par Alexandra Estiot, Economiste chez BNP Paribas
• La Fed a franchi la deuxième marche de la normalisation de sa politique monétaire, avec une hausse de 25 points de base.
• Les projections économiques sont quasi parfaitement identiques à celles de septembre, alors même qu’en trois mois les évolutions sont marquées.
• La Fed préfère rassurer, en ne surprenant ni par ses actions ni par son discours, et la hausse de taux est qualifiée de « vote de confiance ».
Bien qu’un peu moins qu’à la fin 2015, cette réunion du Comité de politique monétaire (FOMC) était très prévisible. La Fed a donc remonté ses taux de 25 points de base (pb). Janet Yellen a expliqué cette décision par les «considérables progrès» de l’économie américaine vers le respect des deux objectifs de la Fed, soit un emploi « maximum » et une stabilité des prix. Au-delà des actions concrètes de politique monétaire, les nouvelles projections économiques des différents membres du FOMC étaient attendues. Ici, la stabilité domine. Ce n’est qu’à la marge que les prévisions de croissance (en hausse), d’inflation (en hausse pour l’indice général, inchangé pour le sous-jacent) et de chômage (en baisse) ont été amendées. Il faut alors voir dans ces nouvelles estimations la prise en compte des dernières données publiées plus que le reflet d’un nouveau diagnostic. Aucun soutien budgétaire n’est intégré.
Une autre des projections a particulièrement retenu l’attention : celle du taux cible des fonds fédéraux. Alors qu’en septembre, cette projection médiane annonçait deux hausses de taux (de 25 pb chacune) en 2017, le scénario « central » en intègre à présent trois. Mais ici encore, la nuance est importante. Ainsi Janet Yellen a déclaré lors de sa conférence de presse que cette évolution s’expliquait par un ajustement de prévisions de « quelques » membres seulement. Plus qu’un changement de point de vue du cœur du Comité, il faut donc y voir l’ajustement des membres les plus dovish : alors qu’ils projetaient, en septembre, un taux compris entre 0,50% et 0,75% à fin 2018, ils ont intégré la hausse de taux qui vient d’être annoncée et une autre en 2017. Ici aussi donc, les projections restent globalement les mêmes, alors qu’elles ne sont que des prévisions. Janet Yellen a une fois de plus répété que les taux ne suivaient pas une route déjà tracée. A cet égard, il est bon de rappeler qu’il y a un an, la Fed projetait quatre hausses de taux en 2016. Une seule aura été effective.
A l’écoute de Janet Yellen, on en vient à penser que cette stabilité des prévisions tient davantage à l’incertitude qu’aux… certitudes. Selon cette lecture, les membres du FOMC n’attacheraient pas une plus grande probabilité de réalisation à leurs projections, bien au contraire. Face aux inconnues qui entourent l’évolution de la politique budgétaire, ils auraient préféré figer leur scénario dans l’attente d’éléments tangibles. Indéniablement, le monde a évolué depuis la dernière publication, en septembre, de ce jeu de prévisions. Alors que l’accord trouvé au sein (et au-delà) de l’OPEP sur une réduction de la production a conduit les prix du pétrole à la hausse, l’élection Donald Trump a provoqué un re-pricing général sur les marchés financiers. Le dollar s’est de nouveau apprécié (et encore davantage avec les annonces de la Fed), le rendement des Treasuries s’est tendu et avec lui l’ensemble des taux longs. On serait tenté de faire le rapprochement avec le taper tantrum du printemps 2013, lorsque les marchés avaient réagi aux préannonces de ralentissement du rythme d’achats mensuels de titres dans le cadre du troisième programme d’assouplissement quantitatif de la Fed (QE3). Certes, il y a une différence, en ce qu’à l’époque actions et obligations corporate avaient alors souffert. Aujourd’hui elles profitent du mouvement (le marché action est en hausse et les spreads corporate se sont resserrés). Reste que le rendement des Treasuries à 10 ans a gagné près de 70 pb depuis le jour des élections, les taux des obligations privées notées BAA environ 40 pb, les taux hypothécaires à 30 ans près de 80 pb et le dollar plus de 3,5% en termes effectifs. Ces vents sont clairement contraires pour les ménages : le rebond du prix de l’énergie pèsera sur leur pouvoir d’achat, alors que la remontée des taux hypothécaires ne manquera pas de freiner le marché de l’immobilier résidentiel. Mais les promesses de soutien budgétaire pourraient aussi venir soutenir le revenu disponible. Reste que les effets de ces engagements de campagne, tant qu’ils ne seront pas traduits concrètement en projet(s) de loi, ne peuvent être estimés. A la complexité de la chose il s’agit d’en ajouter une autre : celle des effets différenciés par tranches de revenu. Ceux qui souffriraient le plus des freins (prix du pétrole) seraient ceux bénéficiant le moins des soutiens (baisse d’impôt et augmentation de la rémunération de l’épargne), et ce alors même qu’ils sont ceux qui présentent les plus fortes propensions à consommer.
Dans ce contexte, la Fed a préféré rassurer. Interrogée sur les effets qu’on pouvait attendre de cette hausse de taux pour les ménages, Janet Yellen a ainsi déclaré que cette décision était le signe clair de l’optimisme de la Fed, la qualifiant de «vote de confiance». Rassurer, ici, c’était ne pas surprendre. Nul n’attendait un statu quo, et la Fed a donc procédé à la hausse de taux. Le fait que le FOMC ait, à deux reprises, attendu qu’un resserrement monétaire soit pleinement anticipé avant de l’annoncer a d’ailleurs été relevé lors de la conférence de presse. Si Janet Yellen a indiqué qu’un tel consensus n’était en aucun cas une condition nécessaire, elle s’est aussi félicitée de la capacité de la Fed à faire passer clairement son message.
Et ici, le message, sera passé. La Fed n’entend pas conduire à une surchauffe de l’économie, et ne prévoit qu’un passage temporaire (et marginal) du taux de chômage sous son niveau d’équilibre. Cette surchauffe, Janet Yellen ne la juge pas opportune. De là à dire que le temps de la relance budgétaire est passé, il n’y a qu’un pas, qu’elle a franchi, ajoutant que le défi pour l’Amérique était de relever le taux de croissance potentiel de l’économie, indiquant que l’éducation et la formation étaient certainement les meilleurs outils.