par Charlie Thomas, Gérant du fonds Jupiter Global Ecology Growth et Responsable de la stratégie d’Investissement Environnemental et Durable chez Jupiter AM
« Echec de la limitation du changement climatique et adaptation » : voici le principal risque que le monde devra affronter à partir de 2016, selon le 11ème rapport annuel du Forum Economique Mondial, le Global Risk Report. Il le relie aux autres risques majeurs que sont « la migration involontaire à grande échelle » et les « crises de l’eau ». Ces conclusions démontrent un véritable changement de perception, à tel point que le fait que ces risques soient liés devrait guider les décisions politiques et les décisions d’investissement dans les années à venir.
La publication de la 11ème édition du Rapport sur les Risques Mondiaux du Forum Economique Mondial (World Economic Forum, WEF) a été un des moments phares du sommet annuel de Davos. Ce rapport très instructif, qui compile les réponses des 750 membres du WEF, envoie un message clair : le risque lié au changement climatique est maintenant assimilé comme un des plus importants risques de long terme auxquels doit faire face l’économie mondiale, aussi bien en termes de probabilité de concrétisation que de gravité au niveau économique.
Syrie – quand le changement climatique rencontre la défaillance d’un gouvernement
La reconnaissance du lien qui existe entre l’incapacité à lutter contre le changement climatique et des risques tels que « une profonde instabilité sociale » ou « la migration involontaire à grande échelle » est particulièrement intéressante. Ce lien est bien-sûr plus ténu que celui entre le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes, mais les recherches académiques démontrent néanmoins que ce lien doit être pris très au sérieux : ont doit s’attendre à ce que des phénomènes météorologiques extrêmes conduisent à des déplacements de population. Migration même volontaire et instabilité sociale combinées à un gouvernement inadéquat (voire à un gouvernement défaillant) peuvent déboucher sur une crise majeure, comme le montre l’exode syrien actuel.
Le conflit en Syrie a bien sûr des causes éminemment complexes. Malgré tout, un article académique, intitulé « Changement climatique dans le Croissant Fertile et implications de la récente sécheresse en Syrie » et publié dans la très influente revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, montre que « l’influence humaine sur le système climatique est en cause le conflit syrien actuel »i. L’article comprend une modélisation du changement climatique et de la recherche sur le lien entre conflit et climat.
Entre 2007 et 2010, la Syrie et plus généralement le Croissant Fertile ont souffert de la pire sécheresse jamais enregistrée. S’en est suivie une catastrophe agricole exacerbée par les politiques intenables mises en place préalablement par Hafez al-Assad qui ont provoqué l’assèchement des nappes phréatiques, laissant la Syrie vulnérable au manque d’eau.
La sécheresse de 2007-2010 a poussé environ 1.5 millions de personnes à fuir les campagnes, créant une forte pression sur les centres urbains. Les modèles climatiques nous montrent que la gravité de la sécheresse ne peut pas être expliquée par une anomalie due à des causes naturelles uniquement, mais plutôt qu’elle a été amplifiée par la tendance de long terme à l’assèchement dans la région induite par l’activité humaine. Pour l’auteur de ce rapport il existe « un lien de causalité entre les sécheresses provoquées par l’influence de l’homme sur le climat et les catastrophes agricoles et les migrations de masse »ii.
Limiter le réchauffement est une question de sécurité
L’équipe de Jupiter dédiée aux questions environnementales et durables est particulièrement attentive à la recherche sur le lien entre changement climatique et conflit, en tant que partie intégrante de notre effort de recherche plus globale, pour comprendre quelles sont les forces motrices derrières les politiques mises en place dans cette région. En novembre dernier, nous avons invité le Contre- Amiral Neil Morisetti, l’ancien envoyé spécial du Royaume Uni pour le climat et la sécurité énergétique, à prendre la parole à un évènement que nous avions monté en amont de la COP 21. Durant son allocation, il a dépeint un monde dans lequel les répercussions grandissantes du changement climatique sur la production de nourriture et l’offre d’eau et les conséquences sanitaires des catastrophes naturelles contribuent largement à l’instabilité sociale et aux conflits. Plus récemment, il en est arrivé à la conclusion que : « si nous n’agissons pas [pour limiter le réchauffement climatique], cela aboutira très certainement à un monde encore plus instable, un monde où les forces des Nations-Unies seront déployées pas seulement dans un rôle humanitaire mais aussi pour prévenir les conflits et in fine, pour résoudre les conflitsiii ». Un avertissement à prendre très au sérieux.
Les implications
Il suffit de mettre bout à bout le rapport du WEF, la recherche sur le rôle du changement climatique dans le conflit syrien et les avertissements du Contre-Amiral Neil Morisetti pour comprendre que le changement climatique n’est plus un évènement lointain, mais un enjeu actuel. Que les interconnexions entre le réchauffement climatique et les autres risques sociaux et économiques soient plus largement admises devrait accélérer les impulsions politiques nées lors de la conférence de Paris en novembre dernier.
En ce qui concerne l’investissement, les entreprises qui participent à l’amélioration de la gestion de l’eau ou encore qui développent des systèmes énergétiques pour limiter les effets du réchauffement climatique devraient apporter leur contribution en aidant à gérer ces risques et devraient, selon nous, continuer de bénéficier d’une forte demande.