Helicopter money

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

L’expression « helicopter money » apparaît pour la première fois en 1969 dans l’ouvrage de Milton Friedman « The Optimum Quantity of Money ». Elle sert à illustrer la nature monétaire du phénomène de hausse des prix.

Elle doit toutefois sa popularité à Ben Bernanke qui l’envisage comme un outil de lutte contre la déflation. Il s’agit alors d’une politique budgétaire expansionniste financée par la banque centrale. B. Bernanke se place dans un cadre où l’économie peut durablement évoluer sous son potentiel. Une politique d’helicopter money aurait alors un effet positif sur l’activité.

Pour juger de son efficacité, il convient de comparer l’helicopter money à une relance budgétaire financée par émission de dette associée à un programme d’assouplissement quantitatif (QE) de la banque centrale. Dans l’hypothèse où les agents forment des anticipations rationnelles et où l’helicopter money conduit à une hausse permanente de l’offre de monnaie, cela équivaut à un QE infini.

Le concept d’helicopter money a récemment bénéficié d’un regain d’intérêt, notamment dans la zone euro. Interrogé dernièrement sur la possibilité de voir cet instrument utilisé par la Banque centrale européenne, Mario Draghi répondait que le concept était très intéressant mais qu’il n’avait pas encore fait l’objet de discussions au sein de la BCE1. Bien que ces propos aient été atténués depuis par divers membres du Conseil des gouverneurs2, le sujet continue d’alimenter le débat autour des limites effectives de la politique monétaire. Au-delà de sa faisabilité, notamment du point de vue juridique, nous revenons sur l’idée économique de l’hélicoptère monétaire, notamment ce qui le distingue des politiques macroéconomiques couramment employées.

L’inflation, un phénomène monétaire

L’expression helicopter money apparaît pour la première fois en 1969 dans l’ouvrage de Milton Friedman « The Optimum Quantity of Money ». Pour illustrer la relation entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau des prix, M. Friedman imagine une économie en état d’équilibre (donc au plein emploi), survolée par un hélicoptère déversant des pièces et des billets de telle sorte que les encaisses monétaires de chaque citoyen se trouvent multipliées par deux. Il suppose par ailleurs que cette opération n’arrive qu’une fois. Après une période de transition, le seul changement s’observe du côté du niveau des prix, qui a doublé, sans qu’aucune variable réelle (la production, l’emploi) n’ait été modifiée de façon permanente.

L’hypothèse de départ concernant l’état d’équilibre de l’économie est déterminante : elle explique pourquoi les agents dépensent l’argent tombé du ciel (pourquoi vouloir doubler son taux d’épargne si ce dernier était à l’équilibre ?) mais aussi pourquoi la production reste inchangée (il n’y a pas de capacités sous-employées). Dès lors, seule la hausse des prix permet d’absorber l’excès de liquidités. Le revenu nominal augmente mais pas du revenu réel.

Avec l’image de l’helicopter money, M. Friedman illustre la nature monétaire du phénomène de hausse des prix. Elle justifie le mandat de la banque centrale : l’institution en charge de l’émission de monnaie est la mieux placée pour contrôler l’inflation, ce qui en fait la garante du pouvoir d’achat, c’est-à-dire de la valeur de la monnaie exprimée en quantité de biens et services.

Lutter contre la déflation

Bien qu’inventé par M. Friedman le concept d’helicopter money doit sa popularité à Ben Bernanke qui, dans un discours de 20023, insistait sur la symétrie dont doit faire preuve la banque centrale dans sa recherche de stabilité des prix : la déflation doit être combattue avec la même détermination que l’inflation. La déflation ne se résume pas à la baisse des prix ; elle s’accompagne d’un recul général et auto-entretenu de l’activité dont la cause est l’insuffisance de la demande. Lutter contre la déflation passe donc par une politique monétaire expansionniste. Dans le cas extrême où cette dernière ne serait pas suffisante, elle gagnerait en efficacité grâce à une coopération avec les autorités budgétaires, sous la forme d’un crédit d’impôt financé par création monétaire. B. Bernanke compare cette politique à l’helicopter money imaginé par M. Friedman. Il n’y a, en effet, aucune différence entre une distribution directe de monnaie aux agents économiques et une distribution indirecte, qui transiterait par le Trésor public.

