Changement climatique : les experts tirent la sonnette d’alarme

par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

• On observe des signes de plus en plus évidents du réchauffement climatique, une évolution qui a déjà entraîné des phénomènes météorologiques extrêmes.

• Le changement climatique représente un défi majeur pour l’économie mondiale.

• Le Protocole de Kyoto a eu un impact limité. A son expiration, en 2012, aucun accord n’a été trouvé sur un régime susceptible de lui succéder.

Le défi climatique

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a publié, début novembre, son cinquième rapport d’évaluation. Selon ce rapport, la Terre donne des signes manifestes de réchauffement. Par exemple, la période allant de 1983 à 2012 est probablement la période de 30 ans la plus chaude qu’ait connue l’hémisphère nord depuis 1400 ans. Les données de température de surface combinant les terres émergées et les océans indiquent un réchauffement de 0,85° C au cours de la période 1880-2012. Le rapport établit un lien entre cette évolution et l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique et liés dans une large mesure à la croissance économique et démographique. Il précise que ces émissions ont sensiblement augmenté au cours des quarante dernières années.

Selon le GIEC, le réchauffement de la planète est à l’origine de phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes. En particulier, l’augmentation des épisodes de précipitations abondantes et de crues depuis les années 1970 a été pour l’essentiel le résultat de l’élévation du niveau moyen des mers. Le changement climatique constitue un réel défi pour l’économie mondiale, dont on redoute en particulier l’impact négatif sur la production de denrées alimentaires. L’élévation du niveau des mers sous l’effet conjugué de la hausse de la température de l’eau et de la fonte des calottes glaciaires peut avoir des conséquences graves sur les zones côtières, dans lesquelles se concentre une grande partie de la population mondiale. Ces populations pourraient être confrontées à des inondations fréquentes et à des cyclones tropicaux ainsi qu’à la destruction de leur habitation. En ralentissant la croissance économique, le changement climatique ne rend que plus difficile encore la lutte contre la pauvreté.

Nouvel accord sur le climat: une route semée d’embûches

Le traité de Kyoto a marqué une étape majeure dans la lutte contre les émissions de GES. Son impact a néanmoins été limité car la Chine et les Etats-Unis n’ont pas été soumis à des quotas d’émissions. En 2013, ces deux pays réunis ont représenté 45 % des rejets de dioxyde de carbone dans le monde. Le traité a expiré en 2012 et les efforts ultérieurs portant sur l’adoption d’un accord plus large ont jusqu’à ce jour échoué.

Les pays de l’Union européenne (UE) ont facilement atteint les objectifs qui leur avaient été assignés au titre du protocole de Kyoto. Les émissions de GES ont été bien plus faibles que prévu en raison d’hivers relativement doux mais aussi de la crise économique et financière. Le prix du carbone dans le système d’échange des droits d’émission de l’UE, principal instrument des pays européens, a dégringolé, passant d’environ EUR 30 la tonne en 2008 aux environs de EUR 6 aujourd’hui.

L’objectif des Européens est de réduire d’ici à 2020 les GES de 20 % à 30 % par rapport au niveau de 1990. Lors du Conseil européen d’octobre dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement européens se sont engagés à réduire leurs émissions de GES d’au moins 40% d’ici à 2030. Ces nouveaux objectifs pourraient être bien plus difficiles à atteindre. Quoi qu’il en soit, comme les Européens sont importateurs nets d’énergie, ils ont tout intérêt à réduire leur facture énergétique. De plus, l’Europe espère obtenir un avantage concurrentiel par une transition rapide vers une économie sobre en carbone.

Les Etats-Unis, deuxième émetteur mondial de GES et parmi les tout premiers par habitant, restent le principal obstacle à la conclusion d’un nouvel accord. Ils n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto en raison de la charge trop lourde que cela aurait représenté pour leur industrie. Les émissions de GES y suivent néanmoins une nette tendance à la baisse. En 2012, elles étaient inférieures de 10 % au niveau de 2005, mais supérieures de 5,7% à celui de 1990. De plus, les émissions de CO2 par habitant ont reculé de 17% sur la période 1990-2012, un repli similaire à celui de l’UE.

