par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
L’année 2017 a été inédite sur plusieurs plans : croissance économique régulièrement révisée à la hausse, surtout en zone Euro, pas d’inflation, politiques monétaires accommodantes…. et donc très peu de hausse des taux. Bref, un cocktail idéal pour les marchés. L’année 2018 s’annonce un peu plus compliquée et il conviendra d’être plus sélectif, même si les tendances de fond positives sont encore puissantes…
À l’heure des traditionnels bilans de fin d’année, 2017 restera dans les mémoires des investisseurs. Les performances de pratiquement toutes les grandes classes d’actifs sont positives, et quelquefois de manière très significative, alors que seule la performance du monétaire est négative, le tout dans une volatilité d’une faiblesse pratiquement jamais connue… Ainsi, les actions progressent de près de 20 % aux Etats-Unis (en dollar), de l’ordre de 25 à 30 % sur les places émergentes et entre 10 et 15 % en Europe.
Parallèlement, les taux d’intérêt à long terme ont légèrement remonté sur les pays « core » Etats-Unis et Allemagne, et se sont détendus ailleurs : France, pays périphériques, pays émergents… Seule la baisse du dollar, de près de 12 % contre l’euro, abaisse les performances des placements internationaux, mais sans entraver le bilan d’ensemble très satisfaisant.
Ces performances s’expliquent par la conjonction d’un environnement particulièrement favorable : croissance économique, bénéfices des entreprises bien orientés et persistance de faibles taux d’intérêt. Dans ces conditions, il y a peu d’alternatives plus intéressantes que les actions. Et aux Etats-Unis, où Wall Street a une fois de plus impressionné positivement, les perspectives de baisses d’impôts et de mesures de franchise fiscale sur le rapatriement des avoirs des entreprises détenus à l’étranger raisonnent comme un vrai choc de compétitivité administré au pays. Ce contexte favorable « risque » de se poursuivre : nous ne voyons en effet pas de signe de retournement à court terme. à Wall Street, le consensus des grands stratèges est ainsi positif. Selon une étude du journal Barron’s qui a recensé les prévisions de 8 sommités américaines, l’objectif de l’indice S&P 500 est de 2 840 points à la fin de 2018, soit une progression de 7 % par rapport aux niveaux actuels. Ceci correspond aux estimations de bénéfices attendus, donc cela signifie que la valorisation du marché restera peu ou prou identique. Et encore, ces prévisions pourraient être revues à la hausse si le programme de baisses d’impôts est adopté.
La meilleure performance de l’année, et qui fait désormais la « Une » de l’actualité presque chaque jour, est celle du « Bitcoin », avec plus de 1 500 % de progression. Les « crypto monnaies » seront un sujet d’actualité de plus en plus important au cours des prochains mois et il conviendra d’essayer d’en mesurer l’impact sur les marchés, et surtout sur la confiance globale. à partir du moment où il existe désormais des contrats « régulés » qui peuvent investir sur des instruments corrélés au « Bitcoin », des investisseurs financiers peuvent être tentés. Cette thématique est intéressante, même si nous nous garderons de donner un avis sur son évolution. Cela répond à un besoin de placement alternatif par rapport à des monnaies dont la crédibilité s’est érodée compte tenu des politiques monétaires menées ces dernières années. Le chemin de la reconnaissance officielle des « crypto monnaies » est encore long. Mais nous pensons que l’or, dont la valeur est reconnue depuis des milliers d’années, paraît en retard par rapport au gonflement des actifs observé cette année et peut couvrir un certain nombre de risques supplémentaires : reprise de l’inflation, baisse du dollar, géopolitique ? Après une année aussi « riche », la question qui se pose désormais est : « quid de 2018 » ?
Méfiance et sélectivité
Dans un environnement de croissance soutenue, les scénarios de déflation s’éloignent naturellement. Même si l’inflation reste modérée pour l’instant, il est quand même difficile d’imaginer une nouvelle baisse des taux d’intérêt dans le contexte actuel. Il reste donc le scénario de stabilisation ou de remontée des taux. Nous optons pour une voie mixte, à savoir une remontée très progressive des taux obligataires.
D’un point de vue économique, l’année 2018 s’annonce dans la lignée de 2017 : la croissance est solide, synchronisée et peu volatile, même s’il s’agit désormais d’un scénario consensuel et que les indices de « surprises » plafonnent. La croissance mondiale est attendue à 3,6 %. Aux Etats-Unis, la réforme fiscale attendue pourrait donner un surplus d’activité alors que le cycle est déjà bien avancé. Un taux de 2,5 % semble crédible, surtout si le plan de réformes fiscales est adopté. Cela prolongera l’un des plus longs cycles de croissance de l’histoire du pays, et tant pis s’il se fait au final par une aggravation des déficits et de la dette dans un premier temps. Les conséquences positives potentielles sont pour l’instant privilégiées par les marchés. La zone Euro « tourne » actuellement autour de 2,5 % de croissance, ce qui est exceptionnel et inattendu, surtout avec une bonne diffusion géographique et sectorielle, et de surcroît avec une reprise de l’investissement des entreprises qui semble solide. Les pays émergents poursuivent également leurs phases de reprise sans entraves particulières.
