Grèce : retour sur l’accord

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

•  Les ministres des Finances de la zone euro ont donné leur aval à l’extension de quatre mois du programme de financement de l’Etat grec.

  L’arrangement s’apparente à un accord de principe sur des mesures clés à mettre en place pour débloquer les tranches d’aide restantes. Il devrait réduire l’incertitude liée à la Grèce, du moins à court terme.

  En substance, il ressemble moins à un compromis qu’à une volte-face du gouvernement grec. Il ne manquera probablement pas de tester la solidité de la coalition au pouvoir, voire même la cohésion du parti de la gauche radicale.

  Des sujets moins pressants, mais non moins fondamentaux, n’ont pas été traités. Ils ressurgiront à l’approche du terme de l’arrangement actuel, fin juin 2015.

Les ministres des Finances de la zone euro ont convenu d’étendre de quatre mois le programme de financement de l’Etat grec et d’approuver à partir de fin avril le versement de nouvelles tranches d’aide. L’arrangement s’apparente donc à un accord de principe ouvrant la voie à une clôture définitive du second plan d’aide à la Grèce (en vigueur depuis mars 2012) dans les prochains mois. La réunion aura permis de définir une méthode et de fixer un calendrier. Elle aura également permis de clarifier les positions des différentes parties. Si l’«ambiguïté constructive » – mise en avant par M.Varoufakis – permet potentiellement aux deux camps de se prévaloir de l’obtention d’un arrangement favorable, en réalité l’essentiel des concessions a été réalisé côté grec. Le gouvernement de Syriza n’a obtenu qu’une flexibilité relative sur les objectifs budgétaires de 2015 tandis qu’il s’est engagé à poursuivre la politique économique à l’œuvre depuis 2010, sous supervision internationale. En outre, le sujet de la dette comme celui, lié, du financement du pays à long terme, restent en suspens. Ils feront l’objet de nouvelles négociations à partir de fin juin.

Nous revenons dans cet article sur l’accord de vendredi dernier et ses prolongements avant d’aborder les enjeux de moyen terme pour l’économie grecque. émis par le gouvernement.

Un accord pour se mettre d’accord

Lors de la première rencontre du ministre grec des Finances, M. Varoufakis, avec son homologue allemand, M. Schäuble début février, ce dernier avait exprimé toute la difficulté des négociations à venir en déclarant lapidairement qu’ils n’avaient pu se mettre d’accord que sur le constat de leur désaccord1. De ce point de vue, les conclusions de l’Eurogroupe du 20 février marquent une avancée significative : les européens se sont finalement mis d’accord sur l’idée de se mettre d’accord dans les prochains mois.

Les autorités grecques ont demandé une extension de 4 mois de l’aide financière. Cette dernière a été acceptée par l’Eurogroupe le 24 février sur la base d’une liste de mesures rédigée par le gouvernement grec et servant de point de départ aux négociations qui devraient aboutir fin avril au déblocage des tranches d’aide en suspens. Il y a donc deux échéances distinctes : une extension du programme jusqu’à fin juin dans le cadre duquel un accord sur les réformes à mettre en œuvre devra être trouvé d’ici fin avril. Ce dernier permettra le versement de l’aide financière européenne en suspens : EUR 1,8mds du FESF et EUR 1,9mds de profits de la BCE. Le déblocage de la tranche de financement du FMI (EUR 3,5mds) devra vraisemblablement être négocié en parallèle.

Poursuite des réformes et flexibilité budgétaire

L’accord du 20 février conforte l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative au programme de réformes dans lequel la Grèce est engagée depuis 2010. Les autorités grecques se sont engagées à poursuivre les mesures sur la base de l’arrangement existant. La méthode a toutefois évolué puisque désormais la politique économique n’est plus dictée par la Troïka (Commission Européenne, FMI, BCE) – renommée les Institutions – mais émane des autorités grecques. La Grèce cesse d’être un simple exécutant pour devenir un partenaire de négociations. Dans les faits, les réformes à mettre en œuvre restent toutefois soumises à l’approbation des Institutions, qui conservent in fine le pouvoir de décision. La supervision demeure un élément crucial du plan.

Par ailleurs, le gouvernement grec s’est engagé à ne pas revenir sur les mesures déjà introduites ni à modifier la politique économique dans un sens qui pourrait compromettre les objectifs budgétaires, la reprise économique ou la stabilité financière, tels qu’ils sont évalués par les Institutions. Sauf à tabler sur d’importantes recettes budgétaires nées de la lutte contre l’évasion fiscale (très improbables à court terme) le changement de cap promis par Syriza devrait donc achopper sur l’absence de financement venant des bailleurs de fonds officiels. Les promesses de campagne, au premier rang desquelles figuraient la hausse du salaire minimum, la baisse de la pression fiscale et la hausse des pensions les plus modestes, seront au minimum repoussées. Notons, du reste, que le calendrier empêche de toute façon la mise en place d’une politique budgétaire plus accommodante à court terme. L’aide financière ne sera pas débloquée avant fin avril. Entre temps, le gouvernement grec devra faire face au remboursement de EUR 1,5mds au FMI alors que les EUR 10,9mds réservés au sein du Fonds Hellénique pour la Stabilité Financière ne pourront être utilisés hors du cadre d’une éventuelle recapitalisation bancaire, sur décision de la BCE.

