Fed : pourquoi les marchés ne veulent pas y croire ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

C’est encore le scepticisme qui prévaut sur les marchés concernant une éventuelle hausse des taux directeurs par la Fed cette année. Les contrats Fed funds révèlent l’anticipation d’un premier resserrement fin 2015. Pourtant, de nombreux éléments suggèrent qu’une hausse de taux pourrait avoir lieu dès cet été. Nous continuons de penser qu’une sortie de la politique à taux zéro en juin est possible et souhaitable (cf Edito « Fed : sooner than later »).

Le dernier témoignage devant le Congrès de Janet Yellen va également dans ce sens. Plusieurs points intéressants en sont ressortis : J. Yellen commence à communiquer sur le retrait du fameux « patient » qui avait remplacé le encore plus fameux « considerable time » en précisant que le changement de forward guidance n’impliquera pas nécessairement une hausse de taux dans deux meetings. En d’autres termes, la Fed veut se délier les mains et se redonner de la liberté dans la conduite de sa politique monétaire. Alors qu’une forte incertitude prévalait sur le retrait du « patient » lors du prochain FOMC le 18 mars, les propos de Yellen en ont nettement augmenté la probabilité. Deuxième point important, alors que l’introduction des « développements internationaux » comme facteur supplémentaire à prendre en compte dans les décisions de politique monétaire avait été interprétée comme un élément « dovish », Yellen précise les risques baissiers portant sur l’environnement international mais également les risques haussiers… Enfin, dernier point important, Yellen nuance la baisse des inflations point morts sur les marchés en soulignant qu’elle est principalement liée à d’autres facteurs et non à un recul des anticipations d’inflation à long terme…

Certains vous demanderont pourquoi augmenter les taux alors que la croissance ralentit, que l’inflation est négative (-0,1% en janvier) et que les salaires n’accélèrent pas. Certes, la croissance américaine a décéléré en fin d’année 2014 et se situe désormais sur un rythme entre 2,5% et 3% après environ 5% en milieu d’année 2014, mais elle reste supérieure à la croissance potentielle (estimée entre 2% et 2,25%). Par ailleurs, l’économie américaine n’est plus très loin de son niveau de production potentielle. Il est toujours compliqué de connaître précisément ce dernier mais les différents indicateurs de tension sur les capacités reviennent vers leur niveau naturel ou tendanciel (taux de chômage, taux d’utilisation des capacités). Concernant les prix, l’inflation est négative mais en raison d’un choc exogène. Or contrairement à la BCE, la Fed n’a jamais sur-réagi à un choc pétrole. Par ailleurs, l’inflation sous-jacente ne montre pas de signe de décrochage et les effets de second tour ont peu de chance de se matérialiser. Enfin, la progression des salaires reste modeste à ce stade mais on commence à observer quelques signes d’accélération. Rappelons que les salaires réagissent avec délai à l’ajustement du taux de chômage. Comme l’a rappelé Yellen avec brio, la Fed doit anticiper et non réagir avec retard aux évolutions économiques.

Un autre argument souvent avancé pour discréditer une hausse de taux est celui que les banques centrales ne pourront jamais sortir de leur politique ultra expansionniste sans provoquer une crise. L’ampleur de l’impact sur les marchés et l’économie réelle dépendra grandement de la manière avec laquelle la Fed va gérer sa sortie. Il est très probable qu’elle essaie de contenir la hausse des taux longs de façon à ce que le resserrement monétaire soit très progressif.

La communication va constituer un outil primordial dans les mois qui viennent mais la gestion du bilan sera également très importante (216 Md$ de tombées en 2016). Nous pensons que l’économie américaine peut supporter le changement de cap de la politique monétaire. Certes, les conditions de financement vont progressivement se resserrer. La richesse des ménages ne progressera que modérément limitant les effets richesse. De plus, les entreprises non financières devraient également moins recourir à l’endettement qu’au cours des dernières années mais il n’est pas sûr que cela soit un frein à l’investissement, celles-ci ayant des liquidités importantes à leur actif qu’elles pourraient éventuellement investir. D’autre part, l’appréciation du dollar va dégrader la compétitivité américaine mais l’impact sur la croissance doit être quelque peu nuancé, l’économie américaine étant peu ouverte (les exportations représentent 13% du PIB).

La hausse des taux va pénaliser les détenteurs de titres souverains et modérer la performance des marchés. Mais tout comme la hausse du prix des actifs était un objectif lors de la mise en place des QE, leur modération aujourd’hui, de façon à contenir les risques financiers, est probablement recherchée par la Fed. La dette publique américaine est principalement détenue par la Fed et les investisseurs étrangers (respectivement 19% et 48% du stock). Et ce sont également eux qui ont été les principaux acheteurs de titres entre 2011 et 2013 lorsque les taux étaient très bas…

En revanche, sur le marché des MBS, la détention est moins concentrée (un peu plus de 20% chacun pour la Fed et les banques et 10% pour les mutual funds et les investisseurs étrangers) et plus domestique… La remontée des taux d’intérêt aura également un impact sur les prix immobiliers et les prix des actions, mais en l’absence de surévaluation de ces marchés, une forte correction baissière devrait être évitée. Toutefois, leur progression risque de sensiblement ralentir. Enfin, l’impact sur les taux étrangers notamment européens devrait rester modeste étant donné le QE de la BCE.

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