Dans ces conditions, 2018 devrait voir la fin du soutien massif des Banques Centrales qui vont, cette fois-ci, commencer réellement à infléchir leurs politiques très accommodantes. Le timing sera important pour les marchés et nous pensons que cette thématique commencera à impacter la psychologie des investisseurs plutôt à partir du second semestre. Pour ce qui est de la Reserve Fédérale, le chemin semble une fois de plus bien balisé : trois hausses des Fed Funds de 0,25 % durant l’année 2018 les porteront à un niveau inédit de 2 %/2,25 %, ce qui est bas pour une fin de cycle. La nomination de Jérôme Powel est pour l’instant perçue comme un non-événement. L’actualité de la Reserve Fédérale devra cependant être suivie attentivement : il y a encore plusieurs membres à nommer, ce qui pourrait changer la connotation globale et ce paramètre n’est pas dans le marché pour l’instant. La Fed s’emploie également à réduire son énorme bilan en cessant de réinvestir systématiquement les montants des obligations qui arrivent à échéance. La courbe américaine s’est naturellement aplatie compte tenu des perspectives sur les Fed Funds. Les taux ont donc effectivement montés en 2017, mais surtout sur la partie courte de la courbe : le 2 ans s’est ainsi tendu de 66 pb à près de 1,85 % alors que le 10 ans T-Notes restait stable autour de 2,4 % durant presque toute l’année, même si il y a eu quelques pointes vers 2,05 % ou 2,65 %. Nous pensons que la partie courte de la courbe des taux ne devrait pas trop bouger désormais et que les taux à 10 ans pourraient se situer autour de 3 % à la fin de l’année.
En zone Euro le marché directeur, l’Allemagne, est resté globale- ment stable. Nous notons sur l’année une tension légère de l’ordre de 15 pb sur le 10 ans qui se stabilise autour de 0,40 %. Les taux gouvernementaux de tous les autres pays périphériques se sont détendus dans ce climat d’amélioration généralisé, à commencer par les OAT françaises qui ont bénéficié de l’effet « Macron » et se stabilisent à 30 pb au-dessus de leurs homologues allemandes à 10 ans. Le cas le plus spectaculaire de ces mouvements concerne le Portugal : le 10 ans gouvernemental local a perdu près de 200 pb en relatif avec l’Allemagne et se situe en fin d’année à 1,90 %.
La BCE ne devrait pas modifier le niveau des taux directeurs dans les prochains 6/12 mois, et l’annonce d’une réduction de la politique d’achat de titres est déjà dans le marché. Dans ces conditions, il n’y a plus de potentiel de détente de spreads d’une façon générale, ni sur le gouvernemental, ni sur le crédit, qu’il soit « Investment Grade » ou « High Yield ». Nous avons commencé à voir sur le marché quelques titres trop endettés durement sanctionnés, ce qui illustre le fait que l’asymétrie de ces investissements est désormais « dans le mauvais sens ».
Il reste de la valeur sur la dette émergente en devises locales. Les flux internationaux se sont principalement portés ces dernières années sur la dette émise en devises fortes, et il y a actuellement un décalage. Nous pouvons actuellement construire des porte- feuilles investis uniquement en obligations gouvernementales d’une vingtaine de positions avec un rendement de plus de 8 % sur un horizon de près de 5 ans. Et les devises émergentes ramenées en euros ne sont pas très éloignées de leurs plus bas, ce qui peut donner un potentiel supplémentaire le cas échéant.
Nous aimons toujours les obligations convertibles, surtout européennes encore une fois, pour leur convexité intéressante aux niveaux actuels.
Les actions américaines, principal marché directeur, sont chères mais la dynamique est positive. Cette année encore, Wall Street a encore surpris avec une progression de près de 20 %, ce qui est presque deux fois celle des bénéfices des entreprises et tout le monde se pose la question de savoir si nous sommes dans une phase de bulle boursière : sur les 5 dernières années, la performance de l’indice S&P 500 est de près de 18 % en moyenne. La valorisation du marché dans son ensemble a en effet encore monté, et ce après presque 9 ans de marché haussier. Les bénéfices attendus en 2018 par indice S&P 500 s’étalent entre 145 et 150 dollars suivant l’adoption ou non d’un plan de réduction des impôts, ce qui donne un PER(1) 2018 autour de 18 sur les cours actuels. Le niveau absolu de valorisation n’a jamais donné de signal fiable de retournement de marché, et la faiblesse des taux d’intérêt peut justifier des valorisations plus élevées. Mais il est clair que le potentiel des actions américaines semble désormais limité. Nous pensons qu’elles pourraient progresser légèrement de l’ordre de 5 % sur l’année, compte tenu du contexte macroéconomique favorable et avec un scénario de hausse modérée des taux d’intérêt.
