par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI Asset Management
Cette semaine, avec plus de 2 607 jours, le « Bull Market » actuel des actions américaines est devenu le deuxième plus long de l’histoire, derrière celui d’octobre 1990 à mars 2000. Après un début d’année en net repli, l’indice S&P 500 est ainsi revenu à moins de 2 % de son record historique ! De même, les actifs « à risque » internationaux se sont nettement repris.
Parallèlement, la visibilité d’ensemble paraît faible et les risques potentiels s’accumulent… Quelle analyse porter sur cette situation a priori paradoxale et quelle stratégie adopter ?
Le cycle boursier actuel est donc assez long, de même que le cycle de reprise économique qui a près de 7 ans. Statistiquement depuis près de 40 ans, il y a une période de ralentissement marquée au plan mondial environ tous les 7/8 ans. Les investisseurs sentent donc intuitivement que les marchés sont « matures » et que, de ce fait, on se rapproche inéluctablement d’une période boursière plus troublée… Les risques potentiels pour les marchés ne manquent pas, à la fois d’ordre conjoncturel et structurel.
1 – Le risque conjoncturel le plus important est celui d’une rechute de la croissance mondiale
Dans son dernier communiqué, le FMI a été très clair : les risques de ralentissement de l’activité économique internationale ont augmenté sérieusement et les prévisions de croissance mondiale ont été révisées à la baisse, de 3,6 à 3,4 %. Les doutes se focalisent particulièrement sur les deux plus grandes économies du monde, les États-Unis et la Chine.
L’économie américaine reste toujours difficile à lire. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de choc climatique au premier trimestre, mais les dernières données sont quand même assez médiocres, ce qui laisse présager d’un rythme de croissance qui s’établira autour de 1 %. La consommation reste assez bonne, même si les ménages continuent à épargner plus que d’habitude, mais les chiffres des commandes de biens durables montrent que l’investissement des entreprises est en recul alors que la hausse du dollar de l’année dernière commence à se traduire dans les chiffres décevants du commerce extérieur. Il est encore trop tôt pour anticiper une récession aux États-Unis, mais il est clair que les risques sont désormais à la baisse et la croissance potentielle semble avoir baissé. Le consensus s’attend à une croissance de l’ordre de 2 % cette année outre-Atlantique.
La Chine a cristallisé l’attention et les craintes des investisseurs ces derniers mois. Un « Hard Landing », c’est-à-dire un taux de croissance qui tomberait autour de 3 % est en effet redouté, sous l’effet d’une perte globale de compétitivité de l’industrie chinoise et également en raison d’un endettement global qui a fortement augmenté depuis la crise de 2008 : la Chine aurait en effet créé 40 % de la dette mondiale depuis 7 ans et la dette totale serait égale à 3 fois le PIB du pays ! Par ailleurs, des signes de tensions sociale semblent se multiplier, qui indiqueraient une hausse possible du chômage (il n’y a pas de taux officiel en Chine…). La situation du pays pose donc clairement question, alors que l’économie est en voie de mutation vers une activité plus centrée vers les services. Les dernières statistiques ont cependant été convenables, mais sous l’impulsion à nouveau d’une hausse des dépenses publiques. Donc méfiance, même si nous avons la conviction que l’économie des secteurs de la technologie, de la consommation et de l’innovation reste très dynamique et devrait éviter un ralentissement trop brutal…
En zone Euro, le premier trimestre est en demi-teinte, ce qui est un peu décevant alors que les planètes sont alignées (dollar élevé, taux bas et pétrole en baisse…). L’indice PMI « Flash », qui mesure l’activité en instantané, a été révisé à la baisse en mars, ce qui montre une économie qui n’accélère pas. Sans surprise, la plus forte révision à la baisse concerne la France. L’indicateur économique calculé par la Commission européenne confirme également cette tendance, avec une détérioration pour le troisième mois consécutif, et des faiblesses qui concernent le secteur des services et la baisse de confiance des ménages. Au final, la zone montre qu’elle n’est pas immunisée à l’activité internationale et que sa dynamique propre est assez médiocre. Une croissance de l’ordre de 1,5 % est attendue en 2016.
La dynamique économique dans les pays émergents s’est en revanche améliorée ces dernières semaines, sous l’impulsion notamment de la reprise partielle des matières premières. Mais il convient de souligner que les anticipations étaient très basses après l’hémorragie de capitaux internationaux observée ces deux dernières années. La croissance du monde émergent devrait se situer autour de 4 %, avec quelques pays en grande difficulté comme le Brésil et la Russie, où une contraction du PIB est attendue en 2016 de respectivement 3,6 et 1,5 %.
