont quasiment partout très bas, les investisseurs, désespérément à la recherche de rendements, se sont reportés sur ces actifs à risque. A court terme, le mouvement à l’œuvre n’a pas vocation à s’arrêter puisque le taux de défaut des obligations d’entreprises aux Etats-Unis est proche d’un point bas historique à 2%. A plus long terme, en cas de correction ou de dégonflement des bulles spéculatives, ce sera certainement le premier marché à surveiller.

Qu’on se le dise, nous n’éviterons pas une purge financière. Celle-ci a peu de probabilités de survenir en 2015 mais elle parait inévitable. Le capitalisme est entré dans une nouvelle phase où les crises sont de plus en plus proches dans le temps et de plus en plus graves. Il faudra s’en accommoder. Gouvernements et banques centrales devront aussi en tirer les conséquences.

2015 sera une année charnière et il est fort probable que la politique revienne sur le devant de la scène. Espérons qu’elle soit plus responsable et disposée à prendre des décisions ambitieuses et novatrices. C’est notre seul souhait pour l’année prochaine.