par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis
Le sentiment de soulagement concernant la situation économique et qui est visible sur les marchés financiers vient de la fin de la première phase aiguë de la crise caractérisée par la crise bancaire, la chute des postes de la demande liés au crédit (biens durables des ménages, stocks, investissement, donc commerce mondial).
Mais nous pensons qu’une seconde vague de la crise s’annonce avec un ensemble de facteurs défavorables aux ménages en 2010 : le maintient de primes de risque élevées sur les crédits, associées à la poursuite de la hausse des défauts ; le rétablissement de la profitabilité des entreprises, impliquant le redressement de la productivité donc la poursuite des baisses d’emplois, ainsi que le freinage des salaires ; l’accélération des délocalisations, les entreprises devant compenser par la baisse des coûts de production la baisse des prix impliquée par le recul de la demande ; la remontée des prix des matières premières tirée soit par la croissance mondiale, soit par la spéculation et l’excès de liquidité ; l’impossibilité de passer à des politiques économiques plus expansionnistes.
La faiblesse très probable de la consommation pourrait donc faire replonger les économies en 2010.
1 – La première phase de la crise s’achève
Dans la première phase de la crise (été 2007 – printemps 2009), la chute de l’activité est venue essentiellement du début du processus de désendettement du secteur privé. Le retournement à la baisse des prix de l’immobilier a fait apparaître l’insolvabilité des emprunteurs les plus fragiles, d’où le recul des ventes de maisons et de la construction résidentielle. La chute des prix des actifs liés aux crédits immobiliers a ensuite déclenché la crise bancaire, qui atteint un paroxisme après la faillite de Lehman : les marchés interbancaires arrêtent alors de fonctionner, les banques contractent l’offre de crédit et il en suit l’effondrement des postes de la demande liés au crédit : immobilier, biens durables des ménages (autos) stocks, investissement des entreprises. Le commerce mondial est aussi violemment affecté soit par le recul du crédit à l’exportation, soit parce qu’il consiste essentiellement en biens liés au crédit, ce qui transmet la crise à tous les pays. Enfin, la très forte aversion pour le risque amplifie la crise, au travers de la chute de la valeur des actifs et des retraits de capitaux depuis les pays émergents qui provoquent la violente dépréciation du change de ces pays et le recul induit de la demande avec la dégradation des termes de l’échange.
2 – Stabilisation de l’économie après cette crise aiguë
Cette première phase aiguë de la crise est aujourd’hui terminée, ce qui génère le sentiment de soulagement, visible sur les marchés financiers. Les banques centrales par les injections de liquidités ont restauré le fonctionnement normal des marchés interbancaires, les conditions du crédit deviennent moins restrictives, surtout en Europe ; on envisage une reprise des achats d’immobiliers avec la baisse des prix et la fin du déstockage. Mais il ne faut pas pour autant devenir exagérément optimistes car apparaît devant nous la seconde phase de la crise, qui est la crise de la consommation des ménages. De multiples facteurs deviennent en effet défavorables aux consommateurs à la fin de 2009 et en 2010.
3 – De multiples facteurs défavorables au consommateur
Même si les conditions du crédit bancaire deviennent moins restrictives, les primes de risque (les marges de taux d’intérêt) sur les crédits sont plus élevées que dans le passé, les banques sont plus prudentes ; surtout au niveau d’endettement des ménages atteint, qui a provoqué l’apparition dans beaucoup de pays (Etats-Unis, Espagne…) de taux de défaut très élevés, les ménages n’ont plus la capacité de s’endetter davantage.
Le marché du travail va continuer à se dégrader ; l’ajustement de l’emploi est loin d’être terminé surtout en Europe : la productivité est 3 points en dessous de son niveau normal aux Etats-Unis ; 6 points dans la zone euro et au Royaume-Uni. Ceci veut dire que le taux de chômage va continuer à augmenter et en conséquence les salaires à ralentir.
La crise provoque l’accélération des délocalisations par un mécanisme simple : la chute de la demande impose une baisse des prix et pour rétablir leur profitabilité antérieure les entreprises doivent réduire leurs coûts de production, d’où un outsourcing massif vers les pays émergents à coûts salariaux faibles. Le résultat peut être impressionnant : en France par exemple, les ventes de voitures ont augmenté de 4 % sur un an, la production nationale de voitures a baissé de 23 %, le même phénomène s’observe en Allemagne.
Le pouvoir d’achat des ménages est ainsi entamé par les pertes d’emplois et de salaires, et la capacité à dépenser des ménages ne peut plus être soutenue par le crédit. La perspective pour la consommation est donc très mauvaise, d’autant plus que les facteurs qui la soutiennent en 2009 vont disparaître.
La baisse des prix des matières premières entre 2008 et 2009 va être remplacée par une hausse des prix des matières premières entre 2009 et 2010. Dans certains cas, cette hausse résulte de la progression de la demande dans les pays émergents (consommation de métaux, de charbon…, en Chine par exemple), mais dans d’autres cas, en particuliers dans celui du pétrole, il s’agit d’une conséquence de l’énorme liquidité créée par les banques centrales, qui finance le stockage spéculatif apparu à partir de la fin de 2008.
Enfin, les politiques budgétaires très expansionnistes qui soutiennent la demande des ménages depuis le 2éme trimestre 2009 (baisses d’impôts et de charges sociales, primes à l’achat de voitures aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, en Espagne) ne pourront pas être encore amplifiées en 2010 ; au contraire, certaines de leurs composantes (prime à la casse pour les voitures) vont disparaître.
4 – La consommation résistait mieux que le PIB, elle devrait maintenant tirer le PIB à la baisse.
Dans pratiquement tous les pays (sauf l’Espagne et le Japon) la consommation a beaucoup moins reculé que le PIB (que les revenus) depuis le début de la crise.
Nous pensons que c’est maintenant au contraire une crise de la consommation qui va apparaître et remplacer la crise des banques et du crédit.