Le gouvernement grec a toutefois obtenu davantage de flexibilité sur l’interprétation des règles budgétaires puisqu’il est désormais dit que le respect des objectifs de 2015 devra prendre en considération les évolutions conjoncturelles. Cette décision s’inscrit dans la lignée des recommandations faites depuis plusieurs années par la Commission Européenne (et le FMI) qui distinguent les efforts budgétaires structurels des évolutions nominales du solde budgétaire. Le gouvernement grec obtient ainsi l’assurance de ne pas être contraint d’introduire des budgets rectificatifs en cours d’année pour faire face à d’éventuels dérapages cycliques des finances publiques. L’avancée n’est pas négligeable. L’incertitude politique a déjà porté un coup à la reprise. Après trois trimestres consécutifs de croissance, l’activité s’est contractée au T4, de 0,2 t/t. Alors que la croissance en 2015 sera très probablement moins forte qu’initialement prévue, cela n’impliquera pas d’austérité supplémentaire.

« Ambiguïté constructive » ?

La cible d’un ratio proche de 120% du PIB à horizon 2020 est Au final peut-on, a l’instar de M. Varoufakis, parler d’« ambiguïté constructive »2? L’expression apparaît quelque peu exagérée. Certes, le changement de méthode évoqué plus haut, tout comme des modifications sémantiques (la Troïka a ainsi été rebaptisée les Institutions et le programme s’appelle désormais l’arrangement), permettront sans doute à l’exécutif grec de mettre en avant l’idée d’un nouveau cadre de discussion avec ses créanciers. La flexibilité budgétaire obtenue en 2015 sera aussi probablement présentée par le gouvernement grec comme la reconnaissance de l’échec de l’austérité à tous crins prônée au début de la crise.

Néanmoins, plus fondamentalement, les principes qui jusqu’alors ont présidé à l’établissement d’une solidarité financière en Europe – conditionnalité de l’aide, supervision et discipline budgétaire en tête – ont été réaffirmés. Les réformes à mettre en œuvre ne sont certes plus directement décidées par des autorités extérieures, mais restent soumises à leur approbation. La liste des mesures acceptées par l’Eurogroupe – sous-tendant l’accord pour l’extension de l’arrangement – reprend une bonne partie des préconisations déjà faites par la Troïka même si l’accent est davantage mis sur la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale. Ces réformes ne constituent, du reste, que le point de départ des négociations qui se dérouleront jusqu’à fin avril, aboutiront normalement à leur mise en œuvre effective, et finalement au déblocage des fonds officiels. Quant aux marges de manœuvres budgétaires pour 2015, il s’agit tout au plus de ne pas étouffer davantage la reprise, l’orientation budgétaire demeurant restrictive.

En définitive, l’accord ressemble moins à un compromis qu’à une volte-face du gouvernement grec. Si le ce dernier évoque une victoire, il s’agit tout au plus d’une victoire à la Pyrrhus Elle ne manquera probablement pas de tester la solidité de l’alliance a priori contre nature entre Syriza et ANEL, voire même la cohésion du parti de la gauche radicale, traversé d’importantes dissensions internes.

Et après ?

L’extension de l’aide financière et la perspective d’un accord d’ici fin avril devraient réduire l’incertitude liée à la Grèce à court terme. L’accès des banques grecques aux opérations de refinancement de la BCE pourrait être restauré tandis que la fuite des dépôts, qui a atteint EUR 20mds depuis décembre, devrait ralentir, voire même cesser. Reste que des sujets moins pressants, mais non moins fondamentaux, n’ont pas été traités. Ils ressurgiront à l’approche du terme de l’arrangement actuel, fin juin. La demande centrale du gouvernement grec est de réduire sur le long cours les exigences d’excédents primaires à un niveau qu’il juge plus soutenable, 1,5%- 2% du PIB par an (contre 4-4,5%). Une telle réduction nécessitera à la fois des financements officiels supplémentaires et une restructuration des prêts européens. De moindres excédents primaires impliquent de plus grands besoins de financement pour faire face au service de la dette. Jusqu’en 2020, réduire ce dernier est impossible car les remboursements se concentrent essentiellement sur les prêts du FMI et les obligations détenues par la BCE, des segments de dettes sur lesquels une restructuration est exclue. En l’absence d’accès aux marchés financiers, le corollaire d’une baisse des objectifs d’excédents primaires est donc une augmentation des concours officiels à la Grèce.

Dans le cadre des accords de novembre 2012, le ratio de dette publique grec est supposé atteindre 124% du PIB en 2020. Pour obtenir un tel résultat en permettant à la Grèce de dégager des excédents primaires moins élevés, les Européens devront accepter une nouvelle restructuration de leurs créances. Des allongements de maturité et des baisses de taux d’intérêt sont aujourd’hui les seules options envisagées. Elles pourraient se révéler insuffisantes.

NOTES

  1. Le ministre grec avait alors rétorqué que la rencontre n’avait même pas permis aux deux camps de tomber d’accord sur le fait de ne pas être d’accord.
  2. Il s’agit d’une expression généralement utilisée en diplomatie européenne faisant référence à l’utlisation d’un langage équivoque qui permet un certain degré de liberté dans l’interprétation des termes d’un accord, offrant ainsi à des parties opposées la possibilité de s’en prévaloir.

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