Allemagne : Sûre de sa force

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

•  L’Allemagne digère peu à peu la crise russe, son activité redécolle à la faveur de commandes industrielles plus nourries.

•  Outre-Rhin, le modèle fondé sur la compétitivité, la défense des parts de marchés, le respect des équilibres budgétaires, n’est pas prêt d’être remis en cause.

•  L’attitude face à la Grèce restera d’autant plus ferme que Berlin a déjà plutôt mal vécu le « QE » de la BCE.

Au quatrième trimestre, la croissance du PIB devrait être de l’ordre de 0,3% t/t (la première estimation du PIB sera disponible le 13 février, la deuxième avec le détail des composantes de la demande le 24). En effet, la production industrielle a augmenté de 0,5% t/t en fin d’année 2014, ce qui nous donne une première estimation, bien qu’assez grossière, de l’évolution de la croissance du PIB au T4. Par le passé, une augmentation de cette ampleur dans le secteur industriel accompagne une faible croissance du PIB. En outre, selon l’Office nationale des statistiques, la croissance du PIB s’est établie à 1,5% en 2014, après 0,2% en 2013, ce qui est cohérent avec nos prévisions pour la fin de l’année.

Par ailleurs, les données disponibles confirment une accélération progressive de la croissance au cours de l’hiver. Après avoir reculé de 2,4% en novembre, les commandes manufacturières ont bondi de 4,2% en décembre. Au quatrième trimestre, elles progressent donc de 1,9% t/t annonçant un rebond marqué de la production dans le secteur au premier trimestre 2015, après +0,5 % t/t au T4 2014.

Les commandes intérieures (+1,7% t/t) comme étrangères (+1,9%) ont nettement progressé, en particulier celles en provenance de la zone euro (+4,6% t/t). En outre, l’augmentation des commandes de biens d’investissement (+1,9% t/t) est de bon augure pour la poursuite de la reprise de l’investissement privé au premier trimestre 2015. Après un repli de 2,5% t/t au T3, l’investissement des entreprises en capital fixe s’est probablement redressé au T4 tout en n’effaçant pas sa chute du trimestre précédent. Il aurait ainsi contribué positivement à la croissance, bien que modestement, dans un contexte plus favorable (baisse de l’EUR/USD, repli du cours du baril de brut, conditions monétaires et financières particulières accommodantes).

Par ailleurs, selon les enquêtes publiées pour janvier, le climat des affaires a continué de s’améliorer en début d’année. L’indice IFO s’est redressé, en hausse pour le troisième mois consécutif, à 106,7 après 105,5 en décembre. L’indice des conditions courantes a augmenté de près de 2 points, enregistrant la hausse la plus forte importante depuis le début de 2014. Celui des anticipations a progressé pour le troisième mois consécutif. À 102, son niveau le plus élevé depuis août 2014, il s’est retrouvé pour le troisième mois consécutif à nouveau dans la zone de reprise de l’activité. L’enquête ZEW pour janvier s’est, elle aussi, nettement redressée. En hausse de plus de treize points, l’indice des anticipations est désormais revenu sur ses niveaux du début de 2014.

En outre, nombre de conditions sont réunies pour continuer de soutenir la confiance des ménages, salariés et retraités, leur revenu disponible et donc la consommation privée en 2015. Le marché du travail est proche du plein emploi. Le taux de chômage a encore reculé en janvier pour atteindre un nouveau plus bas historique à 6,5% et les salaires progressent à un rythme dynamique (3,0% en moyenne en 2014 contre 2,5% en 2013). Dans la métallurgie, ils ont augmenté de 2,7% en 2014 et devraient continuer sur cette lancée en 2015. Le premier tour des négociations salariales s’est ouvert fin janvier, avec la fin de l’accord de branche prévalant en 2013-2014 et les premiers débrayages organisés par IG-Metall, lesquels ont impliqués près de 70.000 salariés dans quelque 300 entreprises. Le syndicat réclame une hausse de salaires de 5,5% pour 2015, tandis que le patronat propose une revalorisation de 2,2% à compter du 1er mars.

Au terme du cycle annuel des négociations salariales, il est courant qu’une hausse proche de la moitié de la demande syndicale initiale soit accordée. Par ailleurs, l’introduction du salaire minimum au 1er janvier 2015 devrait bénéficier à près de 4 millions d’Allemands et avoir un effet positif sur leur revenu disponible. En outre, l’inflation continue de reculer en ligne avec la baisse du coût des matières premières, principalement du pétrole. En janvier, les prix à la consommation se sont repliés de 0,3% g.a., enregistrant la baisse annuelle la plus importante depuis juillet 2009. Ce recul, le premier depuis septembre 2009, provient principalement de celui des prix de l’énergie (-9% sur un an). Les ménages devraient ainsi pouvoir profiter du repli des cours du baril de pétrole enregistré depuis l’été dernier, qui se traduit, pour eux, non seulement par une baisse du prix de l’essence à la pompe mais aussi par un recul de leur facture de chauffage. Il ne faut toutefois pas minorer l’effet de la décision de la BCE, fin janvier, ni celui de la victoire du parti Syriza en Grèce, sur l’opinion publique allemande. Les enquêtes auprès des ménages et des chefs d’entreprises devraient refléter un regain d’inquiétude en février.

