par Julien-Pierre Nouen, Directeur des études économiques chez Lazard Frères Gestion
Après la réunion de décembre dernier où Mario Draghi avait déçu les attentes du marché, les enjeux étaient élevés pour la réunion du 10 mars. Manifestement, les marchés n’ont pas trop su sur quel pied danser. Après un bond initial de 3%, suite aux premières annonces, l’Euro Stoxx a clôturé en baisse de 1,4%. Les futures ont continué de baisser dans la soirée mais la séance de vendredi affiche un net rebond à +3,3%. Au-delà de cette réaction de court terme, que faut-il penser des annonces de Mario Draghi à plus long terme ?
Une série d’annonces ayant dépassé les attentes de la plupart des analystes
- Le taux de dépôt est réduit à -0,4%, soit -10pbs, le taux de refinancement et de la facilité de prêts d’urgence sont respectivement passés à 0,0% et 0,25%, soit -5pbs.
- La Banque Centrale Européenne va acheter 80Mds d’euros d’actifs par mois à partir d’avril (+20Mds d’euros) et ses achats incluront dorénavant des obligations d’entreprises non financières de bonne qualité.
- De nouvelles opérations ciblées de refinancement à long terme (TLTRO II) sont lancées (une tous les trois mois à partir de juin 2016), avec un montant pouvant atteindre 30% des encours actuels de prêts aux entreprises et aux ménages hors prêts immobiliers, soit un montant de près de 1 700Mds d’euros. Les conditions d’octroi de ces prêts sont assouplies par rapport aux précédentes opérations de TLTRO. Leur taux est le taux de refinancement, c’est-à-dire 0% mais en fonction du montant de crédits accordé, les banques pourront obtenir un taux plus favorable. Si les encours progressent de plus de 2,5% d’ici le 31 janvier 2018, la réduction amènera le taux sur les prêts au niveau du taux de dépôt, c’est-à-dire -0,4%. En deçà, la réduction du taux sera proportionnelle à l’amélioration. Pour résumer, la BCE va rémunérer les banques pour qu’elles empruntent, mais il faut garder à l’esprit que cela n’est qu’un jeu de vases communicants rendu possible en touchant les intérêts négatifs sur les dépôts faits par d’autres banques auprès de la BCE.
Durant la conférence de presse, Mario Draghi a laissé entendre que de nouvelles baisses de taux étaient peu probables, ce qui a sans doute expliqué le retournement du marché après la première phase d’euphorie. En réalité, ce propos a été qualifié en précisant que de nouveaux éléments pouvaient bien sûr changer la situation et les perspectives. Néanmoins, il est plus probable que, si de nouvelles mesures d’assouplissements s’avéraient nécessaires, elles ne concerneraient pas le niveau des taux d’intérêts mais les achats de titres. A ce titre, il est d’ailleurs peu probable que la BCE arrête brutalement ses achats en mars 2017. La réduction sera progressive et la BCE continuera donc d’acheter, ce qui constituerait un assouplissement supplémentaire.
Quel impact faut-il attendre de ces mesures sur l’économie de la zone euro ?
La baisse du taux de dépôt était largement anticipée et ne devrait pas avoir d’impact supplémentaire sur les taux courts. En revanche, le fait que la BCE n’aille pas plus bas aura sans doute des conséquences sur les taux de change. Face au dollar, le différentiel de taux sera tiré par le durcissement de la politique monétaire de la Fed, donc l’euro devrait continuer de se déprécier face à la devise américaine. En revanche, la BCE semble avoir pris le contre-pied de la banque du Japon qui a insisté sur les taux négatifs comme outil d’assouplissement de la politique monétaire. L’écart entre ces trajectoires laisse envisager un affaiblissement du yen face à l’euro.
L’augmentation des achats de titres aura un impact sur les taux longs et sur les marges de crédit pour les émetteurs privés, et donc sur le coût de financement des entreprises. La taille du marché des obligations d’entreprises non financières de bonne qualité est estimée à 480 Mds EUR (source Barclays) et les émissions nettes pourraient atteindre 100 Mds en 2016. Même avec un montant d’achat de l’ordre de 10Mds EUR par mois, la BCE va donc devenir un acteur prépondérant de ce marché. On peut donc anticiper une baisse importante du spread sur l’investment grade.
Il faudra surveiller l’utilisation des TLTRO II mais l’assouplissement des conditions par rapport aux opérations précédentes dans un contexte où le marché du crédit est déjà en train de s’améliorer permet d’être optimiste. Ces opérations devraient donc permettre à l’amélioration du crédit de gagner en ampleur, ce qui soutiendra l’investissement. Même s’il est le moins spectaculaire des trois, c’est bien le TLTRO II qui nous semble pouvoir avoir l’impact le plus important sur l’activité en soutenant les volumes et en réduisant le coût du crédit.
Les équipes de la BCE ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2016 et 2017 à 1,4% et à 1,7%. Celles-ci ont été réalisées avec des données arrêtées à mi-février, donc avec des valeurs de marché reflétant un stress important, qui ont pesé sur les prévisions. Par ailleurs, la BCE mentionne des risques sur la croissance à court terme. Les enquêtes du type PMI se sont effectivement dégradées mais les premières données d’activité sont très bonnes pour le premier trimestre. C’est vrai du côté de la consommation (ventes au détail et immatriculations) mais c’est surtout vrai du côté de la production industrielle : en Allemagne, en France et en Italie, les chiffres de décembre ont été nettement revus en hausse et janvier affichent une forte progression. Les chiffres de croissance du premier trimestre peuvent donc s’avérer bien meilleurs que le +0,4% attendu par le consensus, ce qui pourrait amener le chiffre de croissance 2016 plus près de la borne haute de l’intervalle de confiance de la BCE (1,0%-1,8%).