Les actions européennes devraient faire mieux. Elles sont désormais nettement moins chères (PER de l’ordre de 15), avec des progressions de bénéfices attendues à + 10 % également cette année et un rendement des dividendes significatif de plus de 3 %. Elles ont, à notre avis, un potentiel de progression de l’ordre de 10 % au cours des prochains mois et cette performance sera plutôt réalisée au cours du premier semestre selon nous.
Les actions émergentes ont bénéficié de flux d’investissements positifs cette année, particulièrement en provenance d’investisseurs américains qui étaient sous-pondérés en début d’année. Ces flux devraient se maintenir : il s’agit souvent de mouvements longs et les valorisations/perspectives des marchés émergents dans leur ensemble restent attractives.
Notre scénario central reste donc constructif : nous sommes dans un écosystème idéal pour les marchés d’actions et il convient d’en profiter sans arrière-pensée. Ce tableau, presque trop beau, nous incite cependant à nous interroger sur les facteurs de risque potentiels.
Quels sont les indicateurs à surveiller ?
Nous en voyons trois principaux :
1 – La Chine. Par sa taille et son imbrication dans le commerce mondial, ce pays est essentiel. Nous savons que, ces dernières années, une bulle de crédit s’est développée ainsi que sur certains segments du marché immobilier. Le pays est jusqu’à présent bien géré dans une optique de développement à long terme. Mais un dégonflement trop brutal et mal piloté serait de nature à impacter localement la confiance, avec des répercussions évidentes sur la croissance chinoise et, de fait, sur les autres pays. Les autorités sont conscientes de ce problème éventuel et devraient être en capacité de gérer correctement ce dégonflement : avec une croissance nominale de près de 10 %, un simple gel de la dette permet de résorber les excès assez rapidement. Mais ce n’est pas tout. Le « choc de compétitivité » décidé par Donald Trump et son programme de baisse des impôts pour les entreprises a fait largement écho en Chine, et une réponse est attendue. Il ne faudrait pas qu’elle se traduise par une baisse trop rapide du Yuan, la devise chinoise. Rappelons-nous que, durant l’été 2015, une baisse de 3 % du yuan en quelques séances avait déstabilisé l’ensemble des marchés : baisse des autres devises émergentes et correction boursière de près de 10 % des actions occidentales.
2 – Une erreur de politique monétaire et/ou le retour inattendu de l’inflation. En bref, un scénario de brusque hausse des taux. La question de l’inflation reste posée et Janet Yellen elle-même considère qu’il s’agit d’un « mystère ». Si, effectivement, il s’agit d’un indicateur retardé et que les prochaines statistiques montrent une accélération de l’inflation – ce qui est possible vu la tension sur le marché du travail – le processus de normalisation monétaire sera plus rapide, avec des conséquences potentiellement plus délicates sur les marchés obligataires. Dans ce cas, les marchés actions seraient affectés, surtout aux Etats-Unis où les valorisations sont élevées.
3 – Un phénomène purement financier « auto-réalisateur ». Il pourrait éventuelle- ment passer par un krach sur le « Bitcoin » qui affecterait la psychologie générale (sa taille de près de 200 Mds$ est trop faible pour peser réellement), ou par un emballement lié à l’utilisation massive de programmes d’allocation quantitatifs et de programmes automatiques de trading. L’indicateur à surveiller dans ce cas est la volatilité. Actuellement, elle se maintient à des niveaux très bas, en raison de « l’anesthésie » des marchés de taux opérée par les Banques Centrales, mais aussi parce que beaucoup d’intervenants (Hedge Funds) sont actuellement vendeurs structurels de volatilité. Une remontée brutale de l’indice VIX(2) provoquerait des réactions en chaîne, potentiellement dangereuses : si le VIX remonte, les investisseurs vont se dire que le risque remonte et donc vont avoir tendance à être prudents. Par ailleurs, de nombreux modèles quantitatifs d’allocation travaillent selon les régimes de volatilité. Un régime plus élevé signifie des porte- feuilles plus prudents, avec donc des ventes d’actifs risqués qui s’en suivent. Rappelons qu’il n’y a pas eu dans l’histoire récente de consolidation de plus de 10 % des actions américaines avec un niveau de VIX inférieur à 15 %.
Notre scénario central
Les scénarios de risque ne sont pas les plus probables. Il est de ce fait hasardeux de définir sa politique d’investissement en les surestimant. Les conditions financières et économiques restent très favorables, même si un certain nombre d’actifs commencent à être surévalués (crédit, actions américaines) et que ce scénario est très consensuel. Mais il semble clair et crédible. Les marchés actions devraient ainsi être encore bien orientés, surtout durant la première partie de l’année durant laquelle la thématique de la réduction des bilans des Banques Centrales ne devrait pas être le sujet majeur. Les actions européennes pour- raient bénéficier de leur « retard » par rapport aux actions américaines et un potentiel d’appréciation de l’ordre 10 % nous semble tout à fait possible.
NOTES
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net. Les chiffres cités ont trait aux années écoulées. Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures
- VIX : indicateur de volatilité américain, calculé en faisant la moyenne des volatilités sur les options d’achat et les options de vente, sur l’indice S&P 500.