Zone euro : en progrès !

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

•  La zone euro a enregistré d’assez bonnes performances à la fin de l’année 2014. La croissance du PIB a progressé de 0,3 % (t/t) au T4 2014, tandis que les données d’enquête étaient bien orientées au début du T1 2015.

•  La reprise va probablement accélérer au cours des prochains trimestres.

  L’activité devrait bénéficier tout au long de l’année de l’effet conjugué de plusieurs chocs positifs (chute des cours du pétrole, dépréciation de l’euro et orientation de politique monétaire plus accommodante).

Quatrième trimestre 2014 : pas si mal !

La zone euro a mieux terminé l’année 2014 qu’on ne le prévoyait il y a, à peine, quelques mois. Au dernier trimestre, la croissance du PIB a augmenté, passant à 0,3 % (t/t), contre 0,2 % (t/t) au trimestre précédent. L’Allemagne a maintenu sa solide trajectoire de croissance, mais les autres économies de la zone euro ont aussi relativement bien performé. L’écart entre les niveaux de PIB n’en reste pas moins très important. Le PIB allemand est bien supérieur à son niveau d’avant la crise, celui de la France se situe légèrement au-dessus et celui de l’Italie à près de 10 % en dessous. En Espagne, l’écart est toujours aussi large, mais compte tenu du rythme de croissance soutenu de l’économie (quasiment le double de la moyenne de la zone euro) le PIB de ce pays ne devrait pas tarder à retrouver les niveaux qui étaient les siens avant la crise.

Comme le confirment les données disponibles, la demande intérieure a probablement soutenu l’activité au T4 (la détail des composantes sera publiée au début du mois prochain), laissant penser que la zone euro entre dans une phase de reprise auto- entretenue. Les ventes au détail, qui reflètent assez bien la croissance de la consommation, ont grimpé de 0,8 % t/t au T4 2014 (elles ont été particulièrement dynamiques en Allemagne et en Espagne) contre à peine 0,1 % t/t au T3 2014.

À en juger par les données disponibles par pays, la consommation a été relativement robuste en Allemagne et en France. L’investissement a probablement été moins dynamique que la consommation. Les indicateurs de confiance dans le secteur industriel, qui servent habituellement à évaluer l’évolution de l’investissement (hors construction), ont été relativement stables en moyenne au T4, alors que la production de biens d’équipement, indicateur avancé de l’investissement des entreprises, a à peine augmenté. Enfin, les statistiques relatives aux exportations montrent que, jusqu’au mois de novembre 2014, les exportations hors de la zone euro ont augmenté (en termes nominaux) tandis que la croissance des importations a été bien plus modérée. Certes, la hausse modeste des importations en valeur s’explique en partie par la chute des prix des matières premières. Cependant, les premiers chiffres relatifs aux volumes pour le trimestre (octobre) indiquent que les échanges nets pourraient avoir apporté une contribution positive à la croissance au T4.

La reprise va aller en se renforçant tout au long de l’année

Les perspectives à court terme sont relativement positives. D’après la hausse des indicateurs de confiance en janvier, la reprise pourrait prendre de la vitesse au T1 2015. Notre indicateur du cycle conjoncturel, qui regroupe les données et signaux envoyés par un ensemble de sous-indices correspondant à cinq enquêtes différentes ne dit pas autre chose : la reprise semble véritablement se confirmer.

L’activité va en effet bénéficier, dans le courant de l’année, de plusieurs chocs positifs. Le premier est la chute des prix du pétrole. Depuis le milieu de l’été 2014, le prix du baril a quasiment baissé de moitié en euros. Les fluctuations des prix du pétrole ont un impact presque immédiat sur l’inflation. Des catégories comme les carburants et les lubrifiants, très sensibles au cours du brut, représentent environ 6% de l’IPCH (Indice des prix à la consommation harmonisé). Cependant, les variations des prix du pétrole ont aussi une incidence indirecte sur l’inflation. La chute du prix du baril pousse les coûts des transports et de la production à la baisse, faisant ainsi reculer les prix de l’alimentation et des biens de consommation. Ces facteurs, conjugués au repli des anticipations d’inflation entraîneront une baisse de l’inflation totale. Le repli de l’inflation aura probablement un effet très bénéfique sur la consommation dans la mesure où il va soutenir le revenu réel disponible.

