Etats-Unis : le pari de Janet

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

  L’emploi confirme son rebond et le taux de chômage se stabilise à 5%.

•  Quelques signes, encore ténus, d’une accélération des salaires et d’une remontée du taux d’activité apparaissent.

  La résorption du sous-emploi résiduel continue à un rythme sensiblement identique depuis la fin de 2012.

  Grâce à une politique budgétaire moins restrictive, à une politique monétaire toujours très accommodante, et en l’absence de choc exogène, une véritable normalisation de la situation sur le marché du travail peut être anticipée pour la fin de 2016.

Le rapport emploi de novembre a confirmé que le ralentissement des créations de postes à la fin de l’été (passées de 200 000 par mois jusqu’en juillet à moins de 150 000 par mois en août-septembre) n’était qu’un trou d’air. Depuis, la ré-accélération est claire: 2980000 nouveaux postes en octobre, 2110000 de plus en novembre. Les salaires retrouvent un certain dynamisme. Certes, les données sont volatiles ces derniers mois, et à première vue, les salaires ont ralenti en novembre. Le mois de décembre se soldera très probablement par un rebond des rémunérations horaires des salariés affectés à la production (hors personnel d’encadrement), à 2,5% en glissement annuel, au plus haut depuis l’été 2014. Les salariés du secteur tertiaire (84% des effectifs salariés du secteur privé) sont appelés à en profiter tout particulièrement. Finalement, le taux de chômage s’est stabilisé à 5%, sous l’effet d’un léger rebond du taux d’activité, à 62,5%.

Certains considèrent le plein emploi atteint. Selon le seul critère du taux de chômage, c’est le cas, puisqu’à 5% il se trouve dans la fourchette d’estimation de son niveau d’équilibre. La projection médiane des membres du FOMC1 du taux de chômage de long terme est de 5% alors que le CBO (Congressional Budget Office) estime le NAIRU2 à 5,1%. Pourtant, la Fed continue de souligner la persistance d’un sous-emploi résiduel. Notamment, l’accélération des salaires en reste au stade du balbutiement, soutenant l’idée que l’offre de travail demeure supérieure à la demande.

Le sous-emploi résiduel, ou chômage de l’ombre3 comme la Présidente de la Fed l’a parfois qualifié, est illustré par plusieurs indicateurs4 : les employés dont le temps de travail est inférieur à leur souhait, les taux d’embauche et de démission, le taux d’activité des 25-54 ans, la part des chômeurs de longue durée, et, finalement, l’évolution des salaires. Une embellie est indéniable pour certains de ces indicateurs. De l’été 2013 à fin 2015, le temps partiel involontaire a régressé, de 5,2% à 3,9% de la population active. Les taux d’embauche et de démission ont respectivement gagné 0,3 point et 0,2 point. Le taux chômage de longue durée (27 semaines ou plus) a reculé de 1,4 point. La progression annuelle des salaires, après une accélération avortée, semble récemment reprendre des couleurs. Enfin, le taux d’activité des 25-54 ans ne recule plus, se stabilisant récemment légèrement en dessous de 81%.

Les progrès réalisés ces dernières années sur le front du sous- emploi sont donc indéniables, sans être précisément mesurables. C’est pour pouvoir dépasser cette limite qu’au printemps 2014, nous construisions l’Indice SLACK5, somme des indicateurs (cités plus haut) centrés et normés sur une période de référence couvrant l’ensemble d’un cycle hors années de Grande Contraction6. Il apparaît alors clairement que le recul du taux de chômage surestime l’amélioration des conditions du marché de l’emploi et ne peut justifier, à lui seul, l’interruption d’une politique monétaire extra- accommodante. La situation actuelle est plutôt celle d’un mieux relatif justifiant d’un moindre degré de soutien monétaire. De fait, si le taux d’intérêt nominal des fonds fédéraux est en passe d’être augmenté, il restera négatif en termes réels.

A quel niveau pourrait-il se situer d’ici un an ? Le rythme de résorption du sous-emploi résiduel suggère une « normalisation » de l’Indice SLACK fin 2016, à un écart-type de sa moyenne. Cette zone correspond à celle atteinte en juin 2004, lorsque la Fed amenait les taux de 1,00% à 1,25%. En septembre dernier, les membres du FOMC projetaient un taux Fed Funds de 1,375% à la fin de 2016, projection qui sera probablement revue en baisse la semaine prochaine. Le retour de l’indice à sa moyenne de 2001-2007 serait alors possible à la mi-2017. Cette date est aussi celle qui marquera, selon les projections des membres du FOMC, le retour en territoire positif du taux réel des fonds fédéraux.

La politique monétaire que la Fed compte suivre est ainsi calquée sur les projections d’amélioration des conditions prévalant sur le marché du travail. La reprise de l’emploi gagnant en dynamique, le besoin d’un soutien monétaire actif se fait moins pressant, et la Fed peut progressivement normaliser sa politique. Une hausse de taux dès la semaine prochaine se justifie d’autant plus que l’inflation va rebondir dans les prochains mois, sous l’effet de la disparition du poids jusqu’alors exercé par le recul des prix énergétiques. Ce rebond est appelé à être tel qu’il compensera – fera en fait même plus que compenser – les hausses du taux nominal des fonds fédéraux.

Certains membres du FOMC, tels Saint Thomas, préfèreraient attendre de pouvoir assister à – et non pas simplement anticiper – une solide accélération tendancielle des salaires. Janet L. Yellen a toujours été claire sur le fait que ni une accélération des salaires, ni une accélération des prix n’étaient un préalable à la normalisation de la politique de la Fed. En juin et novembre 2012, alors Vice- Présidente de Ben Bernanke, elle annonçait clairement son intention de remonter les taux lorsque le taux de chômage serait revenu à son niveau d’équilibre, alors estimé à 5,6%. Le taux de chômage a atteint la nouvelle estimation de 5% du taux d’équilibre en octobre. Janet L. Yellen n’a qu’une parole.

NOTES

  1. Les projections s’étalent de 4,7% à 5,8%, la plupart des estimations se trouvant dans une fourchette plus étroite de 4,9%-5,2%. x
  2. Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment, soit le taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation.
  3. Shadow unemployment. Voir notamment la conférence de presse donnée par Janet L. Yellen à l’issue de la réunion du FOMC du 18 juin 2014.
  4. “What the Federal Reserve is Doing to Promote a Stronger Job Market”, National Interagency Community Reinvestment Conference, Chicago, 31 mars 2014. Lors de ce discours, Janet L. Yellen a donné la liste que nous rappelons ici.
  5. Pour une revue de l’ampleur du sous-emploi aux Etats-Unis et de ses conséquences sur la politique monétaire, voir « La vérité est ailleurs, ou pourquoi la baisse du taux de chômage tarde à accélérer l'inflation aux Etats-Unis», Alexandra Estiot, Conjoncture BNP Paribas, octobre-novembre2014.
  6. La crise financière et économique de 2007-2009 a été exceptionnelle à plus d’un titre, notamment quant à ses conséquences sur le fonctionnement du marché de l’emploi. Exclure des calculs cette période permet d’illustrer plus clairement son exceptionnalité.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas