France : une reprise graduelle

par Ludovic Martin, économiste au Crédit Agricole

  Après le « trou d’air » du second trimestre marqué par des effets de déstockage importants, une amélioration est attendue au troisième trimestre, avec une progression du PIB réel de +0,3% t/t.

  Les années 2015-2016 se caractérisent par un environnement international favorable à la croissance française.

  Pourtant, la reprise ne serait que graduelle avec 1,1 % de croissance en 2015 et 1,3 % en 2016.

  La consommation en est le principal moteur tandis que l’impulsion de l’investissement reste timide. La contribution de la demande externe serait neutre, ainsi que celle des stocks sur 2015-2016.

Amélioration attendue au troisième trimestre après le « trou d’air » du second trimestre

A ce stade, quel profil de croissance suggèrent pour le troisième trimestre les informations conjoncturelles dont on dispose ? Au mois de juillet, la production industrielle a baissé de 0,8 % par rapport au mois précédent après avoir stagné au mois de juin. La production manufacturière a enregistré une correction plus marquée, en baisse de 1,0 %. Ce mauvais chiffre laisse un acquis négatif de -0,7 % t/t au troisième trimestre. Un signal mitigé donc pour le troisième trimestre. Même si la part de la production industrielle dans le PIB est assez modeste (autour de 11 %), cette dernière constitue toutefois un bon indicateur avancé car elle peut avoir des effets d’entrainement sur le reste de l’économie.

Les données d’enquêtes récentes sont en revanche plus favorables et suggèrent que le « trou d’air » du second trimestre était passager. Les enquêtes PMI et l’enquête de l’Insee sur le climat des affaires ont affiché des évolutions divergentes entre juin et août. Le PMI composite a baissé entre juin et août, perdant 3,2 points pour sortir au mois d’août à 50,2. Cette correction se retrouve aussi bien dans les services que dans l’industrie. A l’inverse, l’enquête Insee a connu une amélioration de 2 points et retrouve le niveau de sa moyenne de long terme, soit le niveau le plus haut depuis l’été 2011. L’enquête PMI du mois de septembre a cependant enregistré un rebond qui a effacé la baisse des deux mois précédents, un signal positif. De plus, le climat des affaires de l’Insee est resté stable en septembre, au niveau de sa moyenne de long terme. Dès lors, aussi bien l’enquête PMI et le climat des affaires de l’Insee restent à des niveaux historiquement cohérents avec une prévision de croissance de +0,3 % t/t.

Pour les derniers points connus, la consommation de biens des ménages a augmenté de 0,3 % en juillet par rapport au mois de juin, avant de stagner en août. A noter également qu’au mois de juillet, les immatriculations progressent de 2,5 % en glissement annuel. En ce qui concerne la confiance des ménages, après cinq mois de stabilité elle a connu une progression marquée au mois de septembre (97, +3 points). Elle reste cependant en dessous de sa moyenne de long terme (100), témoignant d’une morosité persistante alors que la conjoncture est marquée par un ensemble de facteurs positifs.

Pour le troisième trimestre, la prévision de croissance ressort à +0,3 % en glissement trimestriel. Cette prévision est corroborée par notre indicateur avancé de croissance qui se base sur les données d’enquête et les données dures disponibles et indique un chiffre de croissance de +0,2 % t/t. La consommation des ménages progresserait de +0,3 % t/t, et serait un des principaux soutiens à la croissance. L’investissement est attendu en hausse de +0,2 % t/t à l’aune d’une progression de l’investissement des entreprises plus soutenue qu’au trimestre précédent. En revanche, la contribution de la demande externe serait quasi nulle avec une progression des exportations légèrement plus dynamique que celle des importations. Enfin, les stocks qui avaient fortement amputé la croissance au second trimestre, auraient à l’inverse une contribution positive, mais modérée au troisième trimestre.

2015-2016 : une embellie plus timide que celle observée dans le reste de la zone euro

* La consommation des ménages, principal moteur de la reprise

– Une amélioration sous contrainte

La consommation des ménages est le moteur principal de la reprise en cours. Elle progresserait de 1,7 % en 2015, puis 1,3 % en 2016. Elle restera cependant contrainte par un chômage élevé et le processus d’ajustement budgétaire. Plusieurs facteurs positifs soutiennent cependant la consommation, au premier rang desquels une légère remontée du pouvoir d’achat en raison d’une inflation très basse, et d’une légère baisse de la pression fiscale sur les revenus les plus modestes.

Le faible niveau de l’inflation soutient le pouvoir d’achat des ménages. Eu égard à sa rechute récente, on retient à présent l’hypothèse d’une remontée plus lente du cours du pétrole, avec un Brent à 58 dollars fin 2016. La prévision d’inflation retenue lors de notre précédent scénario est donc revue à la baisse (0,1 % en glissement annuel en 2015 et 1,0 % en 2016).

