par Mo Ji, Stratégie et Recherche économique (Hong Kong) chez Amundi
Nous pensons que l’économie chinoise atteindra son point bas à court terme, au moins pendant les prochains trimestres. On peut parler de point bas en situation d’amélioration très légère, lorsque l’économie se stabilise simplement autour d’un certain niveau sans se détériorer davantage ou lorsqu’elle atteint des niveaux plus bas situés dans une fourchette étroite.
Selon nous, en 2016 et 2017 le rôle de la Chine dans l’économie mondiale sera celui d’un stabilisateur, et ce pour les raisons suivantes:
(1) la dégradation de la situation économique actuelle prend du temps avant d’arriver à maturité (compter au moins deux autres années) ;
(2) les effets retardés des mesures de relance de 2015 pourraient commencer à se faire ressentir à partir de mi-2016 et contribuer à stabiliser davantage l’économie; et
(3) la trajectoire de l’économie peut encore être changée par des politiques sensées, la Chine ne manquant pas d’outils pour y parvenir.
Pourquoi le point bas de l’économie chinoise a-t-il tant d’importance pour les marchés internationaux ?
D’après nous, la question de savoir si le point bas de l’économie chinoise a été atteint au quatrième trimestre 2015 ou au premier trimestre 2016 est, à court terme, la question la plus importante pour les marchés internationaux. Revenons sur les évènements qui se sont produits depuis le 11 août 2015, date à laquelle la Chine a créé la surprise en dépréciant brutalement le CNY : à cet instant, les autorités ont de toute évidence admis le ralentissement de l’économie chinoise et devant ce geste, les marchés ont conclu que le risque d’atterrissage forcé s’était accru. Les marchés ont donc cédé du terrain jusqu’en septembre, puis la Réserve fédérale américaine a reporté le premier relèvement des taux que tout le monde attendait après l’été. En prenant sa décision, la Fed n’a pas seulement considéré les facteurs de l’économie domestique mais également les inquiétudes entourant le sort de la Chine, confirmant qu’un atterrissage forcé de l’économie chinoise aurait eu pour conséquence une récession mondiale. Rappelons que le report de la hausse des taux de la Fed n’était pas attendu par le consensus, dont les anticipations de relèvement étaient particulièrement élevées avant que la Chine déprécie sa monnaie au mois d’août.
Après les corrections d’août et septembre, l’éventualité d’un point bas de l’économie chinoise est apparue comme un facteur (externe) déterminant dans la possibilité de hausse des taux de la Fed en décembre, ainsi que dans l’orientation des marchés internationaux au quatrième trimestre 2015 et pendant les trimestres suivants. C’est donc en cela que le point bas de l’économie chinoise compte tant pour les marchés. On peut parler de point bas en situation d’amélioration très légère, lorsque l’économie se stabilise simplement autour d’un certain niveau sans se détériorer davantage ou lorsque ses plus bas sont situés dans une fourchette étroite. Si c’est bel et bien le cas, c’est une très bonne nouvelle pour les marchés, une perspective qui tranche avec le sentiment extrêmement baissier lié à la Chine en août et en septembre derniers.
Si nous sommes assez chanceux pour que ce soit le cas, alors la prochaine question que nous devons nous poser est: combien de temps peuvent durer cette stabilisation et cette amélioration ? Un mois ? Un trimestre ? Deux trimestres, voire plus? Il est évident que ces scénarios ont des implications très différentes pour les marchés sur le court terme.
Pourquoi est-il difficile de prévoir le point bas de l’économie chinoise ?
Si l’on remonte à fin 2014, quand les marchés faisaient leurs prévisions pour 2015, on attendait alors un éventuel point bas de l’économie chinoise dès le deuxième ou le troisième trimestre de l’année dernière. Mais les marchés se sont trompés et l’économie de la Chine a continué à se dégrader au troisième trimestre pour atteindre sa plus faible croissance en termes réels (+6,9 %) depuis la Grande crise financière. Le thème d’un point bas de la Chine au deuxième ou au troisième trimestre 2015 a été complètement démenti alors que les autorités n’ont pas répété les mesures qu’elles avaient adoptées au cours des quatre années précédentes. Les marchés sont donc déstabilisés et perdent confiance, ce qui les empêche d’émettre des prévisions quant au moment où l’économie chinoise atteindra le creux de son cycle.