La Grèce vue d’Allemagne

A travers ses prêts bilatéraux et sa participation au capital du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), l’Allemagne est exposée à hauteur de 65 milliards d’euros sur la Grèce (source Commission européenne). Berlin est donc la première concernée en cas de réaménagement de la dette grecque. Or, Alexis Tsipras a fait de cette question le principal thème de sa campagne électorale. A ce titre, il a rappelé que l’Allemagne avait bénéficié d’un plan de restructuration de sa dette aux lendemains de la seconde guerre mondiale. En 1953, lors de la conférence de Londres, un accord dans ce sens avait été trouvé entre l’Allemagne et les pays créanciers (dont la Grèce). Il portait sur plus de 30 milliards de marks, dont une moitié résultant des obligations du traité de Versailles de la Première Guerre mondiale jamais honorées et l’autre correspondant aux emprunts d'après-guerre auprès des Alliés. L’accord a contribué d’une part à effacer environ 15mds de marks, soit près de 40% du PIB de l’époque, et d’autre part à étaler sur 30 ans le remboursement de la somme restante dont le dernier versement a été effectué en octobre 2010. Cet accord a largement contribué à libérer les fonds publics et privés nécessaires à l’effort de reconstruction et au financement de l’économie allemande après- guerre.

Ce rappel historique n’a guère de portée en Allemagne. Par ailleurs, Angela Merkel doit ménager les susceptibilités de l’aile droite de sa coalition. Celle-ci pourrait bien être tentée par les thèses eurosceptiques de l’AfD qui progresse dans les sondages et n’hésite pas à évoquer l’éventualité d’un «Grexit». Toutefois, un rééchelonnement de la dette assorti de garanties de poursuite des réformes structurelles reste dans l’intérêt de tous, créanciers comme débiteur. A juste titre, Stefen Siebert, le porte-parole du gouvernement, rappelait que la question grecque n’est pas bilatérale et ne concerne pas exclusivement l’Allemagne mais bien l’ensemble des partenaires de la zone euro. A ce titre, le nouveau ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, en tournée dans les capitales européennes, a présenté une proposition moins hétérodoxe que l’effacement de dette. Il suggère une restructuration de la dette grecque moyennant un agenda de réformes structurelles et d’excédents primaires.

Les prêts accordés par les pays membres de l’UE seraient swapés contre des obligations indexées sur la croissance nominale et les titres détenus par la BCE contre des obligations « perpétuelles », i.e. portant intérêt indéfiniment. Cette nouvelle stratégie suffira-t-elle à rassurer Berlin ? Les créanciers européens voudront, au minimum, s’assurer de la fiabilité de la mesure de la croissance nominale grecque, ce type d’obligations indexées introduisant une certaine dose de mutualisation des risques. Cette proposition a, au moins, le mérite de jeter les bases d’une négociation avec les partenaires européens. Les prochaines semaines vont donc être cruciales. Offrant un signe supplémentaire d’apaisement à ses partenaires, le gouvernement Tsipras a renoncé à exercer son droit de véto au communiqué de l’Union européenne prévoyant l’extension des sanctions contre la Russie.

Jens Weidmann le président de la Bundesbank, n’a pas attendu longtemps avant de se prononcer sur la politique de rachat de titres annoncée par la BCE, jeudi 22 janvier. Rappelons à cet égard, qu’il s’était déclaré hostile à tout achat de dettes souveraines qui concernerait des titres autres que ceux notés AAA. Or la BCE rachètera des obligations d’État notés au minimum en catégorie investissement (c’est-à-dire avec une note allant de AAA à BBB-, selon l’échelle de Standard & Poors). En outre, les titres dont la notation est inférieure à celle de cette catégorie seront acceptés sous réserve que les pays concernés fassent l’objet d’un programme d’assistance financière. Dans ces conditions, M. Weidman s’est déclaré sceptique quant au bienfondé d’une telle décision de politique monétaire, estimant que celle-ci comportait nombre de risques et de désavantages, dont celui de la mutualisation des risques même réduite a minima. En effet, seuls 20 % des actifs achetés dans le cadre du programme feront l’objet d’un partage des risques et une bonne partie des actifs dont les risques sont mutualisés sont des titres émis par des institutions européennes (dont le risque de défaut est proche de zéro).

Jens Weidman craint que Paris et Rome ne soient désormais moins enclins à poursuivre les réformes structurelles engagées. Il estime par ailleurs que la décision de la BCE surestime les dangers de spirale déflationniste, la baisse actuelle des prix étant, selon lui, principalement imputable au repli temporaire des cours du pétrole. Il redoute donc que l’assouplissement quantitatif n’alimente de nouvelles bulles spéculatives. Berlin s’est abstenu de tout commentaire officiel, respectant le principe d’indépendance de la banque centrale.

Toutefois, Angela Merkel, qui participait aux rencontres de Davos, a déclaré ne pas être surprise de la controverse engendrée en Allemagne par la décision de la BCE, ajoutant que la soutenabilité des finances publiques conjuguée à la mise en œuvre de réformes structurelles demeurait déterminante pour soutenir la reprise économique. La presse Outre-Rhin s’est largement faite l’écho des inquiétudes du Président de la Bundebank, agitant le spectre de la planche à billet et la faiblesse de l’euro et M. Peter Gauweiler, parlementaire CSU et coutumier du fait depuis 2010, a déjà déposé une plainte auprès de la cour constitutionnelle.

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