Les baisses d’impôts du Pacte de solidarité jouent favorablement sur les revenus des ménages les plus modestes. En 2015 et 2016, la contribution négative des impôts versés sera donc un peu moins forte qu’en 2014, compte tenu de la révision du barème de l’impôt sur le revenu pour les ménages modestes (5 milliards de baisse d’impôts). Sur ces 5 milliards, 3 ont été attribués en 2015 à la suppression de la première tranche d’imposition sur le revenu (tranche à 5,5 %) et les 2 milliards restant le seraient en 2016, vraisemblablement en jouant sur la tranche d’imposition à 14 %. Ces baisses d’impôts soutiennent la consommation des ménages dont la propension marginale à consommer est la plus élevée. Ces baisses d’impôts sont cependant sans comparaison avec l’augmentation globale de la pression fiscale observée depuis 2011 sur l’ensemble des ménages.

Les revenus d’activité et les prestations sociales verraient leur progression ralentie par plusieurs mesures en 2015 :

  1. la baisse des allocations familiales pour les ménages les plus aisés ;
  2. la mise en place de nouvelles méthodes de calculs d’indexation de certaines prestations sur l’inflation. Jusqu’ici, un certain nombre de prestations sociales étaient calculées à partir d’une estimation de l’inflation. Bercy souhaite désormais qu’un certain nombre de prestations (hormis les retraites) soient revalorisées en avril sur la base d’une inflation constatée. Dans un contexte où l’inflation est souvent plus basse que prévue, une telle mesure permettrait d’économiser environ 500 millions d’euros en 2015 selon l’estimation officielle. Le pouvoir d’achat des ménages qui bénéficient de ces prestations en sera affecté.
  3. Le taux de chômage très élevé qui reste un frein aux revalorisations salariales.

Le processus d’ajustement budgétaire pèse également sur la consommation des ménages. La France reste sous étroite surveillance de la Commission européenne qui a accepté le report à 2017 de l’objectif de 3 % pour le ratio de déficit sur PIB, en contrepartie de nouveaux efforts d’économies sur les dépenses et d’un nouveau programme de réformes. La faiblesse de l’inflation en 2015 et en 2016 implique que l’effort de réduction des dépenses est moins exigeant que prévu. Ainsi, en plus des 50 milliards d’économies planifiées en trois ans sur les dépenses publiques, de nouvelles restrictions budgétaires ont été décidées, qui s’élèvent à 4 milliards en 2015 et 5 milliards en 2016.

Le chômage constitue une autre contrainte jouant négativement sur le niveau de la consommation. L’incertitude que fait peser le risque du chômage pour certaines catégories de ménages peut en effet limiter leur consommation à court terme. Par ailleurs, un taux de chômage élevé (10 % au second trimestre 2015) limite mécaniquement la progression de la consommation, même si par ailleurs en France le système d’allocation est généreux comparé à ce qui peut se pratiquer dans certains autres pays d’Europe.

Au global, les ménages accroîtraient leurs dépenses de consommation en 2015 et 2016. En 2015, ces dernières progresseraient en volume de 1,7 %, puis de 1,3 % en 2016. Le taux d’épargne augmenterait légèrement sur la période 2015- 2016, confirmant un comportement observé depuis la crise de 2008. Il reflète une tendance lourde chez les ménages à développer une épargne de précaution dans un environnement jugé incertain aussi bien sur le plan économique que fiscal. Cette tendance est également cohérente avec le niveau du moral des ménages qui reste en dessous de sa moyenne de long terme et ne connaît pas de nette amélioration, même si la conjoncture pour 2015- 2016 s’annonce sous de meilleurs auspices. Cette résistance du taux d’épargne peut témoigner à long terme d’une modification de l’estimation de leur revenu permanent1 par les ménages.

* L’investissement : en attendant Godot ?

Après une baisse de 1,2 % de l’investissement en 2014, il diminuerait dans une moindre mesure en 2015 (-0,6 %). Les évolutions sont cependant contrastées. L’investissement des entreprises progresserait de 1,1 % en 2015 tandis que l’investissement public se réduirait de 2,8 %. L’investissement des ménages serait en baisse de 3,8 % (soit une contraction moins marquée qu’en 2014 où il avait reculé de 5,3 %).

– L’investissement des entreprises, une reprise graduelle

Plusieurs éléments jouent favorablement sur l’investissement. Les conditions de financement soutiendraient l’investissement en 2015-2016. Les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas, et les conditions de crédit relativement accommodantes. La demande de crédit dépend également de l’efficacité des mesures de politique économique. Les mesures que sont le CICE, le Pacte de responsabilité, et la mesure de suramortissement ont un impact favorable sur l’investissement, mais très graduellement.

