par Elsa Dargent, Inna Mufteeva et Marie-Pierre Ripert, économistes chez Natixis
Obama s’adresse au Congrès demain afin de défendre son projet de réforme du système de santé américain. Le principal objectif de la réforme est de créer une couverture maladie universelle. Or depuis sa publication en juillet, le projet de loi HR 3200, America’s Affordable Choices Act fait l’objet de nombreuses attaques de la part des républicains mais également de certains démocrates (blue dogs).
Plusieurs points de la réforme sont au centre des débats : le caractère obligatoire de l’adhésion au système de santé, la création d’un plan public d’assurance qui viendrait concurrencer les plans privés, le coût de la réforme (1.042Md$ sur 10 ans) et son financement (via notamment des hausses d’impôts).
Nous revenons dans ce papier sur les différents points de la réforme et ses implications. En particulier, si le plan Obama a le mérite de permettre d’améliorer la couverture maladie et d’être quasiment autofinancé, il ne répond pas vraiment au problème structurel de financement du système de santé à long-terme et il est loin d’être sûr qu’il permette une réduction significative du coût de la santé.
1- Les grandes caractéristiques du système de santé américain
Le système de santé américain montre trois principaux problèmes :
- Il n’y a pas de couverture maladie universelle, 15% de la population n’est pas couverte.
- Le coût de la santé est très important : les dépenses de santé sont beaucoup plus élevées que dans les autres pays développés.
- Avec le vieillissement de la population, le système actuel n’est pas viable à long-terme.
La réforme proposée par Obama vise principalement à pallier le premier problème, celui de l’absence de couverture maladie universelle mais ne répond pas aux deux autres problèmes.
L’absence de couverture maladie universelle
D’après la dernière estimation du Census Bureau (2007), le pourcentage de non-assurés (personnes ne bénéficiant d’aucune assurance santé publique ou privée) a légèrement diminué, il se situe néanmoins à 15,3% soit 45,7 millions d’Américains1.
Il existe cependant un système d’assurance publique (principalement Medicare et Medicaid) mais il est réservé à certains groupes sociaux :
- Medicare couvre les personnes âgées (65 ans et plus) et certains handicapés ayant travaillé.
- Medicaid est géré au niveau des états, en conséquence les conditions d’éligibilité peuvent varier d’un état à l’autre. En règle générale ce programme est destiné aux nécessiteux : femmes enceintes et enfants de moins de 6 ans de familles vivant sous 133% du seuil de pauvreté, enfants de 6 à 19 ans de familles sous le seuil de pauvreté… Certaines personnes qui ne répondent pas aux critères de revenu (étudiants, personnes âgées de 65 ans et plus, aveugles, handicapés).
- State Children Health Insurance Program (SCHIP) pour les enfants (19 ans et moins) de familles modestes mais non éligibles au Medicaid (revenu sous 200% du seuil de pauvreté). De la même manière, les critères varient en fonction des états.
- La Veteran Health Administration fournit directement des soins aux vétérans de l’armée américaine à travers un réseau d’hôpitaux publics, les membres actifs de l’armée, retraités et leurs familles bénéficient du programme TRICARE.
Le gouvernement américain est le premier assureur national mais il n’assure que 28% de la population (tableau 1).
Parmi les assurés (253,4 millions en 2007), 202 millions le sont par une assurance privée et 83 millions par un programme public (les deux types d’assurance ne sont pas exclusifs, une personne peut être couverte par plusieurs plans). Les grandes entreprises fournissent une assurance santé à leurs employés : 60% de la population est couverte par une telle assurance. Contrairement aux salaires, les « benefits » ne sont pas imposables.
Le Système hospitalier est divisé entre hôpitaux publics, hôpitaux gérés comme organisations à but non-lucratif (non-profit) et for-profit (cliniques privés avec un actionnariat).
Un coût de la santé très élevé
Le système de santé américain est particulièrement coûteux mais n’est pas considéré comme plus performant que ceux des autres pays développés. Les dépenses de santé en % du PIB sont nettement plus élevées que dans les autres pays développés : 16% contre seulement 10% dans les pays d’Europe continentale (tableau 2).
Le financement du système de santé américain est particulier et combine des plans d’épargne avec une police d’assurance qui ne paye que pour les besoins les plus graves. La prime payée par les assurés est donc minorée mais en contrepartie, le patient doit épargner sur un plan (HSA, HRA ou autres).
L’assurance fonctionne sur un certain réseau de fournisseurs de soins.
