Banques centrales : entre le marteau et l’enclume

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

De nombreuses banques centrales se trouvent actuellement dans des situations délicates, confrontées d’une part à des conflits d’objectifs internes (entre croissance et inflation) mais aussi, d’autre part, aux conséquences, via l’impact sur leur taux de change, des décisions monétaires de leurs homologues. La conduite de la politique monétaire est devenue une tâche très compliquée pour bon nombre d’entre elles.

Du côté des pays développés, la grande question qui anime les marchés est celle de la capacité de la Réserve Fédérale à sortir de sa politique monétaire à taux zéro. Alors que l’inflation est légèrement négative et que le taux de change s’apprécie (environ 15% sur le dollar effectif depuis mai dernier), la Fed va-t-elle enfin se décider à remonter les taux ? La question n’est pas triviale. La Fed se trouve coincée entre le risque de maintenir trop longtemps une politique monétaire ultra-accommodante (risques financiers) et celui de provoquer un ralentissement marqué de l’économie… Nous continuons de penser qu’elle a les moyens via la communication et la gestion de son bilan de guider les anticipations de façon à éviter des sur-réactions (cf edito Fed : pourquoi les marchés ne veulent pas y croire ?).

Après une période compliquée en 2014 où la décision du lancement du QE a été difficile à prendre, la BCE est probablement la banque centrale qui, à court terme, se trouve dans la position la moins inconfortable. Ceci ne veut pas dire que les mois qui viennent vont être calmes pour elle, la mise en œuvre du QE restant une tâche ardue, mais contrairement à la Fed, le QE étant sur les rails, elle ne se trouve plus dans une situation de dilemme à court terme. En revanche, la situation est plus compliquée pour les banques centrales d’Europe, la Banque Nationale Suisse ou encore celles des pays nordiques qui subissent de plein fouet les effets du QE de la BCE.

Les banques centrales des grandes économies émergentes ne sont pas épargnées. Les problématiques sont très différentes selon les pays (cf trimestriel Economies émergentes : Croissance 2015-2016 : chacun sa route) mais elles font toutes face, à part l’Inde, à des conflits d’objectifs. La Russie et le Brésil sont les deux grandes économies émergentes dont la situation est la plus critique. La première subit les sanctions occidentales mais surtout les conséquences de la chute du prix du pétrole. Perte de confiance, sorties de capitaux et très forte dépréciation du rouble, tensions inflationnistes, chute de l’investissement et de la consommation, l’économie russe va enregistrer une récession prononcée cette année. La stratégie de la Banque de Russie a été, dans un premier temps, de resserrer massivement la politique monétaire (les taux sont passés de 9,5% à 17% en décembre) pour lutter contre l’inflation (qui dépassait largement sa cible) et la baisse de la devise mais renforçant le biais récessif. Elle est revenue sur une stratégie différente, abaissant les taux fin février puis à nouveau en mars (de 17% à 14%).

Le Brésil, quant à lui, subit de plein fouet la baisse du prix des matières premières, le ralentissement chinois et des politiques économiques plus restrictives auxquelles s’ajoutent les scandales politiques. Pour lutter contre l’inflation et les sorties de capitaux, la Banque centrale brésilienne a fortement augmenté les taux (le SELIC est passé de 7,25% mi 2013 à 12,25% actuellement). L’économie brésilienne est désormais entrée en récession et l’inflation dépasse la borne haute de sa fourchette, les prises de décision vont donc être de plus en plus difficiles à prendre.

La Chine ne fait pas exception. En effet, face à un ralentissement plus marqué de son économie fin 2014 et début 2015, la PBoC a déjà commencé à desserrer sa politique monétaire en abaissant deux fois le taux prêteur à un an (de 65pb à 5,35%) et une fois le taux de ses réserves obligatoires. Si contrairement à bon nombre d’économies émergentes, la Chine ne fait pas face à un risque inflationniste (l’inflation est de l’ordre de 1,4%), les autorités monétaires ne souhaitaient pas assouplir la politique monétaire pour d’autres raisons. En effet, pour favoriser sa transition vers son nouveau modèle de croissance tourné davantage vers la consommation et les services et ne reposant plus sur l’investissement public et la construction qui ont conduit à une forte hausse de l’endettement, notamment des collectivités locales, la Chine voulait éviter d’entretenir la progression du crédit. La publication récente de statistiques décevantes suggère que le desserrement monétaire n’est probablement pas arrivé à son terme.

Parmi les BRIC, c’est l’Inde qui se trouve actuellement dans la position la plus confortable. La confiance est revenue et la croissance a accéléré en 2014. Gros importateur de pétrole, l’Inde profite largement de la baisse du cours du pétrole avec des effets positifs sur son inflation, sa croissance et son solde courant. Corollaire de la stabilisation de son taux de change et de l’affaiblissement de son inflation, la RBI a entamé un nouveau cycle d’assouplissement monétaire début 2015 (50pb de baisse à 6,5%) qui devrait se poursuivre.

Retrouvez les études économiques de Natixis