par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Lors du dernier FOMC le 17 juin, la Fed a laissé la porte ouverte à une première hausse de taux en septembre avec pour condition la poursuite de l’amélioration de la situation économique après le trou d’air du premier trimestre. Parallèlement, Janet Yellen a tenu un discours très dovish lors de la conférence de presse permettant finalement au marché de ne pas sur-réagir. Où en est-on ?
Depuis mi-mai, l’économie américaine montre des signes tangibles de reprise. La plupart des statistiques publiées suggèrent que la croissance a rebondi au deuxième trimestre (probablement sur un rythme proche de 2,5%). Par ailleurs, les différentes enquêtes auprès des entreprises révèlent une amélioration des perspectives dans le secteur manufacturier (avec la hausse des commandes notamment) mais aussi dans les services, compatible avec un maintien de la croissance sur un rythme similaire au T3. Les commandes en biens durables hors défense et avions sont revenues sur une tendance légèrement haussière après l’ajustement baissier de l’hiver suggérant une amélioration de l’investissement. De leur côté, les ménages sont également plus confiants. Après sa relative faiblesse du T1 (en hausse de 2,1% en rythme annualisé…), la consommation s’est renforcée récemment, les ménages profitant encore d’une hausse significative de leur pouvoir d’achat. Après leur affaiblissement en début d’année, les indicateurs du marché immobilier sont redevenus positifs. Enfin, le marché du travail a continué de s’améliorer au cours des derniers mois : 208K créations d’emplois en moyenne par mois depuis le début de l’année 2015. Le taux de chômage a atteint 5,3% en juin. Certes, l’inflation totale reste très faible (0%) mais l’inflation hors énergie et alimentation se situe à 1,7% si l’on prend les prix à la consommation et à 1,25% si l’on prend le déflateur de la consommation core. Par ailleurs, les salaires ont commencé à montrer les premiers signes d’accélération, certes modestes mais bien réels…
Au total, ayant absorbé les chocs transitoires du T1 (climat difficile, grèves dans les ports), l’économie américaine semble être revenue sur une dynamique de croissance encore légèrement supérieure à son potentiel (estimé à environ 2%). Toutefois, la baisse de l’investissement dans les secteurs liés à l’énergie, corollaire de la baisse du prix du pétrole, les effets de l’appréciation du dollar et le léger resserrement monétaire en cours (remontée des taux longs) suggèrent un ralentissement de la croissance vers 2% fin 2015 et en 2016, soit un rythme beaucoup plus faible que ce qui est actuellement prévu par les économistes (consensus à 2,8% pour 2016).
Malgré l’amélioration du news flow, les marchés n’ont guère corrigé leurs anticipations de hausse des taux directeurs et ne sont toujours pas convaincus qu’une hausse de taux pourrait avoir lieu d’ici la fin de l’année. En revanche, les taux longs ont commencé à corriger depuis quelques mois puisque le 10 ans américain se situe actuellement à 2,4%, soit environ 60pb au-dessus du niveau de janvier 2015.
Récemment, plusieurs discours de membres de la Fed votant cette année suggèrent la constitution progressive d’un consensus en faveur d’un premier resserrement monétaire en septembre. A noter en particulier celui de Dudley de la Fed de NY. Toutefois, l’incertitude porte sur la position de J. Yellen qui reste déterminante. D’après les dots de juin (projections du niveau des Fed funds par les membres de la Fed), sur les dix votants, cinq anticipent deux hausses de taux d’ici fin 2015 (septembre, décembre), quatre une seule hausse et un seul un statu quo (C. Evans). La question est de savoir si Yellen fait partie des quatre ou des cinq puisque cela change le rapport de force en faveur ou non d’une première hausse en septembre… Toutefois, cette question pourrait perdre de son importance si le news flow continue de s’améliorer ce qui pourrait conduire le groupe des 4 à se rapprocher du groupe des cinq… Ainsi, une première hausse des taux en septembre semble très probable. Qu’est ce qui pourrait finalement empêcher la Fed de passer à l‘acte ?
- Une dégradation soudaine du news flow macroéconomique. De quoi pourrait-elle venir ? D’un environnement international moins porteur mais aussi d’un changement de comportement des entreprises, essayant de restaurer leur profitabilité (les profits se sont ajustés à la baisse ces derniers trimestres) impliquant un rebond de la productivité et en corollaire de moindres créations d’emplois.
- Une sortie de la Grèce qui conduirait à des tensions sur les marchés et une forte incertitude sur la zone euro.
- Une très forte appréciation du dollar (risque grec, anticipation Fed,…) qui resserrerait mécaniquement les conditions monétaires.