Début octobre, nous avons bravé la tempête et émis nous-mêmes une prévision de point bas en présentant les premiers signes que nous avions mis sous surveillance, et c’était au moins deux mois avant les très rares intervenants qui estiment que l’économie chinoise s’est stabilisée en décembre 2015. Non seulement il est vraiment difficile de prévoir le creux du cycle économique chinois, mais il est aussi de plus en plus complexe d’évaluer le potentiel haussier et baissier de l’économie dans une tendance qui est clairement baissière.
De plus, notre prévision d’il y a deux mois était la suivante : si effectivement l’économie chinoise atteignait son point bas au quatrième trimestre et que les premiers signes de stabilisation étaient assez marqués début novembre et en décembre 2015, alors il est très probable que la Fed relève ses taux d’intérêt en décembre, même très légèrement. Et nous ne nous sommes pas trompés. Y a-t-il d’autres signes qui témoignent du creux du cycle ?
Il est temps de mettre à jour nos observations après les premiers signes de stabilisation constatés il y a deux mois, en octobre 2015. Ce sont des chiffres que nous suivons attentivement et qui se révèlent les plus parlants quant à la situation actuelle de l’économie chinoise et son orientation.
1. Le PMI manufacturier chinois s’est stabilisé en septembre et a continué de s’améliorer. Le premier signe de stabilisation du PMI manufacturier est apparu dans les statistiques du mois de septembre 2015. Le PMI a alors enregistré sa plus faible amélioration (+0,1), mais les conséquences sont énormes si l’on se penche sur les chiffres qu’ont publié au même moment la Corée du Sud (+1,3), la Malaisie (+1,1), Taïwan (+0,8) et Singapour (+0,6). La stabilisation modeste en Chine entraîne une embellie généralisée des PMI manufacturiers à travers toute l’Asie, et c’est un fait que les marchés ne devraient pas perdre de
De plus, l’indice PMI manufacturier chinois (Caixin) a continué de progresser après un creux à 47,2 en septembre, passant contre toute attente à 48,3 en octobre, puis à 48,6 en novembre. Certes, ce niveau est toujours inférieur à 50 et signale donc une contraction, mais sa hausse constante depuis septembre 2015 est encourageante. Selon nous, cette tendance va se confirmer encore pendant le prochain trimestre, mais difficile de savoir combien de temps il faudra avant que l’indice repasse au-delà de 50. Nous pensons que ce sera aux alentours de la mi-2016.
2. L’IPP chinois a commencé à se stabiliser en septembre 2015 et progresse maintenant depuis quatre mois. À notre avis, l’indice des prix à la production (IPP) est l’indicateur de prix le plus significatif pour parler de la Chine. À -5,9 %, son niveau n’est pas brillant, et 51 mois en dessous de zéro dépeignent une déflation importante. Cela étant, à court terme, le fait de se stabiliser autour de ce niveau (et d’arrêter sa chute vertigineuse) est déjà une grande avancée que le marché devrait apprécier à sa juste valeur, d’autant que l’IPP est un indicateur très important pour évaluer la stabilisation de l’économie dans son ensemble. Il faudra probablement du temps avant que l’IPP repasse en territoire positif étant donné les surcapacités auxquelles est confrontée la Chine.
3. Les prix du ciment de Chine orientale sont à un niveau plancher. La matière première qui représente l’indicateur le plus avancé est le ciment de la Chine orientale, dont les prix ont atteint un niveau plancher la semaine du 21 août en progressant de 8 %. C’est un indicateur avancé dans le sens où le ciment ne se conserve qu’un mois: par conséquent, la production suit réellement la demande réelle, dans le secteur de la construction principalement.
