par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque
Les trois illusions sur lesquelles l’économie mondiale s’est construite à partir de la fin des années 90 ont été battues en brèche par l’éclatement de la crise financière mondiale.
La translation du pouvoir économique de l’Occident vers l’Asie était une chimère. Le poids des pays émergents dans le PIB mondial devrait atteindre 45% l’an prochain mais leur forte dépendance à l’économie américaine et leur recours excessif à l’endettement en dollar US les empêchent de jouer le rôle de relais de croissance qu’on prophétisait.
L’autorégulation des marchés financiers, qui impliquait une mise en retrait de l’Etat, était un mensonge éhonté. Elle a conduit à une dépossession du politique au profit d’acteurs non régulés et à une déresponsabilisation de tous les acteurs de la chaîne, du trader au président de banque, en passant par le régulateur. Ce laisser-aller coupable est responsable de la crise des subprimes et de l’incapacité des pays développés à renouer avec une croissance soutenue depuis 2008.
La croyance dans une ère de croissance illimitée a fait long feu. L’optimisme sans faille qui prévalait au début des années 2000 résultait d’une incapacité à comprendre les changements économiques structurels à l’œuvre. Tout le monde avait conscience que les crises étaient de plus en plus fréquentes mais elles étaient appréhendées comme une purge nécessaire du système afin de permettre une reprise plus vigoureuse. Cette fable faisait l’unanimité jusqu’à la dernière crise financière. La récession qui a suivi n’a pas permis de résorber les excès et de limiter les facteurs de risque. Au contraire, depuis 2010, les encours d’ETF ont augmenté de près de 190% et de mutual funds d’environ 50% outre-Atlantique. En outre, la croissance est dramatiquement faible. Aux Etats-Unis, économie développée pourtant la plus vigoureuse, le rythme de croissance est inférieur de moitié à son niveau moyen en période de sortie de crise. L’amorce qu’on observe d’un déclin de la demande en biens manufacturiers est un sujet de préoccupation majeur et confirme la fin d’un cycle pour l’économie américaine.
Un univers économique désenchanté
Neuf ans après 2007, le constat est amer. La croissance est de retour, martèle-t-on quasiment pour s’en convaincre, alors qu’une nouvelle crise va certainement balayer les rares effets bénéfiques d’une reprise économique qui ne s’est jamais vraiment matérialisée pour le plus grand nombre ces dernières années. Les pays développés apparaissent en grande partie démunis pour affronter les défis auxquels ils font face : le déclin démographique et le boom migratoire, le ralentissement de la productivité et, enfin, l’essor du populisme.
L’économie renoue avec les fondamentaux. Historiquement, les deux moteurs principaux de la croissance sont la démographie et la productivité. A la fin du Moyen Âge, après l’épisode de la peste noire (1347-1352), le bond démographique a permis une progression de la croissance européenne qui a été renforcée dès le 19ème par l’impact positif de la Révolution Industrielle sur les structures de l’économie. Un siècle et demi plus tard, le moteur démographique est en panne. Dans quasiment tous les pays développés, la démographie est en déclin ou en passe de l’être d’ici quelques années. Pour enrayer cette tendance, l’Allemagne a pris la décision unilatérale d’accueillir près de 3,6 millions de migrants avant 2020. A priori, il s’agit d’un choix économique judicieux mais la question de l’employabilité des migrants, c’est-à-dire leur capacité « à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement », reste entière.
La France n’est pas encore confrontée au défi démographique. Toutefois, le pays ne profite pas pleinement de sa démographie triomphante à cause d’une productivité trop faible. Le premier problème de l’économie, ce n’est pas la compétitivité, ce ne sont pas les 35 heures, c’est la productivité ! Les causes exactes du ralentissement de la productivité dans nos économies modernes ne font pas consensus. En revanche, les solutions sont connues : il faut une meilleure formation de la population active aux nouvelles technologies. Cela implique de maîtriser l’outil informatique mais pas seulement. Il faut apprendre à coder, à travailler avec les robots, à comprendre les applications de la blockchain et à utiliser le Big Data. Il faut également accepter qu’une partie de la population ne sera jamais en mesure de rattraper son retard de formation et qu’elle sera, pendant une grande partie de la vie professionnelle, en situation de précarité ; donc à la charge de la collectivité.
La croissance faible nourrit le populisme des deux côtés de l’Atlantique. Donald Trump, Viktor Orban, Marine Le Pen, Pablo Iglesias, Norbert Hofer sont des exutoires de circonstance pour une population qui est de plus en plus frustrée par l’absence de perspectives économiques positives. La baisse de la valeur ajoutée nette aux Etats-Unis depuis fin 2014 est un signal d’alarme envoyé à tous les responsables politiques : la diminution de la richesse nouvellement créée complique encore davantage son partage entre les membres de la société et menace la paix sociale.
Contrairement à ce qu’anticipait le politiste Bertrand Badie il y a quelques années, la mondialisation ne s’est pas accompagnée de la « fin des territoires ». Elle a consacré le retour de la Nation et du politique sur le devant de la scène. L’essor du populisme est inexorable mais il ne doit pas être uniquement considéré comme négatif. Il questionne les structures économiques et la construction européenne qui sont loin d’être optimales. Il ne faut pas en avoir peur, il doit inciter les partis de gouvernement à mener leur introspection afin de proposer des solutions politiques innovantes à l’ère de la faible croissance.