Pour résumer, ces mesures vont amplifier la reprise du crédit qui est déjà entamée et qui constitue selon nous l’élément clé pour soutenir la reprise économique dans la zone euro. Une fois les effets de base liés aux prix de l’énergie disparus, l’inflation devrait réaccélérer. La poursuite de l’amélioration de la conjoncture et la baisse rapide du taux de chômage (10,3% en janvier, au plus bas depuis septembre 2011) devrait amener un affermissement des salaires, ce qui permettra à l’inflation core de se redresser.
Quel impact faut-il attendre de ces mesures pour les banques de la zone euro ?
Dans l’ensemble, les annonces de la BCE sont relativement marginales en ce qui concerne l’évolution de la performance économique du secteur bancaire européen à court terme. En revanche, Mario Draghi est parvenu à en améliorer grandement la perception à moyen terme, en écartant un risque réel pour la profitabilité du système, celui d’une forte baisse du taux de dépôts et donc de la marge sur dépôts des banques européennes.
Parmi les différentes annonces, nous retiendrons donc surtout que Mario Draghi a indiqué qu’il ne fallait pas s’attendre à une poursuite de la baisse du taux auquel sont rémunérés les excédents de liquidités déposés auprès de la Banque Centrale Européenne. Ceci devrait contribuer à rassurer le secteur mutualiste allemand, très exposé à cette problématique mais ceci s’avère également favorable pour les banques d’Europe du sud, en Espagne et en Italie principalement, où les crédits sont majoritairement à taux variables.
L’Euribor 12 mois a en effet rebondi hier en séance. La baisse de la rémunération des dépôts des banques constitue bien entendu une mauvaise nouvelle pour le secteur. Mais son ampleur se limite à quelque 1 à 2% des résultats du secteur. Ainsi, ce modeste désagrément pour la profitabilité des banques européennes nous semble plus que compensé par la quasi-certitude désormais que la Banque centrale Européenne devrait s’arrêter là. C’est d’ailleurs pour cette raison que la BCE n’a pas jugé utile de mettre en place un mécanisme de segmentation des dépôts visant à réduire l’impact de la baisse du taux de dépôts sur la profitabilité du système.
L’autre annonce d’importance réside dans la mise en place d’une série de nouveaux TLTRO d’une maturité de quatre ans. Désormais, les banques de la zone euro pourront pour la première fois emprunter à des taux négatifs auprès de la BCE. Ceci devrait immuniser les banques européennes en leur permettant de refinancer leurs tombées obligataires même si les conditions de marchés à l’émission devaient demeurer peu favorables.
En filigrane – et c’est peut-être le signal le plus important – nous comprenons également que la BCE se soucie effectivement de la profitabilité du système bancaire en fournissant une ressource à très bon marché. Sa décision écarte également le spectre d’une rémunération négative des dépôts des particuliers.
En revanche il faut noter que l’annonce d’un élargissement des actifs éligibles au programme de QE aux obligations entreprises de la catégorie non spéculative ainsi que son impact direct sur les banques européennes demeurent encore flous à ce stade. D’ailleurs, la BCE ne s’est pas encore prononcée sur la proportion du programme d’achat qui sera consacrée à ces nouveaux actifs éligibles. Cette mesure pourrait de nouveau exercer une pression sur les marges dans les grands financements dans un contexte où celles-ci étaient déjà baissières. Nous serons attentifs à ce développement.
En conclusion, bien que nous ne nous attendons pas à ce que la performance économique du secteur bancaire soit grandement affectée pas ces annonces, nous jugeons très favorable le changement de perception qui pourrait en découler.
Le secteur bancaire européen se négocie aujourd’hui à des niveaux presque aussi bas que lors de la crise souveraine européenne en 2011 ou encore de la faillite de Lehman Brothers en 2008. Beaucoup de craintes sont donc déjà intégrées dans les cours. Le momentum de résultats du secteur demeure évidemment sous pression à court terme compte tenu du très faible niveau des taux d’intérêts. Mais la reprise européenne se confirme et la reprise de la production de crédits n’en est qu’à son début.
Tout en maintenant une forte discipline en matière de sélection, nous voyons dans les niveaux de valorisation actuels du secteur une opportunité à moyen terme plutôt qu’un risque négatif.
Dans un monde où les taux sont quasiment nuls, beaucoup de banques parviennent d’ores et déjà à afficher des rentabilités voisines de 10%, couvrant ainsi leur coût du capital. Partant de ce niveau, les meilleures d’entre elles devraient parvenir à améliorer leur performance économique en travaillant sur leur base de coûts (réduction des réseaux d’agences, digitalisation, simplification des infrastructures IT et consolidation) d’une part et leur mix de revenus d’autre part. Ceci passe par le développement de leurs commissions afin de compenser l’effritement de leur marge d’intérêt. Cela suppose en revanche des conditions de marchés plus apaisées qu’elles ne l’ont été ces dernières semaines.