par Alicia Garcia Herrero et Kohei Iwahara, économistes chez Natixis
Il n'y a pas si longtemps, les Japonais étaient réputés partout dans le monde pour leurs portefeuilles bien remplis et leurs caméras autour du cou. On les reconnaissait ainsi dans les grandes villes touristiques, comme Paris, Rome, Londres et New York. Leurs revenus progressant à partir de l'après- guerre, les Japonais ont d'abord acheté des produits manufacturés, tels que des téléviseurs, des climatiseurs et des automobiles. Une fois ces besoins assouvis, ils se sont alors tournés vers les services. En particulier, le tourisme à l'étranger a très fortement progressé au Japon à partir de 1985.
Nous assistons actuellement à une même évolution du tourisme chinois. Après une décennie de forte croissance des revenus, la classe moyenne se développe et ce notamment parmi la jeune génération. N’ayant pas connu de récession, cette dernière présente une propension à consommer plus importante que celle des personnes âgées. Leur préférence pour le présent étant plus marquée, leur consommation se déplace des produits manufacturés vers les services. Compte tenu de la taille de la population chinoise, cette évolution entraîne une restructuration de l'industrie du tourisme, notamment en Asie-Pacifique.
Le Japon tire avantage du tourisme
Le Japon n’est pas épargné par cette restructuration. Selon une enquête de la Japan Tourism Agency, si la Chine est de loin le pays le plus représenté parmi les touristes visitant le Japon, elle est également en tête en termes de volume moyen des dépenses par visiteur. S’ils se distinguent en matière d’achats dans les magasins, les chinois figurent au deuxième rang des plus importants consommateurs de restauration, de loisirs et de transport. Selon les statistiques récentes de la Japan Tourism Agency, globalement, le secteur du tourisme représentait 1,9% du PIB en 2013 et jusqu’à 5,2% en tenant compte de l’ensemble de ses activités connexes. Comme le nombre de touristes a fortement augmenté depuis lors, nous ne devons pas sous- estimer l'importance du tourisme pour l'économie japonaise, notamment dans la conjoncture actuelle où tant d'autres secteurs bénéficient de son expansion. Au-delà du développement de la classe moyenne chinoise et de la demande de services liés au tourisme à l'étranger, les mesures audacieuses d'assouplissement quantitatif décidées par la Banque du Japon (BoJ) et la dépréciation du yen qui a suivi ont renforcé l'attractivité du Japon pour les touristes du monde entier, et notamment chinois.
Fait intéressant, si la politique monétaire agressive de Kuroda était censée provoquer une reprise principalement au travers des exportations de biens, elle parvient dans les faits au même résultat par les exportations de services. Dans l'ensemble des exportations, la part des services a fortement augmenté, à 16,3% du PIB au T3-2015 contre seulement 11% début 2013. La montée en flèche de ce ratio au-dessus de 16% en 2009 s’expliquait par l’effondrement des exportations de marchandises après la faillite de Lehman. Sa progression actuelle est cette fois nettement plus structurelle tant le nombre de touristes chinois à l'étranger devrait continuer d’augmenter lors des prochaines décennies. Seuls les facteurs d’offre pourraient empêcher les exportations de services de continuer de progresser, et notamment les infrastructures nécessaires à la prestation de services touristiques.
En fait, le taux de remplissage des hôtels japonais a d'ores et déjà atteint des niveaux record, inégalés depuis la création de l'enquête en 1975.
Le Japon en concurrence sur le marché mondial du tourisme
Le Japon n’est pas le seul pays à bénéficier de cette forte progression. Selon les prévisions des Nations Unies (ONU), le nombre de touristes internationaux devrait augmenter de +3,3% par an jusqu'en 2030. À ce rythme, le nombre de touristes passerait de 940 M en 2010 à 1,8 Md en 2030. L’Asie connaîtrait la plus forte croissance, avec +4,9% par an. La Chine expliquerait la majeure partie de cette augmentation.
Les pays bénéficiant du tourisme chinois
Avec la plus importante population au monde et une classe moyenne en pleine expansion, la Chine devrait fortement peser sur l'industrie touristique mondiale, comme le Japon en son temps. De fait, la question est surtout de savoir où les Chinois sont prêts à passer leurs vacances à l'étranger. Le Japon est souvent très bien placé parmi les destinations de prédilection de ces derniers. Une enquête récente de Travelzoo a ainsi révélé que le Japon, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie étaient les destinations préférées des touristes chinois.
Selon cette dernière enquête, en Asie-Pacifique, la Nouvelle- Zélande et l'Australie devraient figurer parmi les pays qui bénéficieront le plus de l’expansion du tourisme chinois. Partant d'une base très faible, ce dernier pourrait subir des contraintes liées à l'offre dans ces pays, au moins à court terme. Autrement dit, les infrastructures et les services liés au tourisme devront être développés en Nouvelle-Zélande et en Australie pour faire face à la progression de la demande. Ainsi, si ces deux derniers pays figurent parmi les économies « développées », ils font partie des pays «en voie de développement» en matière de tourisme.
De plus, l'importance de la dépréciation d’une devise pour l’industrie du tourisme pourrait expliquer en partie les efforts déployés par certaines banques centrales pour affaiblir leur devise, parfois avec un grand succès comme pour la Banque de réserve d'Australie, Dans le tourisme, le Japon bénéficie toujours, et de très loin, des plus forts gains de compétitivité via la dépréciation de sa devise en Asie.
La fréquence des visites par individu est une des mesures possibles des succès remportés en matière de tourisme.
Cette dernière activité revêt plusieurs dimensions comme les visites de sites, les loisirs, la restauration et le shopping. Parce que les préférences diffèrent parmi les touristes, il serait très difficile de quantifier ces éléments et d'en évaluer le succès. Les touristes ayant des préférences qui leur sont propres, il serait très difficile de quantifier les succès remportés par chacune de ces activités. Néanmoins, en matière de tourisme, ce qui importe est l'appréciation globale que chaque individu. Plus un touriste est satisfait, plus la probabilité qu’il revisite le pays est élevée, et plus le « bouche à oreille » fonctionne dans son pays d'origine, ces facteurs contribuant à un afflux supplémentaire du nombre de visiteurs. Dans cette perspective, le Japon bénéficie d'un important pouvoir d’attraction auprès des touristes chinois. Malgré la proximité géographique, les deux tiers environ des touristes en provenance de Chine visitent le pays pour la première fois. En revanche, près de la moitié des touristes arrivant à Hong Kong et à Taiwan ont déjà visité le Japon plus de quatre fois. En outre, le Japon est également plus proche de la Chine par sa culture alimentaire.
Conclusion
La consommation chinoise privilégiant les services au détriment des produits manufacturés, le tourisme chinois à l’étranger devrait croître. Cette évolution entraînera une restructuration de l'industrie mondiale du tourisme, avec un développement concentré sur l’Asie- Pacifique.
Le Japon, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie sont les destinations préférées des chinois. Parmi ces pays, le Japon a connu la plus forte dépréciation de sa devise et bénéficié ainsi d’un renforcement de son attractivité auprès des touristes sensibles aux prix, que sont clairement les chinois. Etonnement, le tourisme japonais pourrait être l'une des réussites de l’abenomics.