par Xavier Lépine, Président du directoire de La Française AM
L’être humain exprime son désir mimétique en grande partie par l’opposition. Il en est de même pour les générations. Si la génération des baby-boom s’était exprimée par "sous les pavés la plage" et "il est interdit d’interdire", la génération Y remet en cause le système même de fonctionnement de l’économie par le pavé numérique : la socialisation des gains de productivité se fait directement au profit des agents économiques personnes physiques et donc en dehors du cadre de "la firme".
L’enjeu fondamental des prochaines années n’est donc pas de savoir si l’uberisation de la Société aura lieu mais comment réussira-t-elle à s’intégrer dans la Société traditionnelle ; l’enjeu sociétal va bien au-delà de l’enjeu économique.
Les principes de l’Uberisation est de capter les rentes en identifiant les trous dans la raquette:
- La cherté organisée par une rareté artificielle, l’archétype étant bien évidemment les taxis.
- Le manque d’innovation : ce qui caractérise la digitalisation c’est aussi l’utilisation des services développés par les autres : à l’image des plates-formes – Amazon, Google, Apple
- La révolution de l’usage : La possibilité de donner l’accès à l’usage sans passer par la propriété (AirBnB, streaming…)
- La qualité du service
Ces principes, généralement mis en avant, ne sont cependant pas nouveaux en soit. Ce qui est réellement nouveau est, à l’actif, la technologie qui permet un déploiement mondial rapide des services/applications et, au passif, le recours accru, et dans des proportions massives, au Private Equity pour financer l’innovation et le déploiement.
De fait la grande majorité des sociétés cotées, sous la pression court-termiste imposée par le capitalisme pour compte de tiers (i.e. les actionnaires sont des fonds de pensions, des compagnies d’assurance, des gérants qui ont des objectifs et contraintes de court terme via les benchmarks), n’ont pas l’horizon de temps et la capacité financière suffisante pour le faire.
A ce titre la meilleure illustration est Google en créant Alphabet au mois d’août dernier, dont l’objectif est de séparer les activités principales (moteur de recherche, publicité, cartographie, systèmes d’exploitation) de l’activité de projets plus expérimentaux (objets connectés, longévité humaine etc.) qui sera largement financée par le private equity. x
Cet hyper-progrès ne créé cependant pas d’hyper croissance, mais plutôt un boom déflationniste et l’hyper-dette insoutenable est en train de devenir soutenable via la rentabilisation des actifs dormants. La célèbre équation d’Irving Fisher : MV = PQ, où M est la masse monétaire, V est la vitesse de circulation, P les prix et Q la quantité de biens et services fonctionne toujours très bien : la masse monétaire a considérablement augmenté, les prix baissent et c’est bien le ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie du fait de la perte de confiance dans les banques et l’acquisition d’actifs par les banques centrales qui garantissent l’équilibre de l’équation.
Les conséquences sont loin d’être neutres : le prix du risque est à zéro, le prix du temps est à zéro, alors pourquoi épargner et pourquoi investir ? Cette nouvelle société, celle où la connaissance devient le principal actif, s’inscrit également dans une période où, cause ou conséquence, la société de l’ultra-consommation perd aussi de son attrait pour la génération Y. De fait, la Société est en profonde mutation et les valeurs de la génération montante sont clairement différentes de celles de leurs ainées ; beaucoup plus humanistes et participatives.
Sur le plan de la responsabilité écologique pour les générations présentes et futures, dès 1957, les premiers scientifiques dont le professeur d’Al Gore à Harvard, Roger Revelle, firent part de leurs craintes sur les risques climatiques induits par le monoxyde de carbone créé par l’activité humaine. Mais ce n’est que près de 60 ans plus tard qu’un consensus planétaire se dégage sur un objectif précis : les fameux 2° supplémentaires d’ici la fin du XXIe siècle, date à laquelle il est espéré que les évolutions technologiques et les changements de comportement permettront à la planète d’être zéro carbone en émissions nettes. L’engagement générationnel est de plus en plus important et l’on voit bien la mobilisation aussi bien locale qu’au niveau mondiale et le besoin de démocratie participative (construction d’aéroport, de barrage…). Le green n’est plus l’affaire des verts mais de tous et surtout une forte opportunité d’investissement et de développement pour la quasi-totalité des entreprises internet américaines et pour bon nombre de sociétés françaises dans les énergies nouvelles renouvelables.
Sur le plan de l’économie, la connaissance, via la technologie, devenant le principal actif échangé ou à minima celui qui permet la réduction de la consommation de « matières » (streaming versus support physique, tablette de lecture versus livre, mail versus courrier, immeuble à énergie neutre ou positive, uberpop pour l’utilisation des voitures, AirBnB pour les logements etc.), il n’y a plus de facteurs physiques limitants à la croissance. Par contre cette croissance relève plus du progrès que de la croissance en termes de PIB telle que nous la connaissions. Les conséquences sont de deux ordres : progrès déflationniste et non nécessairement créateur d’emplois.
Le rôle du banquier et du financier de demain sera peut-être principalement le financement du capital humain : l’accompagnement d’une situation à une autre (formation permanente, accidents de la vie, création d’entreprise, de la jeunesse à l’extrême vieillesse…)
Sur le plan de la gouvernance et de la démocratie, comme je l’écrivais dans ma lettre de juillet dernier "de la démocratie à la pixellisation", l’un des rares domaines où la digitalisation ne s’est pas encore invitée est la vie politique, l’organisation dans nos démocraties reste encore pyramidale sous une apparence de participation via le suffrage universel ou le système des grands électeurs.
Le passager note son taxi Uber qui lui aussi note son client… Les pays les plus en avance sur ces méthodes de notation digitalisée des services publics sont paradoxalement les quasi-dictatures : Qatar, Arabie Saoudite… Le raisonnement est assez simple : une population composée à près de 90 % d’étrangers rend impossible la naturalisation et toute forme de droit de vote. La réponse historique de ces États a été : "vous ne payez pas d’impôts, vous n’avez pas le droit à la parole". La digitalisation permet aujourd’hui d’exprimer son opinion sur la qualité des services et donc d’associer un minimum les habitants aux résultantes des choix. On peut penser que cette démarche, de l’État-Tech, c’est-à-dire du recours systématique de la digitalisation dans la démocratie va se développer de plus en plus et que les développeurs de logiciels et de services dans ce domaine ont de très beaux jours devant eux.
Dans la gouvernance de l’entreprise, les mentalités évoluent et la digitalisation est aussi à l’œuvre dans l’organisation même de l’Entreprise.
L’holacratie, système organisationnel de gouvernance qui permet à une organisation de disséminer les mécanismes de prise de décision au travers d’une organisation fractale d’équipes auto-organisées, est clairement le modèle le plus adapté à la complexité actuelle du monde : comment concilier l’agilité et le développement quasi-exponentiel des normes et contraintes règlementaires. Elle se distingue donc nettement des modèles pyramidaux top-down et Colbertistes. L’holacratie a été adoptée par plusieurs organisations (aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande) dans des sociétés comme Danone ou Castorama. Une holarchie est donc une hiérarchie d’éléments auto-régulés fonctionnant à la fois comme entités autonomes et comme parties d’un tout dont elles sont dépendantes. Cette vision organique des organisations humaines est fréquemment comparée aux cellules d’un organisme qui sont à la fois autonomes et dépendantes de cet organisme qu’elles contribuent à édifier.