Comptablement, cela consiste en une augmentation de l’offre de monnaie (le passif de la banque centrale) sans que la banque centrale ne prenne d’actifs en pension ou n’achète de titre. L’équilibre bilanciel peut alors s’obtenir de deux façons : soit en créditant l’actif d’une obligation perpétuelle, soit en introduisant un élément compensatoire au passif sous la forme de capitaux propres négatifs.

En définitive l’helicopter money peut prendre deux formes : i/ une distribution directe de monnaie par la banque centrale ii/ une relance budgétaire financée par monétisation. Dans le premier cas, B. Bernanke notait récemment4 un problème de légitimité politique : si la banque centrale est bien en charge de l’émission de la monnaie, elle ne peut pas décider unilatéralement de son utilisation, qui est du ressort du gouvernement. D’où l’idée d’envisager l’helicopter money comme une coopération entre la banque centrale et les autorités budgétaires. Naturellement, les modalités peuvent varier : la relance budgétaire peut prendre la forme d’un crédit d’impôt et/ou d’une augmentation des dépenses publiques ; la monétisation peut être directe si la banque centrale crédite le compte du Trésor public ou indirecte si elle annule une dette préalablement achetée.

QE infini

A la différence de la situation d’équilibre imaginée par M. Friedman, dans laquelle la politique monétaire n’a pas de conséquences sur les variables réelles, B. Bernanke se place dans un cadre déflationniste où l’économie évolue durablement sous son potentiel. Dans un tel contexte, une relance budgétaire financée par la banque centrale aura un effet positif sur l’activité. Elle se traduira par une augmentation de la production de biens et services et des créations d’emplois qui, à leur tour, généreront un surplus d’activité, et ainsi de suite. On retrouve ici l’idée du multiplicateur budgétaire. Le retour de l’activité à son niveau d’équilibre s’accompagnera d’un retour à la stabilité des prix (i.e. une inflation modérée). Pour juger de l’efficacité de l’helicopter money, il faut toutefois le comparer à une relance budgétaire financée par émission de dette associée à un programme d’assouplissement quantitatif de la banque centrale.

Intéressons-nous d’abord aux seuls effets de la relance budgétaire. Son efficacité est mesurée par la hausse de l’activité en réponse à une hausse d’un point des dépenses publiques. Dans le cas d’un financement par émission de dette, elle dépend étroitement de la présence ou non d’effets ricardiens5. L’équivalence ricardienne est l’idée selon laquelle une hausse des dépenses publiques, dès lors qu’elle entraîne une hausse de la dette publique, sera compensée par un surcroît d’épargne privée visant à faire face à une future augmentation de la pression fiscale.

En internalisant la contrainte budgétaire de l’Etat, le secteur privé réduit, voire annule, l’effet expansionniste de la dépense publique. La présence d’effets ricardiens suppose que les comportements des agents économiques soient fondés sur des anticipations rationnelles. Cela étant, même en faisant cette supposition, leur intensité reste vivement débattue, notamment en présence d’un output gap négatif6. Contentons-nous de dire qu’une relance budgétaire financée par endettement aura des effets positifs dans une conjoncture déprimée, mais que son efficacité pourrait être réduite par d’éventuels effets ricardiens, notamment si le niveau de la dette publique est déjà élevé.

Introduisons maintenant la possibilité qu’un Etat finance l’augmentation de ses dépenses en émettant de la dette rachetée par la banque centrale. En consolidant le bilan de la banque centrale et celui des administrations publiques (la banque centrale transfère bien ses profits au Trésor public), tout se passe comme si la charge d’intérêt était annulée : l’Etat paye des intérêts à la banque centrale qui lui sont reversés sous forme de profits. Il n’y a alors presque plus de différence entre une politique d’helicopter money et une politique associant relance budgétaire et QE.

La seule différence, fondamentale, réside dans le caractère temporaire de l’augmentation de l’offre de monnaie. Une politique d’assouplissement quantitatif n’est pas vouée à durer indéfiniment. Au bout d’un certain temps, la banque centrale cherchera à réduire la taille de son bilan en ne souscrivant plus aux nouvelles émissions d’obligations, voire en vendant celles placées à son bilan. Dans un monde ricardien, où les agents sont rationnels et clairvoyants, cela revient à une relance budgétaire financée par endettement.

