par Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas
- La croissance économique chinoise ralentit, affectée par l'affaiblissement de la demande mondiale. Le taux de croissance du PIB devrait passer de 11,9% en termes réels en 2007 à 10,0% en 2008, et se situer légèrement audessus de 9,0% en 2009.
- Le ralentissement de la croissance et la chute des prix des actifs boursiers pourraient avoir des implications sociales et inquiètent le gouvernement, qui a clairement assoupli sa politique économique depuis juin 2008.
Les signes récents de modération de l’inflation, les confortables excédents de la balance des paiements et la solidité des finances publiques donnent au gouvernement une bonne marge de manoeuvre pour pouvoir moduler ses instruments de politiques économiques, atténuer les effets du ralentissement mondial et réduire les risques d’atterrissage brutal de la croissance chinoise.
Le ralentissement des exportations freine l'activité économique
Le taux de croissance réel est passé progressivement d'un pic de 12,6% en glissement annuel au T2 07, à 10,1% au T2 08. Le secteur industriel affiche le plus fort ralentissement. La faiblesse de la production manufacturière, qui résulte en premier lieu de l'affaiblissement de la demande mondiale pour les produits chinois, touche l'ensemble de l'industrie locale.
Du côté de la demande, les exportations nettes ont été le principal facteur du ralentissement de la croissance du PIB. Le rythme de progression des exportations de marchandises s'est essoufflé au S1 08 (en USD, +22% en g.a. contre +26% en 2007 ; et en volume, +12% en g.a. au S1 08 contre +20% en 2007), tandis que le niveau élevé des prix des matières premières renchérissait le coût des importations.
Il est important de relever qu’au cours des dernières années l'impact potentiel du ralentissement des exportations sur la croissance du PIB s'est renforcé, du fait de l’élargissement de la base des exportations chinoises et de la modification de leur structure. En effet, le ratio exportations sur PIB est passé de 20% en 2001 à 37% en 2007, la part des « biens assemblés » en Chine à partir de produits importés a légèrement diminué (51% des exportations totales au S1 08 contre 55% en 2005), et la valeur ajoutée domestique de ces produits assemblés a progressé, passant de 34% de leur valeur en 2005 à 42% au S1 08 – en partie grâce à des mesures d’incitation introduites par le gouvernement.
Ainsi, depuis le début de la décennie, la valeur ajoutée domestique des exportations, exprimée en pourcentage du PIB, a pratiquement doublé pour atteindre environ 8% à la fin de l’année 2007. Au cours du S1 08, la croissance de la consommation des ménages est restée vigoureuse, tandis que l’investissement productif a montré quelques signes d’essoufflement, principalement dans les secteurs exportateurs (textile, électronique, machines).
L’investissement a également souffert de la hausse des prix du pétrole, de l'électricité et des matières premières, ainsi que des mesures de resserrement monétaire et de restriction à l'accès au crédit mises en oeuvre en 2007 et au S1 08.
L’investissement immobilier, qui représente un quart de l’investissement total, a continué à progresser rapidement au 1S08, mais il pourrait connaître un freinage brutal au cours des derniers mois de cette année, suite au ralentissement marqué des transactions immobilières depuis la fin de l'année 2007.
Un affaiblissement des taux de croissance de l’ensemble des composantes du PIB est attendu au S2 08 et en 2009. Le fléchissement des exportations va affecter la demande interne, et la consommation des ménages pourrait également subir l'impact décalé du pic d'inflation enregistré fin 2007-début 2008, d'un marché du travail moins dynamique et des effets de richesse négatifs liés à la chute des indices boursiers.
La croissance économique de la Chine ne devrait pas descendre très en deçà de 9% en termes annualisés. Il s’agit là d’un seuil important d’un point de vue social, car ce taux de croissance est nécessaire pour permettre chaque année la création des dix millions d’emplois ciblés par le gouvernement, qui permettent d’absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. Les autorités chinoises devraient donc ajuster leurs instruments de politique budgétaire et monétaire de façon à s’assurer que la croissance du PIB se maintienne aux alentours de 9% en 2009.
Les politiques économiques donnent désormais la priorité à une « croissance solide »
Au cours des quatre derniers mois, les autorités ont modifié leurs politiques macroéconomiques en réponse au ralentissement de la croissance. En juin 2008, elles ont abandonné leur policy mix restrictif visant à contenir la surchauffe de l’économie pour adopter un objectif « de croissance équilibrée et d’inflation contrôlée ».Depuis la mi-septembre, cet objectif a été réévalué, et une « croissance solide » est désormais recherchée.
Mesures de stimulation budgétaire et monétaire
Au cours des prochains mois, le gouvernement devrait conduire une politique de forte stimulation fiscale de la demande. Des augmentations de dépenses sociales et de nouveaux projets de travaux publics sont attendus, ainsi que des mesures destinées à soutenir les revenus des ménages ruraux et des ménages urbains pauvres. Des allégements fiscaux pourraient également être adoptés pour encourager la consommation des ménages. Récemment, l’octroi de subventions fiscales et l’ajustement des dégrèvements de TVA à l’exportation ont visé à aider les petites et moyennes entreprises (PME).