Dans ce panorama maussade, la remontée des cours du pétrole est toutefois bien accueillie par les marchés et rassure : le cours du baril est en effet assimilé à un proxy des anticipations de croissance… Pour une fois, la reprise des cours est donc bienvenue. Il s’agit d’un indicateur important à suivre pour les marchés, de même que le dollar.
2 – Structurellement, la question des taux proches de « zéro » fragilise le secteur financier
Les fonds de pension, les compagnies d’assurance et les banques sont potentiellement fragilisés par des taux obligataires aussi faibles : cela pèse naturellement sur les rendements des portefeuilles de placement et de crédit, et cela renforce le besoin en capital des compagnies d’assurance. Par ailleurs, et paradoxalement, cela peut inciter les ménages à épargner davantage : il faut mettre davantage de côté pour assurer une rente ciblée à terme… Ces débats agitent largement la communauté financière et le consensus européen à propos de la pertinence de la politique monétaire commence à se disloquer, particulièrement en Allemagne, pays vieillissant très sensible aux questions de retraite… En résumé, ces effets induits négatifs potentiels pèsent sur la confiance globale des investisseurs. Le cas des banques italiennes sera également suivi avec attention par les marchés. Le secteur a besoin d’être recapitalisé pour satisfaire les exigences nouvelles en capital. Un montage est en cours autour d’une « Bad Bank » nationale qui recyclerait les créances les moins sûres des banques.
3 – la liquidité, encore…
Nous l’avions déjà évoqué en début d’année, les marchés sont devenus binaires et pour plusieurs raisons : le phénomène des taux à 0, voire négatifs, rend la position de l’investisseur inconfortable. Soit il prend position sur des actifs « assez sûrs » mais aux rendements très faibles, soit il prend du risque, et souvent au même moment que ses pairs, ce qui provoque des envolées ou des baisses rapides des actifs « risqués » qui deviennent de plus en plus corrélés entre eux… Et, par ailleurs, les banques interviennent moins sur les marchés aujourd’hui pour des raisons règlementaires et les fonds souverains, pénalisés par la baisse des matières premières, deviennent également des vendeurs naturels. Cette situation risque de durer et elle engendrera des points d’entrée intéressants pour les investisseurs opportunistes…
4 – la Séquence politique de juin sera « sportive » en Europe…
Les marchés ont désormais bien en tête les élections qui seront organisées au Royaume-Uni le 23 juin sur la question du « Brexit ». Cette perspective ne pèse pas encore vraiment sur les marchés : les sondages sont actuellement très serrés et il reste encore deux mois. Mais pour les investisseurs internationaux, moins au fait du mécanisme compliqué du fonctionnement de l’Europe, cela contribue probablement à différer leurs investissements sur la zone, ou à rester à l’écart. Les conséquences d’une sortie seraient en effet ponctuellement très négatives pour les marchés (nous avons récemment publié une note détaillée sur ce sujet). Et si « Brexit » il y a, cela peut donner des idées à d’autres populations : en Espagne, à la recherche d’une majorité politique stable, le parlement sera dissout en mai, en prévision de nouvelles élections qui auront lieu le 26 juin, soit juste après le suffrage au Royaume-Uni… Il est clair que les tentations séparatistes catalanes, par exemple, trouveraient un écho favorable en cas de « Brexit »…
La lisibilité d’ensemble n’est donc pas fameuse. Ceci dit, il y a toutefois un point positif à noter : la gouvernance mondiale entre les deux plus grandes puissances mondiales (États-Unis et Chine) semble meilleure. Il est possible que, à l’occasion du sommet du G20 qui s’est tenu à Shanghai en février, les grandes puissances se soient mises d’accord pour stabiliser les parités de change et de ce fait éloigner les velléités chinoises de dévaluer le RMB, ce qui avait contribué à créer un sérieux désordre financier l’été dernier.
– Taux d’intérêt : l’environnement de taux à « zéro » risque de durer, et donc la course au rendement…
Les marchés avaient pourtant douté de la pertinence de la politique conduite sous la présidence de Janet Yellen : elle a tardé à relever les taux directeurs dans le cycle actuel, qui s’est concrétisé par un relèvement unique de 0,25 % des Fed Funds en décembre dernier. Mais nous pensons qu’il faut comprendre que la Fed raisonne actuellement en tant que « Banque Centrale du Monde ». Janet Yellen le souligne régulièrement, elle fait attention aux conditions de la croissance globale… Nous l’avions déjà mentionné régulièrement, le paramètre dollar est effectivement une clé de lecture très importante pour les marchés. Un dollar plus faible a un impact positif sur quelques sujets de stress très importants pour les marchés : cela desserre l’étau sur la monnaie chinoise qui retrouve ainsi de la compétitivité. Par ailleurs, nous savons empiriquement que lorsque le dollar a tendance à baisser, les matières premières ont tendance à remonter, exprimées en dollar. Cela contribue donc à diminuer le stress sur l’exposition des banques au secteur pétrolier ainsi que les flux sortant des fonds souverains. Nous estimons donc que la Fed ne prendra pas de risque et pensons qu’il n’y aura pas de relèvement des taux directeurs dans semaines à venir. Nous nous attendons à une hausse de 0,25 % en fin d’année. En zone Euro, la politique de soutien de la BCE s’est accentuée. Après les dernières décisions prises, il y peu de risques de tensions des taux d’intérêt. Nous avons légèrement revu à la baisse notre estimation de « range » pour le Bund 10 ans, que nous voyons en tendance entre 0,20 et 0,60 % pour le reste de l’année, avec de possibles exagérations à la baisse possibles. Dans ces conditions, les « spreads » de crédit resteront sous pression.