Ce dernier va également bénéficier du redressement en cours du marché de l’emploi et, dans une bien moindre mesure, des salaires. À quelques exceptions près (notamment, l’Allemagne) les hausses salariales vont certainement rester modérées sur l’ensemble de l’année. Le marché de l’emploi a beau se redresser au point même de dépasser les prévisions au T3 2014, sa croissance demeure insuffisante pour réduire sensiblement le taux de chômage, qui reste proche de niveaux record dans plusieurs pays. Compte tenu de l’évolution attendue du revenu disponible, la croissance de la consommation va probablement accélérer au cours des deux prochains trimestres, avant de ralentir de nouveau ; des effets de base moins favorables et liés aux prix de l’énergie vont en effet pousser l’inflation à la hausse vers la fin de l’année.

La forte baisse des prix du pétrole et autres matières premières aura également des effets favorables sur les entreprises qui verront ainsi reculer le coût des intrants. On devrait par conséquent assister à un redressement progressif de leurs profits, une condition nécessaire pour permettre aux entreprises de renouer avec l’investissement.

Le deuxième choc positif est celui provoqué par l’orientation plus accommodante de la politique monétaire. La Banque centrale européenne lancera son programme d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing ou QE) en mars. Aux termes de ce programme, la BCE rachètera tous les mois EUR 60 mds de titres de dette publique et privée jusqu’à fin septembre 2016 et, en tout état de cause, jusqu’à l’inflation revienne en ligne avec l’objectif de stabilité des prix de la BCE.

L’assouplissement quantitatif ainsi adopté aura plusieurs types d’impact sur l’économie. Le rachat d’instruments de dette souveraine aura pour effet d’abaisser les rendements sur les échéances longues alors que les taux courts sont déjà proches de zéro. L’effet de la baisse des rendements devrait progressivement se transmettre à l’économie. En effet, le repli des taux d’intérêt sur les titres de dette publique devrait entraîner une diminution des rendements des obligations d’entreprises, améliorant ainsi les conditions de financement des sociétés non financières, des banques et, en fin de compte, des ménages.

À son tour, l’investissement, très sensible aux variations de taux d’intérêt, pourrait tirer parti de cette baisse. Condition nécessaire, la réduction des coûts de financement n’est cependant pas suffisante pour un redémarrage de l’investissement. Aussi longtemps que les investisseurs n’auront pas la preuve manifeste d’un net redressement de la demande, ils n’engageront pas de nouveaux investissements. C’est probablement la raison pour laquelle, malgré l’amélioration des conditions de financement et la régularité des fonds injectés par la BCE via les opérations TLTRO, à un moment où les établissements de crédit doivent se conformer à des règles prudentielles plus rigoureuses, les statistiques du crédit sont toujours aussi peu dynamiques et la demande de crédit, atone. Cependant, la restauration récente de la confiance, le rebond probable de la consommation et le coup de pouce lié à la demande extérieure pourraient soutenir l’investissement, la demande de crédit et, en fin de compte, l’activité. C’est ce que confirme le dernier Bank Lending Survey (janvier 2015) de la BCE. Alors que les conditions d’octroi du crédit, en termes nets, continuent de s’assouplir, la demande de prêts reste faible, mais elle devrait repartir à la hausse.

Enfin, il convient de souligner que l’assouplissement quantitatif pourrait renforcer l’effet de richesse des ménages. Certes, la consommation dans la zone euro est moins sensible à l’évolution du patrimoine financier que dans d’autres économies comme les États- Unis, mais cet effet est loin d’être nul. Dès lors, le programme QE pourrait aussi avoir un impact sur l’activité et créer les conditions propices à l’accroissement de la demande de crédit.

En résumé, il est très probable que la demande intérieure soutienne l’activité en 2015. Dans un premier temps, la consommation va probablement jouer un rôle de premier plan, mais elle cèdera ensuite la place à l’investissement qui deviendra alors le principal moteur de la demande. En effet, l’amélioration des conditions de financement et le redressement des perspectives de croissance vont créer des conditions propices à l’investissement alors que la dynamique du revenu disponible sera moins favorable à la consommation vers la fin de l’année.

