Etats-Unis : Le vert et le noir

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

• Les prix du pétrole chutent et le dollar grimpe, avec pour effet de limiter les pressions inflationnistes.

• Les effets sur l’activité sont, traditionnellement, divergents : positifs pour la baisse des cours du pétrole, négatifs pour l’appréciation du dollar.

• Les Etats-Unis sont devenus le premier pays producteur d’hydrocarbures : les conséquences d’une baisse du cours du brut ne sont plus si faciles à trancher. Par ailleurs, nombre de ses partenaires commerciaux souffriront du recul du prix des matières premières.

• Au final, les effets, bien que temporaires, seront plus marqués sur les prix que sur l’activité.

Depuis l’été dernier, les évolutions sur les marchés financiers ont été dominées par la chute des prix du pétrole et l’appréciation du dollar. Le West Texas Intermediate, le prix de référence du pétrole brut aux Etats-Unis, qui fluctuait légèrement au-dessus de USD100/Bbl depuis le début de 2014, a définitivement cassé ce niveau au début du mois d’août pour temporairement passer, cette semaine, sous la barre de USD 45/Bbl, niveau inédit depuis avril 2009.

Dans le même temps, la valeur externe du dollar, mesurée par son taux de change effectif, a connu une forte augmentation, avec une appréciation de 9% ou 13% selon qu’un indice étroit ou large est retenu.

Ces deux mouvements jouent conjointement sur l’évolution des prix. Depuis le mois de juin, l’indice des prix à l’importation a reculé de 7,3% (-35,6% pour les seuls produits pétroliers et -0,5% pour les autres biens importés). En glissement annuel, l’inflation importée est ainsi de retour en territoire négatif depuis le mois d’août, à -5,5% en décembre, évolution que l’indice excluant les produits pétroliers ne manquera pas de répercuter prochainement. Les effets sont également importants sur les indices de prix nationaux, et particulièrement sur les prix à la production, dont le glissement annuel est également de retour dans le négatif : -0,7% pour l’indice couvrant le prix des produits finis.

Les effets sont aussi notables pour les prix à la consommation, bien que moins marqués : l’énergie ne représente qu’un peu moins de 9% de l’IPC1. Le recul marqué des prix de l’énergie depuis juin (13,3%) explique tout de même l’intégralité de la décélération de l’inflation de 2,1% à cette date à 0,7% en décembre. Sous l’hypothèse d’une stabilisation des prix du pétrole à leurs niveaux actuels, le recul de la composante énergie de l’IPC atteindrait son paroxysme entre les mois de février et de juin, conduisant l’inflation américaine en territoire négatif.

Soutien au pouvoir d’achat

Le passage de l’inflation américaine en territoire négatif restera ponctuel et bien moins préoccupant qu’ailleurs, l’évolution de la conjoncture étant bien plus favorable aux Etats-Unis que dans la plupart des pays développés. Le dynamisme de l’emploi, en soutenant la confiance, et surtout le revenu des ménages, conduit à anticiper que cette baisse ponctuelle des prix agirait comme un soutien supplémentaire au pouvoir d’achat. Dans un contexte de très faible demande, une baisse des prix aggrave les difficultés : même une baisse des prix du pétrole peut conduire à des effets négatifs.

En revanche, dans un contexte de perspectives bien orientées, un recul des prix, ponctuel et concentré sur des produits à faible élasticité-prix (ce qui est le cas de l’énergie), libère du pouvoir d’achat, et ainsi, soutient la demande.

La baisse des prix de l’énergie allège automatiquement une partie des charges fixes des ménages. Les dépenses énergétiques annuelles représentent, en moyenne, USD 626 mds. Une baisse de 10% des prix de l’énergie conduit ainsi à une économie instantanée de plus de USD 60 mds, soit 0,5 point de revenu disponible. Si la totalité de cette économie est consommée en autres biens et services, le PIB s’en retrouve rehaussé de 0,3 point.

Certes, il n’y a aucune certitude sur le choix d’allocation de cette économie. Dans un contexte qui demeure au désendettement2, tout ou partie pourrait être utilisé par les ménages pour améliorer leur position financière. L’évolution récente des flux d’épargne, avec un taux d’épargne passé de 5% du revenu disponible en juillet à 4,4% en novembre, semble indiquer que les ménages ont choisi de privilégier la consommation. Si les données publiées cette semaine n’étaient pas aussi positives, avec un recul marqué des ventes au détail en décembre, elles sont aussi à relativiser : après deux mois de progression très dynamique, la baisse de décembre pourrait ne constituer qu’une correction, alors que des facteurs d’ordre statistique (coefficients saisonniers) pourraient également expliqué, au moins en partie, le mouvement.

Une inconnue réside dans le choix que feront les entreprises bénéficiant de ce recul de leurs coûts de production. Si le retour d’un certain dynamisme de la demande pourrait limiter l’incitation à le répercuter sur les prix de vente, on ne peut exclure que, dans un contexte de concurrence toujours intense, les baisses de prix se multiplient. La profitabilité des entreprises demeurant au plus haut3, cette seconde hypothèse gagne en probabilité. Ainsi, les prix sous- jacent à la consommation, sans reculer, connaissent une nouvelle modération de leur progression. En glissement annuel, l’inflation sous-jacente, qui était de 1,9% entre mai et juillet dernier, est retombé à 1,6% au cours des deux derniers mois de 2014. Mais, encore une fois, dans un contexte de retour au dynamisme, une décélération des prix devrait jouer en faveur du pouvoir d’achat des ménages.

