Vers une reprise du crédit dans la zone euro ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Ces dernières années ont été marquées par la faiblesse du crédit dans la zone euro, corollaire du désendettement des agents privés à l’œuvre dans certains pays de la zone, après la période de forte hausse du crédit précédant la crise financière de 2008. Si prévoir le cycle d’endettement est une tâche ardue, il nous semble que les conditions sont réunies pour que le crédit se renforce progressivement dans la zone euro dans les mois qui viennent. Toutefois, il est peu probable, ni souhaitable d’ailleurs, que le crédit revienne sur les rythmes de croissance d’avant crise (environ 8% par an de 2000 à 2008 à l’échelle de la zone euro).

Le recul du crédit de ces dernières années a été la conséquence de plusieurs phénomènes, allant de la stagnation de la croissance impliquant une faiblesse de la demande de prêts, à divers facteurs influençant l’offre de crédit. Les banques ont, en effet, dû faire face à des crises de liquidité (suite à la crise des dettes souveraines), à la mise en place des nouvelles réglementations de Bâle 3 qui ont modifié le ratio de solvabilité et instauré des ratios de liquidité (LCR, NSFR) et en 2014 à la revue des bilans bancaires (AQR) et aux stress tests menés conjointement par la BCE et l’EBA en amont du nouveau rôle de la BCE de superviseur unique des grandes banques européennes. Ces facteurs ont fortement influencé le comportement des banques conduisant à un important deleveraging. Par ailleurs, la liquidité octroyée lors des opérations exceptionnelles d’allocation de la liquidité à 3 ans de fin 2011 début 2012 n’a pas servi à financer l’économie réelle mais a, en partie, été utilisée pour l’achat de titres publics. Les nouvelles réglementations ont également conduit les banques à renforcer leur détention de titres souverains (hausse de 179Md€ depuis fin 2011 pour les italiennes, de 107 Md€ pour les espagnoles et environ de 68Md€ pour les allemandes et françaises).

Si le recul du crédit était principalement lié à un déficit de demande dans la plupart des pays en 2012 et en 2013, la situation a évolué en 2014. En effet, dans certains pays comme en France, l’absence de demande a continué de peser sur le crédit (manque de projets d’investissement de la part des entreprises et chute de l’investissement résidentiel) alors que dans d’autres pays, comme en Espagne, l’atonie du crédit semblait plutôt résulter d’une contrainte sur l’offre.

Où en est-on aujourd’hui ? Les dernières statistiques et les enquêtes récentes semblent montrer un frémissement de reprise et suggèrent une amélioration dans les mois qui viennent. Les crédits aux agents privés de la zone euro commencent à se stabiliser après un recul d’environ 2/3% par an au cours des deux dernières années. Les premiers signes d’amélioration du côté des crédits aux entreprises sont visibles en France, en Italie et en Espagne.

1/ Le ratio des crédits sur les dépôts (des agents privés) qui constitue un indicateur de la capacité des banques à prêter est repassé en dessous de 100% dans la zone euro (95% en décembre) suggérant que globalement les banques sont aujourd’hui dans une situation où elles peuvent envisager une hausse de leurs prêts. Toutefois la situation est assez contrastée avec un ratio de 93% en Espagne mais plus élevé en France (106%) ou en Italie (108%).

2 / Les conditions de crédit se sont nettement assouplies en 2014 dans tous les grands pays de la zone euro. La transmission de la politique monétaire s’est également améliorée significativement récemment avec notamment une baisse des taux d’intérêt pratiqués par les banques sur les prêts aux agents privés en Espagne et en Italie. Ces conditions de financement vont rester favorables tant que la BCE va mener une politique monétaire très expansionniste, vraisemblablement au cours des deux prochaines années.

3 / La demande de crédit s’est aussi sensiblement renforcée au cours de l’année 2014, que ce soit au niveau des ménages mais aussi des entreprises. L’amélioration des perspectives de croissance pour 2015 en France (cf Edito France : la tentation de l’optimisme) et dans la zone euro suggère une poursuite de ce phénomène. Même si les entreprises ont davantage tendance à se financer directement sur le marché que par le passé, le crédit bancaire reste le principal mode de financement.

Toutefois, nous voyons plusieurs facteurs qui vont constituer un frein à une reprise forte du crédit. La réglementation (Bâle 3) reste une contrainte importante pour les banques. Par ailleurs, même si ces dernières peuvent, grâce aux TLTRO, continuer à prendre de la liquidité à moyen terme (un peu plus de 3 ans) à 0,05% et plus généralement se financer très peu cher, l’aplatissement de la courbe des taux va également représenter un obstacle non négligeable.

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