Quels sont les pays les plus vulnérables à la baisse du prix du pétrole ?

par Régis Galland, Economiste chez Société Générale

•  La chute du prix du pétrole et la révision à la baisse des prévisions à moyen-terme vont peser sur les comptes publics et extérieurs de l’ensemble des pays émergents producteurs. Cette note vise à discriminer les pays en fonction de leurs fragilités macroéconomiques initiales et de leurs marges de manœuvre financières pour absorber ce choc.

•  L’Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar et les Emirats arabes unis (EAU) disposent de ressources financières substantielles pour absorber ce choc.

•  La plupart des autres pays producteurs de pétrole (Algérie, Angola, Bahreïn, Oman, Nigeria) sont exposés à la baisse de leurs réserves de change, à la dépréciation de leurs monnaies et à des plans d’ajustements budgétaires. Toutefois leurs niveaux de ressources financières devraient leur permettre de prévenir un ajustement macroéconomique brutal. La Russie serait en mesure de contenir l’impact de la baisse du pétrole compte tenu de ses ressources financières. Toutefois, l’économie russe se trouve fragilisée par la combinaison de ce choc négatif avec d’autres facteurs spécifiques (sanctions internationales, risques géopolitiques).

•  Certains pays apparaissent plus vulnérables (Irak, Libye, Venezuela, Yémen) en raison de leurs situations macroéconomiques initiales défavorables et de ressources financières limitées.

Des situations macroéconomiques initiales hétérogènes

Tous les pays émergents producteurs d’hydrocarbures devraient enregistrer un déficit budgétaire en 2015 (à l’exception du Koweït, du Qatar et du Kazakhstan). En effet, le niveau du prix du pétrole qui équilibrerait leurs comptes budgétaires (fiscal breakeven oil price) est nettement supérieur aux prévisions du prix moyen du pétrole pour l’année 2015.

Certains pays apparaissent néanmoins relativement plus vulnérables compte tenu de leurs situations budgétaires initiales. On distingue :

– les pays dont les comptes publics sont excédentaires mais devraient basculer en déficit en 2015.

Pour ces pays, le niveau du prix du pétrole assurant l’équilibre de leur budget se situe entre 75 et 105 USD par baril. L’Arabie Saoudite, l’Azerbaïdjan, Oman et les E.A.U. sont concernés par cette situation.

– les pays dont les comptes publics sont déjà déficitaires et devraient se dégrader encore davantage en 2015.

Pour ces pays, le prix du pétrole qui assure l’équilibre de leurs comptes publics est relativement élevé (en moyenne supérieur à 105 USD par baril). Les pays concernés sont l’Algérie, l’Angola, Bahreïn, l’Iraq, l’Iran, la Lybie, le Nigéria, la Russie, le Venezuela et le Yémen.

La baisse du prix du pétrole devrait également affecter les balances courantes des pays émergents producteurs d’hydrocarbures. Les pays les plus exposés à la baisse du prix du pétrole sont ceux dont la situation initiale des comptes extérieurs est déjà déficitaire (Algérie, Angola, Kazakhstan, Lybie, Oman, Venezuela, Yémen).

La plupart des pays disposent néanmoins de ressources financières confortables

La vulnérabilité des pays présentant des déficits budgétaires et/ou externes doit être néanmoins relativisée compte tenu de leurs ressources financières. En effet, la plupart des pays ont la capacité de mobiliser l’épargne accumulée au cours de la période de hausse du prix du pétrole (réserves de change, fonds souverains, fonds de stabilisation des recettes pétrolières, dépôts à la banque centrale et dans les banques commerciales) pour assurer le financement des déficits budgétaires et/ou externes et prévenir un ajustement macroéconomique brutal.

Les pays combinant un double déficit (budgétaire et courant) et des ressources financières limitées apparaissent comme les pays les plus exposés à la baisse du prix du pétrole (Venezuela, Yémen).

Quelles conséquences prévoir ?