Le fondement de la théorie holacratique repose sur la raison d’être de toute organisation humaine. En vue de répondre aux exigences dictées par la raison d’être d’un organisme, celui-ci va se structurer en cercles. Chaque cercle a pour objectif de produire ses “redevabilités”. Pour ce faire, il est lui-même dépendant de redevabilités produites par d’autres cercles. Chaque cercle dispose d’une large autonomie en vue de rencontrer ses objectifs. Chaque cercle dispose également de trois outils de coordination : la réunion de gouvernance, la réunion opérationnelle et la réunion debout. L’objectif visé est une prise de décision s’accompagnant du zéro objection argumentée (mais le fait qu’il en subsisterait n’empêcherait pas la prise de décision). Ceci permet d’assurer un pilotage dynamique de l’action tandis qu’elle est en train de se déployer. A l’inverse la prévision-contrôle élabore un plan d’action, lance l’opération pour analyser ensuite les indicateurs qui avaient été préalablement déterminés, et, éventuellement modifie le plan initial par boucle de rétroaction. L’holacratie considère quant à elle chacun des individus qui la compose comme un capteur, susceptible d’émettre des signaux. Chacun des individus est orienté vers la production des redevabilités et par là, participe à la raison d’être de l’organisation. L’holacratie permet aux organisations qui y ont recours de bénéficier du savoir ambiant dans leur entreprise, de fonctionner avec davantage de transparence et de susciter plus de motivation.
Sur le plan philosophique, outre de rappeler ce qu’avait déclaré Malraux au début des années 60 ("le XXIe siècle sera spirituel"), il est troublant de constater que les pires périodes de fanatisme religieux ont coïncidé avec des périodes de rupture économiques et culturelles. Le fanatisme catholique et protestant lors de la Renaissance et l’avènement du monde moderne en plein développement scientifique et technique, le fanatisme orthodoxe avec les "vieux croyants" à la fin du XIXe quand la Russie est sortie du servage, le fanatisme islamique à l’orée d’un monde où la biotechnologie et le numérique révolutionnent la Société. La Violence et le Sacré, c’est la théorie du bouc émissaire du philosophe René Girard. L’Homme est naturellement violent : moins la Société lui offre la possibilité raisonnée de le justifier, plus sa violence anarchique le pousse dans une forme ontologique de violence.
Alors que retenir de tout cela : sur le plan de l’Homme, profitons de la Cop21 pour faire pousser un arbre, virtuel et réel, avec l’application 1heart1tree, en collaboration avec Green Cross, qui avec un message de paix nous permet de participer à la reforestation. Les 500 collaborateurs de la Française pourront ainsi planter 500 arbres en mémoire des victimes des attentats. D’autre part avec nos vœux pour 2016 nous diffuserons largement auprès de nos clients et relations la possibilité de planter 3 000 arbres avec ReforestAction.
Les recommandations de l’asset manager sont claires, nous avons deux grandes tendances fondamentales :
- une politique de taux zéro des banques centrales des pays développés,
- le passage d’une société industrielle à une société de la connaissance.
Les actifs dégageant des revenus vont donc être durablement porteurs, l’illusion monétaire n’a pas encore fait tout chemin : immobilier tertiaire, financement direct de l’économie, high yield…
Investir dans le secteur de la connaissance est définitivement le secteur porteur. Si l’immatériel est clairement l’avenir, il est aussi moins facilement appréhendable que la prévisibilité traditionnelle des cash flow d’où la nécessité d’investir, outre dans les actifs réels de revenus, dans les sociétés qui ont l’agilité nécessaire et le mode organisationnel et de gouvernance adaptés : rapidité, complexité, innovation d’un côté et, de l’autre, capacité de s’adapter dans un monde où les règles sont de plus en plus nombreuses et contraignantes.
Bien évidemment le Private Equity sera plus porteur que le côté, mais nous manquons d’une règlementation adaptée pour le développer massivement en France (congruence actif-passif).
Pour conclure, souhaitons qu’une prise de conscience morale se développe et qu’au lieu d’acheter des jeux vidéo de guerre, les parents réclament aux développeurs des jeux favorisant la connaissance et donc l’esprit critique !