Le dernier choc est lié au taux de change. Depuis le printemps dernier, l’euro a perdu près de 20 % de sa valeur face au dollar et plus de 10 % en termes nominaux effectifs. D’après les modèles économétriques standards, un tel choc devrait se traduire par un gain de croissance de 0,2 à 0,3 point de PIB au bout d’un an. Et la tendance à la dépréciation de l’euro pourrait se poursuivre à terme. Le taux de change évolue en fonction de plusieurs variables. Parmi tous ces facteurs, les fondamentaux économiques, comme les perspectives de croissance et d’inflation, ainsi que l’orientation de la politique monétaire, jouent un rôle crucial. En particulier, le Royaume-Uni et les États-Unis, principaux partenaires commerciaux de la zone euro, sont à un stade plus avancé de la reprise et la politique monétaire de la BoE et de la Fed, d’une part, et de la BCE, de l’autre, suivent des trajectoires différentes. Ainsi, alors qu’il est de plus en plus question de l’entrée de la Réserve fédérale américaine dans un cycle de resserrement monétaire dès l’été prochain, la BCE vient à peine d’annoncer une orientation de politique monétaire bien plus accommodante. Rappelons toutefois que si le taux de change est une variable pertinente pour expliquer l’évolution des exportations, elle n’est probablement pas la plus importante. Les exportations sont en effet plus sensibles à la demande qu’aux fluctuations de change. À cet égard, cependant, les dernières données sont plutôt encourageants.

Certains pays émergents comme la Chine et le Brésil, sans parler de la Russie dont le PIB va probablement chuter cette année, n’affichent pas de très bons résultats, mais les pays développés comme les États-Unis et le Royaume-Uni se redressent à un rythme relativement soutenu. La croissance des exportations va donc probablement accélérer au cours de l’année.

Il existe, cependant, plusieurs facteurs susceptibles de peser sur la croissance au cours des prochains trimestres. En particulier, une hausse des prix du pétrole plus rapide que prévu dans les projections actuelles pourrait limiter la reprise de la demande intérieure. Des regains de tensions géopolitiques risquent aussi de saper la confiance et de réduire la demande à l’égard de la zone euro. Par ailleurs, une certaine lassitude de l’opinion publique à l’égard des réformes structurelles menées pourrait donner un coup de frein aux politique d’ajustement pourtant nécessaires pour stimuler la croissance potentielle de ces pays. Enfin et surtout, l’absence d’accord entre la Grèce et ses partenaires européens concernant la reconduction du plan d’aide pourrait créer de sérieuses tensions sur les marchés financiers. Même si la zone euro est en meilleure situation qu’en 2012 pour faire face à une crise et si les risques de contagion sont plus limités qu’il y a trois ans, il reste difficile d’évaluer les conséquences potentielles pour la zone euro dans son ensemble de la fermeture du robinet des liquidités de la BCE au secteur bancaire grec et d’une sortie forcée de la Grèce de la zone euro. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un scénario extrêmement pessimiste et il n’est probablement dans l’intérêt de personne d’en arriver à ce point de non-retour.

Pour conclure, la zone euro a affiché d’assez bonnes performances en fin de l’année dernière. La croissance du PIB a accélérée à 0,3 % t/t au T4. En outre, d’après les données d’enquête l’activité a continué de progresser à un rythme relativement solide au début de 2015. La zone euro bénéficie d’un ensemble de chocs positifs susceptibles de soutenir l’activité tout au long de l’année. Dans nos prévisions de décembre 2014, la croissance du PIB devait se situer aux environs de 1,1 % en 2015, mais les dernières statistiques et données d’enquêtes, ajoutées aux effets de ces chocs positifs, nous incitent à présent à penser qu’elle sera probablement supérieure à ce niveau. Dans ces conditions, il y a de fortes chances pour que nous procédions à des révisions à la hausse lors de nos prochaines prévisions (mi-mars 2015).

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