par Eugénie Tenezakis, Chargée d’études à La Fabrique de l’industrie
Le retrait relatif de l’industrie manufacturière dans le PIB français, couplé à la forte couverture médiatique des fermetures d’usines (Whirlpool, Tupperware, GM&S…), nourrit à tort le sentiment que les travailleurs de l’industrie risquent davantage le chômage que ceux des autres secteurs. Pour mieux comprendre les phénomènes à l’œuvre, La Fabrique de l’industrie vient de publier une étude s’intéressant au parcours des individus licenciés à la suite de la fermeture de leur site de production, en France entre 1998 et 2010. Cette période est intéressante parce qu’elle a vu à la fois une accentuation de la mondialisation économique et, en parallèle, une poursuite de la désindustrialisation.
L’industrie est-elle un secteur plus vulnérable que les autres ? Pas si sûr. Certes, les destructions d’emploi ont été massives dans le secteur manufacturier ces dernières années (-755 000 emplois entre 1999 et 2013 ). Mais cette étude révèle que la probabilité de licenciement suite à une fermeture de site de production est plus faible pour les travailleurs de l’industrie que pour les travailleurs des autres secteurs, à caractéristiques égales. Si on s’intéresse aux trois grandes catégories d’emploi distinguées dans l’étude – l’emploi manufacturier, l’emploi dans les services exposés à la concurrence internationale et l’emploi dans les services abrités de la concurrence internationale – c’est cette dernière catégorie qui fait subir à ses salariés la probabilité de licenciement la plus forte. Autrement dit, la concurrence purement locale détruit plus d’emplois que la concurrence mondialisée. Ce résultat suggère que le repli de l’emploi industriel en France ne s’explique pas parce qu’on y fermerait plus d’entreprises qu’ailleurs, mais parce qu’on y crée moins d’emplois.
En revanche, les conséquences du licenciement sont plus lourdes pour les travailleurs de l’industrie : ils ont une probabilité plus faible de retrouver un emploi, connaissent une reconversion plus fréquente, souvent dans des emplois dits « de proximité », plus précaires, et ils subissent une baisse de leur rémunération plus importante dans leur nouvel emploi.
Source : Tenezakis, E., Frocrain, P. (2018) Parcours de travailleurs dans une économie mondialisée, Paris, Presses des Mines. Calcul des auteurs à partir du panel DADS, INSEE.
L’étude met en avant deux explications à ces difficultés spécifiques au secteur manufacturier : la concentration géographique des activités manufacturières d’une part et la spécificité des compétences industrielles d’autre part. La première rend plus difficile ou plus coûteux de retrouver un emploi dans la même activité, en raison de la distance séparant les sites de production. Les individus licenciés de l’industrie doivent alors, plus souvent que les autres, choisir entre changer de région et changer de secteur, ce qui représente toujours un coût et freine le retour à l’emploi. La spécificité des compétences industrielles, quant à elle, fait que ces dernières sont moins transférables et aggrave les pertes salariales en cas d’emploi dans un nouveau secteur.
Ces résultats confirment la nécessité d’améliorer les politiques de formation pour permettre aux individus licenciés de l’industrie de retrouver plus facilement un emploi dans les activités en croissance. Il faut noter en effet que, dans les services exposés à la concurrence internationale (développement logiciel, finance…), les créations d’emplois ont quasiment compensé les destructions d’emplois manufacturiers ces dernières années. Une telle approche ne serait cependant pas suffisante. Il serait même risqué de plonger dans le « tout services » en oubliant que certains services à haute valeur ajoutée, précisément parce qu’ils sont intégrés au processus de production, dépendent d’une base industrielle forte. Il y a en outre un enjeu de cohésion sociale à maintenir une base productive sur notre sol. En effet, les emplois des services exposés sont très inégalement distribués sur le territoire et ne profitent qu’à un nombre restreint de bassins d’emplois, et surtout aux métropoles. Renoncer au développement des emplois manufacturiers reviendrait donc à abandonner certains territoires. De même, les emplois les services exposés sont majoritairement occupés par des travailleurs qualifiés, excluant de fait une partie de la population. C’est pourquoi il est nécessaire que l’activité industrielle se maintienne en France, particulièrement dans les secteurs où la concurrence se fait non sur les coûts mais sur la qualité.
Se pose enfin la question de l’incitation à la mobilité géographique. Puisque la concentration de la production manufacturière entraîne une concentration des compétences sur certains territoires, elle peut en partie expliquer les difficultés de recrutement auxquelles font face les entreprises industrielles aujourd’hui. Une politique sachant inciter les individus à se diriger vers les industries et les territoires en croissance aiderait à résorber les déséquilibres sur le marché de l’emploi.
NOTE
Frocrain, P., Giraud, P.N. (2016) Dynamique des emplois exposés et abrités en France, Paris, Presses des Mines.
Retrouvez l’étude « Parcours de travailleurs dans une économie mondialisée » de La Fabrique de l’industrie