Comptes extérieurs : des effets divergents

Schématiquement, un recul des prix du pétrole profite aux pays consommateurs et pèse sur la conjoncture des pays producteurs. Pendant de longues décennies, les Etats-Unis se plaçaient sans ambiguïté dans la première catégorie. Le diagnostic est aujourd’hui plus complexe avec le boom des nouvelles techniques d’extraction du gaz et du pétrole de schiste, qui a conduit le pays à prendre la première place des pays producteurs d’hydrocarbures, devant l’Arabie Saoudite et la Russie. A court terme, pourtant, l’effet devrait être positif. Bien que premier producteur mondial, les Etats-Unis ne sont pas exportateurs nets, et pour cause : sans être totalement interdites, les exportations de biens énergétiques sont très réglementées, et en pratique, se limitent quasiment à des livraisons vers le Canada4. Les échanges en produits pétroliers sont donc déficitaires. Mais la baisse des prix du pétrole a conduit ce solde à enregistrer, en novembre, le déficit le plus faible depuis la fin de 2008, à USD 137 mds (données annualisées), c’est-à-dire 0,8% du PIB. A titre de comparaison, le solde des échanges en produits pétroliers étaient déficitaires de plus de USD 500 mds à l’été 2008, soit de 3,4 points de PIB.

Si la baisse des prix du pétrole conduit directement à une amélioration des comptes extérieurs, les effets indirects et/ou retardés sont moins tranchés, alors que l’appréciation du dollar joue clairement en sens contraire. Ainsi, les exportations américaines pourraient souffrir du ralentissement économique induit, chez les pays producteurs de matières premières, par le recul des prix. Parmi ces pays, on trouve le Canada qui absorbe près de 20% des exportations américaines, mais aussi une bonne partie de l’Amérique latine (26% des exportations américaines) ou les pays de l’OPEP (5%). L’Union européenne, le Japon et la Chine, qui devraient bénéficier du recul du prix des matières premières, ne représentent ainsi que 24% des exportations américaines et les perspectives économiques n’y sont pas très porteuses…

Non seulement la croissance est peu porteuse chez les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis, mais la compétitivité externe des produits américains se détériore sous le double jeu d’un ralentissement cyclique des gains de productivité et de l’appréciation du dollar. Le premier mouvement est, certes, à nuancer : dans un passé récent, la conjonction d’une productivité du travail dynamique et d’une modération salariale a permis une chute marquée des coûts unitaires du travail, alors que la modération salariale n’a toujours pas été remise en question par l’accélération des créations d’emplois (le glissement annuel des salaires horaires se limitait à 1,9% au dernier trimestre de 2014).

Par ailleurs, cette chute des prix énergétiques a d’ores et déjà eu des conséquences sur le territoire américain. Le coût d’extraction du pétrole de schiste est en effet plus élevé que celui des gisements traditionnels et, aux cours actuels, certains puits ne sont plus rentables5, ce qui a conduit à l’arrêt de la production. Le Dakota du Nord, où le boom énergétique a été particulièrement marqué, a vu le nombre de puits de forage en exploitation retomber récemment aux niveaux de 2010, en baisse de 18% en un an6.

En conclusion, il semble bien qu’il ne faille pas attendre un soutien important d’une baisse des prix du pétrole à l’activité américaine. Mais des incertitudes demeurent : si cette baisse venait à être répercutée sur les prix de vente des autres biens et services, le soutien au pouvoir d’achat sera plus important. En revanche, si le ralentissement induit chez les pays producteurs se révélait plus important et/ou que l’appréciation du dollar pesait de façon marquée sur la compétitivité américaine, l’activité pourrait s’en trouver ralentie.

NOTES

  1. Contre 25% pour le PPI-produits finis alors que les produits pétroliers représentent 17% de l’indice des prix à l’importation.
  2. La dette des ménages augmente de nouveau depuis début 2013, mais moins rapidement que lerevenu disponible, et le taux d’endettement des ménages continue de reculer : 102% (du revenu disponible) au T3 2014, contre 130% à fin 2007.
  3. Après impôts et ajustés de la valorisation des stocks et de la dépréciation du capital, les profits représentaient 8,8% du PIB au T3 2014, 2,5 points sous leur moyenne historique.
  4. En 2013, Les Etats-Unis n’ont exporté que 1,8% de leur production de pétrole brut, la totalité vers le Canada.
  5. D’un gisement à l’autre, le coût d’extraction peut varier énormément, mais il est estimé à environ USD 60/Bbl en moyenne.
  6. Pour l’ensemble du territoire américain, toutes techniques d’extraction confondues, les dernières données disponibles, pour le mois d’octobre, font état d’une baisse de 2,7% depuis le depuis le début d’année.

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