Les données d’enquête témoignent d’une amélioration. On peut observer que l’indicateur de retournement de l’investissement de l’Insee demeure à un niveau élevé. Une amélioration qui se justifie sans doute par l’effet d’aubaine que suscite la mesure de suramortissement des investissements valable entre avril 2015 et avril 2016 afin de favoriser l’investissement industriel. Cette tendance est également perceptible dans le secteur des services où le solde d’opinion sur le niveau d’investissement attendu se redresse en septembre (+2) et ressort au-dessus de sa moyenne de long terme (+1). Dans l’enquête sur les investissements dans l’industrie, les industriels anticipent une hausse de 2% de leurs investissements en valeur en 2015. Un chiffre bien modeste si on le compare à celui annoncé dans l’enquête d’avril où les chefs d’entreprises anticipaient une progression de 7% de leurs investissements en valeur. Cette révision à la baisse concerne essentiellement les secteurs de la fabrication de matériels de transport.

Cependant, plusieurs éléments brident la progression de l’investissement productif. Le taux d’utilisation des capacités reste faible, ce qui constitue un frein. En outre, alors que les conditions de crédit sont favorables, les entreprises semblent conserver des attitudes assez attentistes, alors que leurs marges s’améliorent, ce dont témoigne le climat des affaires qui gravite autour de sa moyenne de long terme.

En ce qui concerne le CICE, il est trop tôt pour tirer un bilan ex post de cette politique. On peut d’ores et déjà observer qu’il a permis de redresser les taux de marge des entreprises françaises de manière significative (la baisse des prix du pétrole aidant également). En revanche, un degré d’incertitude persiste quant à son usage.

En effet, une des limites du CICE est la multiplicité des effets recherchés. En matière de politique économique, le nombre d‘instruments mobilisés doit théoriquement être égal au nombre d’objectifs recherchés. Dans le cas du CICE, une des interrogations suscitées par cette politique est qu’elle vise à agir simultanément sur l’emploi, l’investissement et la compétitivité. En outre, en ciblant le CICE principalement sur les bas salaires, on oriente cette politique plus clairement vers l’emploi que vers l’investissement ou la compétitivité. En ciblant les baisses de charges sur les salaires intermédiaires, on cible les secteurs les plus prompts à exporter et à investir, tandis que le ciblage sur les bas salaires favorise des entreprises avec une moindre tendance à investir les subventions, qui seraient plus probablement utilisées pour embaucher ou augmenter les salaires.

Enfin, si l’objectif visé du CICE est de favoriser l’investissement productif, le champ très large peut constituer une limite dans la mesure où il revient à « saupoudrer » l’ensemble de l’économie alors que les besoins en investissement productif ne sont pas homogènes dans l’ensemble des secteurs. En particulier, le secteur de l’industrie nécessite souvent des investissements plus lourds que le secteur des services. Dès lors, bien que les mesures d’allègement de charge soient très positives pour les entreprises, le scénario de reprise de l’investissement que l’on retient est celui d’une reprise graduelle.

– L’investissement des ménages, une convalescence graduelle

L’ajustement de l’investissement des ménages devrait se poursuivre, même si le rythme de correction anticipé, pour l’année 2015 (-3,8 %), est moindre que celui observé en 2014 (-5,3 %). La baisse de l’investissement en logement serait notamment légèrement plus faible qu’en 2014, du fait de la remontée en cours des ventes de logements neufs, liée aux diverses mesures de soutien.

De fait, on observe un redressement du marché immobilier en 2015, avec une légère hausse des ventes dans l’ancien et un rebond dans le neuf. Les rachats de crédit atteignent des niveaux record2. Ainsi, si les deux premiers trimestres de 2015 ont vu une contraction de l’investissement des ménages importante, la fin de l’année serait plus favorable. A noter par ailleurs que les rachats de crédit et les renégociations soutiennent indirectement le revenu disponible des ménages.

* Commerce extérieur

Après avoir contribué négativement à la croissance en 2014 (-0,5 point), une contribution neutre du commerce extérieur est attendue en 2015 et 2016. On attend une progression des exportations de 6,0 % en 2015, après +2,4 % en 2014, un rythme légèrement supérieur à celui des importations. Les exportations profiteront en effet à la fois d’un léger mieux lié à la croissance européenne et à celle des pays anglo-saxons. La dépréciation de l’euro jouera également un rôle favorable. L’hypothèse sous-jacente à notre scénario intègre une baisse de la monnaie unique jusqu’au second trimestre 2016 pour atteindre 1,04 dollar avant de remonter légèrement à 1,06 dollar fin 2016.