En ce qui concerne la politique monétaire et de crédit, les autorités ont réduit au cours du mois de septembre, le coefficient de réserves obligatoires sur les dépôts en yuan (abaissé de 100 pb à 16,5%) et relevé les quotas de crédit (de 5% pour les banques nationales et de 10% pour les banques régionales). Ces mesures visent également principalement à favoriser les PME.
Le 15 septembre, la Banque centrale a annoncé une baisse du taux directeur sur les prêts à un an de 27pb à 7,2%. Cette réduction du taux directeur est la première depuis le début 2002. Elle a été reçue comme un signal fort de la préoccupation du gouvernement face à la dégradation de la confiance des marchés et des perspectives de croissance interne.
Interventions sur les marchés boursiers
Le Shanghai Stock Exchange (SSE), à l’instar des autres Bourses asiatiques, a subi une correction majeure depuis la mi-2007. Dans le sillage de la crise américaine des subprimes et du fait du ralentissement de la croissance et de la dégradation des profits des entreprises, l’indice composite du SSE a perdu 60% de miseptembre 2007 à mi-septembre 2008. Après l’effondrement de Lehmann Brothers le 15 septembre, cet indice a perdu encore 9%.
Si cette correction brutale a permis de ramener le prix des actions à un niveau plus réaliste, après le développement de bulles spéculatives en 2007 (les PER sont revenus de 60 en septembre 2007 à 18 en septembre 2008), elle risque aussi d’impliquer des effets de richesse négatifs.
Le gouvernement est intervenu le 18 septembre pour soutenir la Bourse : la taxe de 0,1% sur les achats de titres a été supprimée, et le fonds souverain CIC a commencé à acquérir des actions des principales banques publiques. C’était la première fois dans la courte histoire de la Bourse chinoise (qui a débuté en 1991) que l’Etat rachète des titres d’entreprises publiques. Les entreprises contrôlées par le gouvernement central ont également été encouragées à racheter leurs propres actions. Toutes ces mesures ont été efficaces puisque l’indice SSE a repris 20% au cours des deux dernières semaines.
La Chine a-t-elle vraiment les moyens d’atténuer l’impact du ralentissement mondial ?
Les autorités ont réagi rapidement et adopté des mesures contracycliques suffisamment tôt pour qu’un atterrissage brutal de la croissance économique puisse être évité. La tâche n'est toutefois pas aisée, car les chocs extérieurs sont sévères et l'économie chinoise pourrait être à court terme encore affectée par les mesures de resserrement monétaire mises en oeuvre entre la mi-2006 et début 2008. Dans le même temps, la solidité des comptes extérieurs et des finances publiques donne aux autorités la marge de manoeuvre nécessaire pour conduire une politique économique accommodante. Par ailleurs, les récentes tendances en matière d'inflation et de balance des paiements ont accru la latitude des autorités et facilité leur décision d’assouplir le policy mix.
L’inflation des prix à la consommation ralentit. Après avoir atteint début 2008 son niveau le plus élevé depuis dix ans, essentiellement du fait de la hausse des prix des biens alimentaires, l’inflation des prix à la consommation a reculé depuis six mois, principalement grâce à de bonnes récoltes agricoles et à la baisse du prix des matières premières.
Cette baisse devrait se poursuivre, à un rythme toutefois plus modéré. On prévoit une inflation moyenne des prix à la consommation de 6,9% en 2008 et 4,5% en 2009. Il s'agit toutefois de niveaux encore bien supérieurs aux moyennes de 1,5% à 2% enregistrées en 2005-2006. L'inflation devrait, en effet, rester alimentée par le processus en cours de libéralisation des prix de l'énergie sur le marché domestique (une première hausse a été décrétée l'été dernier) et par l'effet décalé de la montée inflationniste de 2007 et début 2008 sur la spirale prix-salaires – comme le rappelle la progression encore très forte de l'inflation des prix à la production au cours des derniers mois.
Au final, en dépit de la baisse des taux d’intérêt nominaux sur les crédits bancaires, le ralentissement de l’inflation aboutit à des taux d’intérêt réels plus élevés. Toutefois, la récente réduction du coefficient de réserves obligatoires et l’assouplissement des quotas de crédit devraient globalement permettre aux entreprises chinoises de profiter d’un accès au crédit plus facile à court terme.
Les excédents de la balance des paiements devraient diminuer au cours de l’année 2008. Le ralentissement des exportations devrait contribuer à réduire les excédents commerciaux, tandis que les entrées de capitaux étrangers devraient légèrement diminuer. Les phénomènes de « flight to quality » à la suite de la crise financière américaine et la réduction du différentiel de taux d’intérêt entre le yuan et le dollar US devraient, en effet, décourager les afflux de capitaux spéculatifs en Chine. Grâce à des réserves de changes et une position extérieure nette très confortables, la liquidité extérieure du pays ne devrait pas particulièrement souffrir d’une réduction temporaire des entrées de capitaux.
Au contraire, la question des excès de liquidité dans l’économie chinoise devrait se révéler moins problématique à court terme, et il sera plus facile de stabiliser le yuan. Les autorités ont déjà réduit le rythme d’appréciation du yuan depuis quelques semaines. Il est probable qu’elles utilisent le taux de change comme un instrument supplémentaire pour soutenir l’activité économique. On attend donc un ralentissement important de l’appréciation du yuan, voire sa stabilisation, dans les mois à venir.