– Des pressions à la dépréciation du change et sur les réserves

La dégradation des équilibres extérieurs des pays émergents producteurs de pétrole va se traduire par des pressions à la dépréciation de leurs monnaies et une baisse du niveau de leurs réserves de change. Le type d’ajustement de chaque économie va dépendre de la nature de son régime de change.

Les pays dont le régime de change est fixe (typiquement les pays du Conseil de coopération du Golfe) vont enregistrer une baisse de leurs réserves de change et devraient préserver la parité de leurs monnaies contre USD. En revanche, les monnaies des pays dont le régime de change est flexible ou « semi-flexible » vont subir une dépréciation de leur taux de change.

Les monnaies des pays tels que l’Algérie, l’Angola, le Nigeria, et la Russie se sont dépréciées contre USD depuis le milieu de l’année 2014. Toutefois, la baisse simultanée des réserves de change de ces pays semble indiquer la volonté des autorités à contenir les pressions à la dépréciation de leurs devises. Le cas de la Russie est spécifique dans la mesure où la dépréciation du rouble et la baisse des réserves de change ne sont que partiellement imputables à la baisse du prix du pétrole.

– Des ajustements budgétaires

La baisse du prix du pétrole devrait contraindre certains pays émergents producteurs d’hydrocarbures à engager des plans d’ajustement budgétaire, et notamment une réduction des dépenses d’investissement. En moyenne, ces pays consacrent une part deux fois plus importante aux dépenses publiques d’investissement (environ 8% du PIB en 2012) par rapport aux autres pays émergents. En particulier, Oman et Bahreïn ont déjà annoncé une baisse des dépenses publiques d’investissement dans les secteurs de l’énergie, de la défense et des infrastructures. Le Venezuela prévoit d’augmenter les taxes sur les produits de luxe, sur l’alcool et les cigarettes. L’Angola a également annoncé une réforme de son système de subventions sur le pétrole.

– Un tassement de la croissance et une hausse de l’inflation

La baisse des dépenses publiques devrait se traduire par un tassement de la croissance dans ces pays et notamment par un ralentissement de l’activité dans les secteurs hors hydrocarbures. Par ailleurs, la dépréciation des monnaies va entrainer une hausse de l’inflation ce qui pourrait conduire à un resserrement monétaire. L’Algérie, par exemple, subit actuellement une poussée inflationniste (l’inflation s’est établie en moyenne à 4,6% en glissement annuel au 2ème semestre 2014 contre 1,2% au premier semestre).

Conclusion

L’analyse croisée des comptes budgétaires et externes et des niveaux de ressources financières de chaque pays nous permet de classer les pays en fonction de leur degré de vulnérabilité à la baisse du prix du pétrole.

– Les pays dont la vulnérabilité à la baisse du prix du pétrole est faible (Koweït, Qatar, Arabie Saoudite, EAU) : Le Koweït et le Qatar devraient continuer à enregistrer des excédents budgétaires et externes confortables. L’Arabie Saoudite et les E.A.U. devraient enregistrer un déficit budgétaire mais disposent d’importants avoirs mobilisables et de positions extérieures solides.

– Les pays dont la vulnérabilité à la baisse du prix du pétrole est moyenne (Algérie, Angola, Azerbaïdjan, Bahreïn, Nigeria, Oman, Iran, Kazakhstan, Russie) : La baisse du prix du pétrole devrait dégrader encore davantage les finances publiques et/ou les comptes externes de ces pays. Néanmoins, leurs ressources financières apparaissent relativement confortables pour prévenir un ajustement économique brutal. La Russie a été classée dans ce groupe de pays mais son cas est très particulier. En effet, l’économie russe se trouve fragilisée par la combinaison de ce choc négatif avec d’autres facteurs spécifiques (sanctions internationales, risques géopolitiques).

– Les pays dont la vulnérabilité à la baisse du prix du pétrole est élevée (Irak, Libye, Venezuela, Yémen) : Ces pays combinent à la fois des déficits courants et budgétaires et des ressources disponibles limitées ou en diminution rapide (Libye).