BCE : quelles conséquences du QE ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Sans surprise, la BCE s’est finalement décidée à lancer un grand programme d’achats de titres privés et publics le 22 janvier. En revanche, l’ampleur du programme, consistant en des achats mensuels de 60Md€ jusqu’au moins en septembre 2016 impliquant 1140Md€ au total, est plus importante que ce qui était généralement attendu mais finalement cohérent avec l’intention d’augmenter la taille du bilan vers 3 000Md€.

Les achats de titres publics se feront selon la clé de répartition du capital à la BCE. Il y aura partage des risques sur seulement 20% des titres achetés (sur les 12% de titres d’institutions européennes et sur les 8% des achats faits directement par la BCE). Les achats se feront dans la limite de 33% par émetteur de dette et de 25% par émission. La BCE a par ailleurs décidé de retirer la prime de 10pb (par rapport au refi) payée sur tous les TLTRO. Il y a eu unanimité sur le fait que les achats de titres étaient bien un outil de politique monétaire. En revanche, il n’y a eu qu’une large majorité en faveur d’une action immédiate (pour plus de détails sur les mesures, cf BCE : full QE ci-dessous). Cette décision a probablement été le fruit d’âpres négociations au sein du Conseil pour arriver à un compromis, en témoignent les différentes modalités retenues, qui combinent la volonté de rendre le plan le plus efficace possible tout en essayant de limiter l’aléa moral.

  • Rendre le plan le plus efficace possible : en étant transparente et en s’engageant sur un montant mensuel d’achats à l’image du QE3 de la Fed, la BCE a, de notre point de vue, choisi la manière la plus efficace car elle crédibilise ainsi sa décision. En revanche, elle perd en flexibilité. Par ailleurs, en annonçant un montant de 60 Md€ par mois pendant au moins 19 mois, elle montre sa volonté d’agir vite et fort après des mesures passées qui se sont révélées décevantes en terme de montants (environ 30Md€ pour les achats de covered bonds et d’ABS, 213 Md€ pour les deux premiers TLTRO). Elle se laisse la possibilité de continuer après septembre 2016 si l’inflation n’est pas revenue vers 2%.
  • Limiter l’aléa moral et les objections de certains gouverneurs : en choisissant pour les achats de titres publics d’utiliser la clé de répartition des pays à son capital plutôt que les montants de dette de marché des différents pays, la BCE souhaite éviter les critiques consistant à dénoncer l’avantage conféré à certains pays (notamment à l’Italie) si la deuxième méthode avait été retenue. Par ailleurs, le choix de ne partager les risques que sur 20% des titres reflète la difficulté de faire accepter ce plan par les allemands notamment. De plus, en ne partageant pas les risques sur les 80% restant, cela limite l’aléa moral, c’est-à-dire ici l’incitation de certains Etats à relâcher leurs efforts budgétaires en pensant que les risques seront mutualisés en cas de pertes.

Au-delà des modalités, la grande question reste celle de l’efficacité de ces mesures à redresser l’inflation à moyen terme. Les canaux de transmission les plus directs sont celui de la confiance et celui du taux de change. En effet, en rassurant les agents économiques sur le fait qu’elle mettra tout en œuvre pour remplir son mandat, la BCE essaie d’ancrer les anticipations d’inflation à moyen terme. En particulier, les anticipations 5ans à 5ans, qui avaient beaucoup baissé ces derniers mois pour atteindre un point bas à 1,48% mi-janvier, sont déjà revenues sur une tendance haussière depuis quelques jours en prévision du QE (1,76% le 23/01). Par ailleurs, la dépréciation du taux de change de l’euro devrait se poursuivre mais on a déjà vu un impact important sur l’euro des anticipations de QE (9% de baisse du taux de change effectif depuis mai 2014). Si, en théorie, la dépréciation de la monnaie constitue une dégradation des termes de l’échange (rendant plus chers les produits importés), elle intervient aujourd’hui dans un contexte où l’inflation est négative en raison de la chute du prix du pétrole et atténue ainsi « quelque peu » l’effet baissier. De plus, elle permet à la zone euro de regagner en compétitivité. Les autres canaux de transmission, le canal des taux et du crédit et celui du prix des actifs, n’auront qu’un effet indirect sur l’inflation mais auront d’autres conséquences. En effet, si la baisse généralisée des taux dans la zone euro ne conduira vraisemblablement pas à un boom du crédit privé, elle permettra de rendre les conditions monétaires plus accommodantes, facilitant le financement des états et contribuant à une reprise progressive du crédit. Enfin, les effets richesse étant faibles dans la zone euro, la hausse du prix des autres actifs qui pourrait résulter de l’éviction des investisseurs privés du marché des titres souverains ne devrait avoir qu’un impact marginal sur la croissance.

S’il est aujourd’hui difficile d’apprécier précisément l’ampleur de l’impact du QE de la BCE sur la croissance et l’inflation, il ne fait guère de doute que, via son effet sur les variables financières, il va redonner une bouffée d’oxygène à la zone euro. Toutefois, il ne résoudra pas les problèmes structurels de la zone euro (faiblesse de la croissance potentielle en particulier). La vision optimiste consiste à supposer que via l’impact sur la confiance, le change et les taux d’intérêt réels, la politique de la BCE va conduire au retour du cycle d’investissement à l’image de ce qui s’est produit aux Etats-Unis. La version pessimiste anticipe plutôt un fort relâchement budgétaire favorisé par les achats de dette publique, un enlisement dans la stagnation malgré les conditions monétaires très accommodantes et la création de bulles spéculatives. Face à de nombreux facteurs d’incertitude en ce début d’année 2015, les annonces de la BCE pourraient être le catalyseur permettant un retour de la confiance qui fait tant défaut à la zone euro.

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