Récemment, le Président Obama est parvenu à un accord avec la Chine, numéro un mondial des émissions de GES en vue de réduire ces émissions. Les Etats-Unis s’engageraient à diminuer d’ici à 2025 leurs émissions de CO2 de 26% à 28% par rapport aux niveaux de 2005. On peut, toutefois, se demander si le Président Obama sera en mesure de convaincre le Congrès de la nécessité de procéder même à cette modeste réduction. Comme le Parti démocrate a perdu les élections à mi-mandat, le Président doit faire face à une majorité républicaine aux deux chambres du Congrès, qui a traditionnellement été hostile à un accord sur le climat.

Les effets liés au développement de l’exploitation des gaz de schiste sont contrastés. Les émissions de GES dues au secteur de l’électricité aux Etats-Unis pourraient être divisées par deux grâce au remplacement du charbon par le gaz de schiste. Cependant, en l’absence d’autres mesures, les émissions de carbone risquent de ne pas diminuer car les gaz de schiste pourraient aussi évincer d’autres filières telles que le nucléaire, l’éolien et le solaire.

Le deuxième obstacle à la conclusion d’un nouvel accord sur le climat est que le monde a considérablement changé depuis la conclusion du Protocole de Kyoto. La part des pays en développement dans les émissions mondiales de GES a nettement augmenté. En 2012, ces pays représentaient 56% des émissions contre 38% en 1997. La conclusion d’un nouveau traité ne peut être un succès que si les pays en développement acceptent eux aussi de réduire leurs émissions. De plus, les coûts de réduction pourraient être bien plus faibles dans ces pays que dans les pays industrialisés.

Des progrès ont été accomplis dans ce domaine. Dans le dernier accord bilatéral conclu avec les Etats-Unis, la Chine a promis que ses émissions atteindraient un point culminant en 2030. Mais l’accord ne précise pas de combien elles diminueront par la suite.

Enfin, malgré l’augmentation de la part des pays en développement dans les émissions mondiales, le stock de GES dans l’atmosphère est largement imputable aux pays industrialisés. Par ailleurs, les coûts de réduction pourraient être difficiles à supporter pour les pays en développement. Ces pays souhaiteraient pouvoir bénéficier d’un soutien plus large de la part des régions industrialisées de la planète.

A cette fin, un Fonds vert pour le climat a été officiellement créé lors de la Conférence de Cancun en 2010. Le Fonds s’est fixé pour objectif de lever USD 100 mds d’ici à 2020, mais rien n’a été précisé quant aux sources de financement. En novembre 2014, l’engagement des pays industrialisés en faveur du Fonds se limitait à USD 10 mds.

Un scénario haut d’émissions carbone

Le retard pris dans la lutte contre le changement climatique ou le ralentissement des mesures dans ce domaine ont un coût, aussi difficile soit-il à évaluer. Ce coût va des pertes de production en agriculture à des pertes moins évidentes en matière de biodiversité aux conséquences liées au changement du Gulf Stream. Certains chercheurs craignent qu’au-delà de certains « points de bascule » de tels changements néfastes deviennent irréversibles.

Selon les estimations du Rapport Stern, le coût de la passivité face au changement climatique pourrait être égal à une perte permanente de consommation par habitant au niveau mondial de plus de 14 %. Dans ces conditions, le coût des actions nécessaires à la réduction notable des émissions de carbone semble bien négligeable. L’OCDE estime en effet qu’en fixant le prix du carbone mondial à un niveau suffisant pour maintenir la hausse globale des températures sous le seuil de 2°C, la croissance économique ne serait amputée que de 0,2 point de pourcentage en moyenne, soit plus ou moins 5,5 % du PIB mondial en 2050.

Lors de la conférence récente sur le climat à Lima, les pays participants ont confirmé une fois de plus leur engagement à limiter la hausse globale des températures à 2°C, tout en confiant le soin d’élaborer les mesures visant à y parvenir à la 21ème Conférence sur le changement climatique (COP21) qui aura lieu à Paris en décembre 2015.

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