4. Le stock des matières premières en Chine est en phase de déstockage, signe de reprise économique. Le stock de ciment de Chine orientale a atteint un plus haut la semaine du 31 juillet, à 80 %, et maintenant, après un déstockage de 10,5 %, son niveau n’est plus que de 72 %. De même, l’acier (barres d’armature) est en phase de déstockage depuis la semaine du 26 juin (-41 %), ce qui implique que la construction accélère déjà et en particulier depuis juillet.
5. Les exportations se stabilisent depuis septembre. La croissance des exportations chinoises en septembre est ressortie meilleure qu’attendue à -1,1 % (-6,1 % en août) et s’est stabilisée autour de -3,7 % en octobre et en novembre. Dans le même temps, la croissance des exportations de la Corée du Sud, qui représente un indicateur avancé de la croissance des exportations au niveau mondial, s’est établie à -8,3 % en septembre (-14,9 % en août) et a continué à s’améliorer en novembre avec -4,8 %.
Un creux de cycle durable ?
Nous avons été parmi les premiers à prévoir un point bas de l’économie chinoise à court terme. Et nous avons à nouveau l’audace de dire avant les autres que la Chine aura probablement un rôle de stabilisateur pour l’économie mondiale en 2016 et 2017. Voici pourquoi :
- La dégradation de la situation économique actuelle prend du temps avant d’arriver à maturité : compter encore deux ans ;
- Les effets retardés des mesures de relance déployées en 2015 pourraient commencer à se faire ressentir à partir de la mi-2016 et contribuer à la stabilisation de l’économie ; et
- D’autres politiques sensées peuvent changer la trajectoire de l’économie, la Chine ne manquant pas d’outils pour y parvenir.
1. Assouplissement monétaire radical en 2015 et au-delà. La croissance de la masse monétaire M2 de la Chine s’est nettement accrue, passant de 10,1 % en avril 2015 à 13,7 % en novembre 2015. Sachant que les effets retardés des politiques monétaires mettent généralement 6 à 9 mois avant de se manifester (ce qui nous porte à la période allant d’octobre 2015 à janvier 2016) et qu’ils dureront au moins un an, les autorités vont certainement maintenir ce dispositif très accommodant en 2016 en réduisant à nouveau le RRO de 300 pb et les taux d’intérêt de 100 pb.
2. Haussedesinvestissementsencapitauxfixesfin2015.Enfin et surtout, il nous semble que l’indicateur le plus pertinent à surveiller pour évaluer le degré de stabilisation de l’économie chinoise ce trimestre (et le suivant) est le niveau des investissements en capitaux fixes. Précédemment, nous avions supposé que les projets du 13e plan quinquennal seraient peut-être avancés à 2015 pour permettre d’atteindre l’objectif de croissance du PIB réel, ce qui s’est effectivement confirmé : en variation annuelle, les investissements se stabilisent depuis septembre, mais d’un mois sur l’autre, ils se sont nettement accrus en octobre et en novembre 2015. Or, selon nous, cette tendance devrait perdurer.
3. Même la consommation est en hausse. La croissance des ventes de détail est passée de 10 % en avril 2015 à 11,2 % en novembre 2015. Hausse de la consommation qui favorise aussi la stabilisation de l’économie et lui confère un potentiel haussier supplémentaire.
Conclusion
Nous pensons que l’économie chinoise atteindra son point bas à court terme, au moins pendant les prochains trimestres. On peut parler de point bas en situation d’amélioration très légère, lorsque l’économie se stabilise simplement autour d’un certain niveau sans se détériorer davantage ou lorsque ses plus bas sont situés dans une fourchette étroite.
Selon nous, en 2016 et 2017 le rôle de la Chine dans l’économie mondiale sera celui d’un stabilisateur, et ce pour les raisons suivantes :
(1) la dégradation de la situation économique actuelle prend du temps avant d’arriver à maturité (compter au moins deux autres années);
(2) les effets retardés des mesures de relance de 2015 pourraient commencer à se faire ressentir à partir de mi- 2016 et contribuer à stabiliser davantage l’économie; et
(3) la trajectoire de l’économie peut encore être changée par des politiques sensées, la Chine ne manquant pas d’outils pour y parvenir.