par Philippe Waechter, Directeur recherche économique de Natixis AM
Avec un peu plus de 60% des votes, le "non" l'a largement emporté lors du référendum en Grèce tenu le 5 juillet. Alexis Tsipras, qui avait claqué la porte des négociations le vendredi 26 juin, a renforcé son poids en Grèce puisqu'il avait appelé à voter "non" aux réformes et contraintes proposées par le la troïka. Le grand vainqueur du référendum c'est lui. La difficulté maintenant va être de revenir dans la négociation avec la troïka, mais avec un rapport de force qui n'est plus du tout le même. En d'autres termes, les négociations si elles reprennent, prendront en compte le résultat du référendum.
Si la troïka suggère que les termes qui avaient été validés doivent être repris au début des nouvelles négociations alors il y aura un désaccord immédiat puisque les grecs souhaitent d'abord intégrer la réduction de la dette dans la négociation (et pas simplement une restructuration comme suggéré par la troïka).
Le refus de la Grèce de participer à la négociation dans ces conditions pourrait forcer sa mise à l'écart ou forcer la troïka à revoir ses conditions pour ne pas prendre le risque d'une sortie de la Grèce. C'est ce dernier point qui est exposé systématiquement par Alexis Tsipras qui a indiqué, tout au long de la semaine, qu'un vote négatif serait un moyen de forcer le passage.
La troïka peut ne pas rentrer dans ce jeu et indiquer, comme l'a fait la semaine dernière Sigmar Gabriel le vice chancelier allemand, qu'un "non" massif poussait la Grèce vers la sortie de la zone.
La situation, en Grèce et en Zone Euro, a besoin de clarification politique. Il faut que les responsables européens prennent des positions politiques sur ce qu'ils désirent faire de l'Europe. Il faut sortir du calcul d'épicier constaté pendant les négociations pour indiquer clairement ce que pourrait être l'Europe que l'on souhaite. Qu'est-ce que l'on veut faire politiquement et pas simplement sur la dimension économique et financière ? Il faut une sorte de discours fondateur pour définir définitivement le cadre politique souhaité pour la zone Euro. Cette première étape pourrait se faire dans le cadre de la réunion de l'Eurogroup mardi prochain.
La deuxième question portera sur l'attitude de la BCE. Celle-ci doit se réunir lundi pour décider du prolongement ou pas des conditions d'apports de liquidité au système bancaire grec. Celui-ci dispose de moins en moins de cash à distribuer aux grecs. Une éventuelle réduction des apports de la BCE (diminution des montants ou haircut supplémentaire) se traduirait par l'incapacité des banques à rouvrir mardi prochain (quoi qu'il arrive les banques auront du mal à rouvrir le 7 juillet). Les grecs seraient encore plus pénalisés alors que le cash manque et que les magasins se vident de façon inquiétante créant alors davantage d'incertitudes et d'inquiétudes. Le système bancaire en difficulté majeure pousserait alors à la possibilité de créer une nouvelle monnaie. La première solution serait une monnaie interne utilisée par le gouvernement pour payer les fonctionnaires mais sans remise en cause, au moins à court terme, de l'appartenance à la zone Euro. Je ne crois pas à cette solution qui apporterait surement plus d'instabilité que de solutions durables. L'autre solution pour disposer davantage de marges de manœuvre est de créer sa propre monnaie. La Grèce de façon endogène créerait alors sa propre monnaie et sortirait de la zone Euro d'elle-même. Les pressions sur la BCE vont s'accentuer, de toutes les façons, car la Grèce doit rembourser 3.5 Mds à la BCE le 20 juillet.
Un dernier point à souligner sur le référendum est qu'a priori le vote ressemble à celui des jeunes. Les plus de 55 ans semblaient plus favorables au "oui" alors que les jeunes plébiscitaient le "non". Ce passage vers les jeunes est peut être un signal d'une économie et d'une société qui veut se reconstruire suivant de nouvelles règles. Si cela se met en place ce sera un élément clé positif pour la Grèce.
La situation a changé en zone Euro. Le vote "non" oblige nécessairement à repenser le cadre européen. Le précédent créé par les grecs peut renforcer d'autres voix divergentes dans d'autres pays de la zone. C'est pour cela qu'il faut définir un nouveau cadre politique.
Une dernière remarque est de souligner que la zone Euro, sans ce cadre politique, oblige chacun des pays à avoir des attitudes similaires sans aucune marge majeure d'ajustement. C'est l'idée que l'Europe doit "rouler" avec exactement les mêmes règles et peu ou prou à la même vitesse. Dans une union monétaire sans ajustement via les mouvements de population ou via des politiques budgétaires coordonnées, les pays doivent suivre le rythme imposé par la banque centrale. L'absence de cette dimension politique est clairement un handicap pour la zone Euro. Cela doit pouvoir permettre des comportements économiques un peu différents. Cet élément que l'on constate dans tous les régimes fédéraux est nié en zone Euro. Il faut l'introduire. Et là, la zone Euro disposera d'un cadre plus flexible avec une dimension qui ne se résume pas simplement à la politique monétaire de la BCE.
Le vote en Grèce doit avoir la possibilité de créer une réflexion sur cette question. La sortie de la Grèce de la zone Euro ne doit pas être considérée comme une conséquence mécanique du vote sur le référendum. L'Europe est un peu plus complexe que cela. Elle ne peut pas se résumer à sa politique économique et à sa monnaie. Le Grexit peut être une conséquence du vote hellène mais il ne doit pas y avoir de caractère automatique.
Ceux qui sont déçus par le résultat doivent se demander si la zone Euro fonctionnait bien jusqu'alors et si la politique budgétaire avait un rôle fort dans les ajustements macroéconomiques. Ils doivent aussi s'interroger sur l'absence de reprise significative de la croissance au sein de la zone depuis 2011. C'est ce type de question qu'il faut évoquer aujourd'hui et profiter de l'instant grec pour penser l'Europe et la zone Euro comme un cadre susceptible de redonner de la vigueur et de la dynamique à la zone. Le référendum doit être une source de renouveau, l'obligation de repenser notre propre construction afin de lui donner une dimension politique plus marquée. Si cette étape n'est pas franchie, des forces centrifuges au sein de chaque pays de la zone pourraient faire pression sur un modèle qui manque de capacité à s'adapter au risque de le briser.
De ce point de vue, les élections générales en Espagne seront majeures surtout après la prise des mairies de Barcelone et de Madrid par des candidats ne partageant pas l'orthodoxie économique et financière. L'Europe doit désormais être capable d'intégrer ses propres contradictions afin de les contourner et de les résoudre. Elle ne sait pas spontanément le faire, la crise grecque peut l'y aider.
A court terme, la nécessaire redéfinition d'un cadre va engendrer de l'incertitude et pénaliser les actifs risqués. L'attention portera aussi sur les spreads des pays périphériques. Un écartement pousserait la BCE à être plus active afin de ne pas pénaliser les banques de ces pays (en Italie et en Espagne les banques portent des montants significatifs de dette souveraine). Un spread plus important pénaliserait les banques et leur capacité à prêter. L'objectif de la BCE d'améliorer la dynamique du crédit bancaire serait alors pénaliser. C'est aussi pour cela qu'il faut trancher rapidement et éviter ainsi des périodes d'incertitudes qui pénalisent tout le monde. Ces périodes créent des comportements plus attentistes. Pour éviter cela et disposer d'un cycle plus robuste, il faut vite définir la dimension politique de la zone Euro.