par Philippe Weber, Responsable des études et de la stratégie chez CPR AM
« Il est doux, quand sur le grand océan les vents troublent les flots, de regarder de la terre la grande peine d’autrui » : ainsi s’exprimait Lucrèce, il y a un peu plus de deux mille ans (José Artur, plus récemment, résumait cela plus sommairement en « Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous », mais c’est un autre sujet).
On est un peu tenté d’appliquer cette maxime aux économistes, et peut-être, qui sait, aux banquiers centraux, observant les tumultes financiers récents dans la tranquillité, qu’on imagine pourtant relative, de leurs bureaux. Non qu’ils doivent s’en désintéresser, mais parce qu’il leur semble, peut-être à tort, être sur la terre ferme face aux éléments déchaînés.
Qu’observe-t-on, en effet ? Le prix du pétrole baisse. C’est une bonne nouvelle pour les pays consommateurs : les ménages américains, par exemple, économisent 150 milliards de dollars par an, qu’ils ont pour partie consommé autrement, pour partie épargné. Mais non : les bourses s’en inquiètent, au point que la corrélation entre prix du baril et cours des actions, usuellement très faible ou négative, est devenue fortement positive. On ne voit aucun signe concret de récession aux Etats-Unis : malgré le repli, inévitable compte tenu des prix, de l’activité pétrolière, le marché de l’emploi est solide et la consommation se tient bien. Mais la probabilité de récession calculée par la Réserve fédérale de Saint Louis a été multipliée par 25 ! C’est vrai : cette probabilité atteint désormais le niveau de 4,06 % …
Et pendant ce temps, on attend de voir selon quelles modalités la BCE va accroître encore le caractère accommodant de sa politique, ce qu’elle a annoncé puisque les mesures précédentes ont fonctionné. Entendons-nous : on se fait ici l’avocat du diable, et il ne s’agit pas de nier le resserrement des conditions financières, ni les risques associés à la situation chinoise, ni l’effet sur les pays exportateurs de matières premières de la chute des cours. Bien sûr, la reprise américaine a déjà été plus longue que la moyenne, et un jour viendra la récession (on espère que ce sera une récession cyclique « normale » et non une crise…).
Mais enfin les discours alarmistes, quelquefois même apocalyptiques, qu’on a entendus parfois ne semblent vraiment pas appropriés, même si, on le dit, il ne faut jamais affirmer que les marchés se trompent. On ne le fera donc pas, mais on n’ira pas non plus jusqu’à penser qu’ils ont toujours raison.