Le problème se pose également dans le cas d’une politique d’helicopter money si les agents anticipent que l’Etat devra, à un moment ou un autre, recapitaliser la banque centrale. Pour qu’il y ait une différence entre l’helicopter money et une relance budgétaire classique, il faut qu’il soit synonyme d’une hausse irréversible de l’offre de monnaie, c’est-à-dire, comme mentionné plus haut, que la banque centrale opère de façon permanente avec un capital négatif. Rien n’indique qu’une banque centrale en charge d’une monnaie fiduciaire soit contrainte d’avoir un capital positif. Comme le rappellent De Grauwe et Ji (2013)7, en dehors d’un système d’étalon-or ou d’un régime de change fixe, la seule promesse d’une banque centrale est de maintenir le pouvoir d’achat de la monnaie. Une banque centrale crédible peut opérer avec un capital négatif de façon permanente. Une solution équivalente mais comptablement plus satisfaisante consisterait à inscrire à l’actif de son bilan une obligation perpétuelle sans coupon. Dans ce cas, en effet, la dette publique nette restera inchangée, tout comme les anticipations d’évolution de la fiscalité. Les effets ricardiens ne seront plus pertinents8.

Jusqu’à présent, nous avons considéré l’helicopter money uniquement sous ses aspects budgétaires. Or le concept correspond bien à l’association d’une relance budgétaire et d’un soutien monétaire. Là encore, la différence avec une politique d’assouplissement quantitatif réside dans le caractère permanent de l’augmentation de l’offre de monnaie. La politique d’assouplissement quantitatif permet de réduire les rendements sur l’ensemble de la courbe des taux. Mais en deçà d’un certain niveau, les agents économiques deviennent indifférents entre détenir de la liquidité ou des obligations ; l’augmentation marginale de l’offre de monnaie est sans effet sur les taux d’intérêt qui atteignent un plancher : l’économie est dans une trappe à liquidité. En déflation, les taux d’intérêt réels peuvent être trop élevés pour assurer l’équilibre entre épargne et investissement à un niveau qui assure le plein emploi.

L’unique levier de la politique monétaire passe alors par le relèvement des anticipations d’inflation, une option qui ne devient possible que si la création monétaire est considérée comme permanente. Comme le rappelle B. Bernanke, à long terme (une fois l’économie en situation d’équilibre), le niveau des prix est proportionnel à l’offre de monnaie. En clair, une politique d’helicopter money efficace, c’est-à-dire supérieure à une relance budgétaire associée au QE, équivaut théoriquement à relever la cible d’inflation, un résultat qui serait également obtenu en promettant un QE infini.

NOTES

  1. «It's a very interesting concept that is now being discussed by academic economists and in various environments. But we haven’t really studied yet the concept» (M. Draghi, conférence de presse de la BCE, 10 mars 2016).
  2. «We are not considering anything of that sort. So it's not on the table in any shape or form» (V. Constancio).
  3. Bernanke B. (2002), «Deflation : Making Sure « It » Doesn’t Happen», Federal Reserve Board, novembre.
  4. Voir Bernanke B. (2016), «What tools does the Fed have left ? », Brookings, avril
  5. En théorie, il peut également y avoir un effet d’éviction si l’appel au marché fait monter les taux d’intérêt et décourage ainsi les investissements du secteur privé. Mais une telle réaction n’a aucune chance de se produire dans une situation de déflation.
  6. DeLong et Summers (2012) estiment par exemple que dans une conjoncture très déprimée, la taille du multiplicateur budgétaire est telle que la relance budgétaire permet de faire baisser la dette publique, annulant les effets ricardiens.
  7. De Grauwe P.Ji Y. (2013), Fiscal Implications of the ECB’s Bond-buying Programme, CEPR, Juin.
  8. Une hypothèse centrale ici est qu’un financement monétaire, contrairement à la dette, ne génère pas de paiements d’intérêts pour l’Etat. Or, en pratique, les liquidités déposées par les banques commerciales auprès de la banque centrale peuvent être rémunérées (ce qui n’est pas le cas en zone euro où le taux est négatif). Dans ce cas, une politique d’helicopter money efficace suppose que les liquidités créées pour financer la relance budgétaire ne soient pas rémunérées par la banque centrale.

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