A noter par ailleurs que la récente chute des monnaies émergentes face au dollar américain implique que l’euro a perdu vis-à-vis de ces monnaies la compétitivité qu’il avait temporairement retrouvée. Par conséquent, le gain de compétitivité global qui découle de la dépréciation de l’euro s’en trouve atténué toutes choses égales par ailleurs vis- à-vis de ces partenaires.

Alors que le tableau de la croissance des pays émergents se noircit comparé à l’exercice précédent, les économies développées bénéficieraient de la perspective d’un pétrole meilleur marché. En juin, notre prévision du prix du brent était de 67 dollars le baril ; elle s’établit désormais à 53 dollars pour la fin 2015. Le ralentissement des pays émergents, qui représentent 20 % des exportations de la France, serait globalement compensé par le commerce en direction des pays développés (80 % des exportations).

Cependant, le déficit structurel de compétitivité de la France (coût et hors coût) continue à entraver la progression des exportations ce qui n’incite pas à céder trop à l’optimisme. Certes, le solde du compte courant de la balance des paiements affiche un excédent de 1,3 milliard au second trimestre 2015, mais celui-ci est largement dû à la réduction de la facture énergétique. En revanche, les parts de marché françaises stagnent, ce dont témoigne la part des exportations de biens et services de la France dans la zone euro.

Les importations seront également plus dynami- ques en 2015 (+5,6%, après +3,9% en 2014), soutenues par le redressement de la demande interne (la demande intérieure totale contribuerait à hauteur de 1,1 point à la croissance en 2015, après 0,7 point en 2014). Toutefois, la progression des importations reste contenue en cohérence avec le rythme très graduel de reprise de l’investissement total. La croissance des importations demeure inférieure à sa moyenne de long terme. (+5,1% en moyenne sur quinze ans entre 1985 et 2010).

* Contribution des stocks

La contribution à la croissance attendue des stocks en 2015 serait légèrement négative (-0,1 point en 2015), mais neutre sur la période 2015-2016. Après avoir pesé sur la croissance au second trimestre on peut s’attendre à une contribution positive des stocks au cours du second semestre de 2015, d’autant que la consommation des ménages progresserait. Au total, on obtiendrait une contribution légèrement négative des stocks en 2015. En effet, dans l’enquête sur l’industrie de septembre, le solde d’opinion sur les stocks est jugé supérieur à sa moyenne de long terme par les industriels (16 contre 13). A long terme, historiquement la contribution des variations de stock à la croissance est proche de zéro.

* Réformes : plusieurs chantiers en cours

Sur le plan de la politique économique plusieurs chantiers sont en cours mais dans l’immédiat aucune proposition ne remet en cause notre scénario pour 2015-2016 dans la mesure où il s’agit principalement d’annonces. Les principaux projets en cours sont : la loi Macron II, la réforme du marché du travail à la suite du rapport Combrexelle et la question de la relance de l’investissement sur la base des recommandations du rapport de Villeroy de Galhau.

La loi Macron II ne serait pas présentée avant la fin de l’année et porterait sur l’ « entreprenariat et le numérique ». Sur la réforme du marché du travail, le rapport Combrexelle ne propose pas de réforme dont les effets attendus seraient immédiats. L’enjeu principal de ce rapport est de proposer une nouvelle méthode de régulation des relations du marché du travail. Il ne touche pas au code du travail stricto sensu, mais il vise à transformer les méthodes de régulation des relations du travail afin de donner aux acteurs les moyens et la volonté de participer aux négociations, et de fait ne pas en rester à une logique purement juridique. Par ailleurs, sur des dossiers plus sensibles comme la réforme du temps de travail ou la question du salaire minimum par exemple, il est très peu probable que le gouvernement entreprenne de les réformer à court terme. Enfin, le rapport sur l’investissement de Villeroy de Galhau sera remis à l’automne, son objet étant de favoriser le redémarrage de l’investissement productif en France.

Un des enjeux essentiels reste le redressement de la compétitivité (coût et qualité) de l’appareil productif et sa réorientation vers les secteurs innovants. Ce processus est long et complexe, on peut toutefois espérer un impact favorable à moyen terme des mesures de soutien aux entreprises, 41 milliards en année pleine à l’horizon 2017.

NOTES

  1. Cela fait écho à la théorie du revenu permanent de Milton Friedman selon laquelle les agents ne déterminent pas leur consommation courante en fonction du revenu courant mais en fonction de leur revenu permanent (c’est-à-dire de la somme qu’un consommateur peut dédier à sa consommation en maintenant constante la valeur de son capital). En d’autres termes, les agents lissent leur consommation sur le long terme.
  2. Voir la note France-Crédits et placements, septembre 2015.

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