Sur le segment crédit « Investment Grade », la détente récente a été très rapide (de près de 130 pb à près de 90) et il y a désormais peu de potentiel de réduction supplémentaire : le marché a anticipé les achats de la BCE qui seront effectifs à partir de juin, mais face à cette demande nouvelle, les émissions se sont nettement reprises.
Le mouvement a également été spectaculaire sur les obligations « High Yield », dont les performances depuis le début 2015 sont désormais nettement positives, avec de plus de 6 % aux États-Unis et 3,7 % en zone Euro. Les spreads sont désormais beaucoup moins attractifs. Le rendement affiché de la classe d’actifs en zone Euro s’établit à 4,6 %, mais avec de très fortes disparités et une « Barbelisation » du segment : 40 % du gisement offre un rendement inférieur à 3 % alors que 7 % procure plus de 8 %… La capacité de sélection des titres sera désormais plus importante que la recherche de tendances globales… Nous réitérons notre vue positive sur les obligations émergentes même si, là aussi, le mouvement récent a été rapide : la performance de l’indice des dettes locales est de + 13 % en dollar cette année (+ 8,6 % en euro), celui des dettes fortes est de 6,5 % (2,5 % en euro) après un mois de janvier très difficile. Les flux commencent à revenir nettement après deux années marquées par des sorties massives. Les rendements ont baissé mais nous estimons qu’ils restent encore intéressants en comparaison des taux occidentaux, et avec des devises qui restent encore dans l’ensemble attractives. Les rendements s’établissent ainsi autour de 6/6,5 %.
Enfin, nous conservons une vue positive sur les « Breakeven » des obligations indexées sur l’inflation. L’inflation n’est clairement pas un sujet d’actualité pour les investisseurs et c’est la raison pour laquelle nous pouvons actuellement l’acheter « pas cher », autour de 1,6 % aux États-Unis et 1 % en Allemagne…
– Actions : le moteur « bénéfices » est en panne
La dynamique médiocre de l’économie internationale pèse sur les résultats des entreprises. Aux États- Unis, nous sommes dans la saison de la publication des comptes trimestriels. Sans surprise, les résultats sont négatifs, en baisse de 7 % globalement par rapport à la même période de l’année passée, et ce pour le 4e trimestre consécutif… Certes, ils sont jusqu’à présent meilleurs que les attentes avec un taux de plus de 78 %, ce qui est le meilleur ratio depuis le 3e trimestre de 2009… Avec un PER (Price Earning Ratio) proche de 17 et un cycle boursier « mature », difficile de trouver un fort potentiel de hausse si les marges et les bénéfices des entreprises stagnent. Pour l’instant, les profits pour l’ensemble de l’année sont attendus en légère progression de 2,5 %. Eu zone Euro, les bénéfices sont attendus en progression de 3,5 % cette année, mais les niveaux de valorisation globale sont plus convenables : PER estimé de 14, mais surtout avec un rendement des dividendes de près de 3,7 % actuellement, ce qui est très attractif par rapport au niveau des taux d’intérêt dans la zone. Les actions européennes présentent donc toujours à notre avis le meilleur couple valorisation/potentiel. Nous pensons aussi que l’environnement sera favorable à la sélection des titres car il y aura cette année des différences entre les secteurs et les valeurs.
Synthèse : il y aura des forces de rappel, à la hausse comme à la baisse !
Nous pensons donc que le régime de volatilité peut durer au cours des prochaines semaines. Après les « rallyes » récents, les marchés actions seront capés. Ils ne peuvent pas monter beaucoup plus en l’absence de dynamique positive sur les résultats des entreprises. Inversement, en cas de baisse importante, il y aura aussi des forces de rappel : les Banques Centrales d’une part, qui seront à la manœuvre avec des politiques de taux d’intérêt très faibles ; d’autre part, les valorisations absolues et relatives redeviendront attractives. Il faut donc actuellement savoir être agile dans la gestion de ses portefeuilles… À moyen terme, une amélioration « macro » serait nécessaire pour envisager une reprise durable de la tendance haussière sur les marchés actions.