Soins impayés (uncompensated care) : en 2008, les hôpitaux ont dispensé des soins gratuitement (non payés par le patient ou une tierce partie) avec un coût de 35Md$. Ceux-ci disparaitraient totalement avec la couverture universelle.
La non-viabilité du système actuel à long-terme
A long-terme, l’augmentation des coûts et le vieillissement de la population vont peser sur les dépenses de santé.
En 2009 les dépenses fédérales nettes Medicare/Medicaid représentent approximativement 5% du PIB. Cette part va augmenter dans les prochaines années sous le double effet du vieillissement de la population et de l’augmentation des dépenses de santé à un rythme supérieur au taux de croissance du PIB. A horizon 2035 le coût net de Medicare/Medicaid pourrait atteindre 10% du PIB.
Les dépenses liées à Medicare/Medicaid2 se montent à 700Md$ (Medicaid : 425Md$, Medicare : 262Md$), l’exemption de taxes sur les primes des assurances d’entreprise (dépenses indirectes) coûte plus de 250Md$.
2- Les grandes lignes de la réforme3 d’Obama
Quelles sont les principales caractéristiques de la réforme ?
Le projet de loi actuel (HR 3200) propose de :
- rendre obligatoire l’assurance maladie,
- étendre l’éligibilité au Medicaid,
- établir un marché de l’assurance régulé par les états ou l’Etat Fédéral pour permettre aux individus et aux petites entreprises d’acheter une couverture subventionnée.
Le marché de l’assurance proposerait des plans privés mais également des plans publics avec paiement de pénalités par les individus non assurés et les entreprises qui ne fournissent pas d’assurance. Les ménages les plus pauvres ainsi que les petites entreprises seraient subventionnées. La mise en place de ce marché avec des plans publics permettrait théoriquement de réduire les coûts.
Ces propositions devraient logiquement étendre significativement le nombre d’assurés. Le CBO a estimé que d’ici à 2019, il n’y aurait plus que 17 millions de jeunes résidents aux Etats-Unis sans assurance (dont la moitié des résidents sans papiers).
Quel est le coût de la réforme ?
Le coût budgétaire de l’extension de la couverture médicale est évalué à 1042Md$ (7% du PIB) sur la période de 2010 à 2019.
Le coût principal de la réforme consistera à subventionner les personnes qui n’ont pas les moyens de s’assurer.
Le financement du projet de loi actuellement en discussion au Congrès est différent du financement du projet initial proposé par Obama. Ce dernier était quasiment autofinancé ce qui est également le cas du projet de loi en cours mais la structure de financement était quelque peu différente (635Md$ en économies sur la santé dont 281Md$ de baisses de dépenses, 326Md$ en hausses d’impôt).
La réforme sera quasiment financée par des baisses de dépenses et par des hausses d’impôts :
- Baisse de dépenses pour les programmes Medicare et Medicaid (abaissement des paiements pour les hôpitaux, les médicaments,…) à hauteur de 450Md$ sur 10 ans.
Hausse des impôts, principalement via une augmentation de l’impôt sur le revenu pour ceux gagnant plus de 350K et plus marginalement via une hausse de l’impôt payé par certaines entreprises. Cela rapporterait 590Md$.
La réforme coûterait cependant 239Md$ sur 10 ans d’après le CBO si l’on inclut les dépenses prévues pour arrêter les coupes de paiements (Medicare) pour les médecins. Cet arrêt des coupes est reconduit tous les ans depuis 2003 et aurait de toute façon eu lieu sans la réforme.
Selon le modèle de diffusion des dépenses, à moyen terme l’impact annuel est quasi-nul jusqu’en 2013 du fait des délais de mise en place. L’effet sur le déficit serait concentré sur la période 2013-2019 et aurait tendance à augmenter ce qui est probablement le point le plus inquiétant.
La presse a relayé les informations relatives aux compromis passés par les lobbies des principaux acteurs privés du système de santé. L’industrie pharmaceutique aurait accepté de réduire les coûts des médicaments de Medicare de 80Md$ sur 10 ans. Les hôpitaux chercheraient également à limiter l’impact sur leur budget à 150/170Md$ (WSJ).
Quelles implications pour les entreprises ?
Les entreprises sont actuellement les principaux pourvoyeurs de couverture maladie (tableau 1).
La réforme aurait plusieurs conséquences pour elles :
- La couverture maladie serait obligatoire dans les grandes entreprises. Si certaines ne souhaitent pas la mettre en place, elles seront obligées de payer des pénalités (système de « pay or play »).
- En revanche, les petites entreprises seraient subventionnées pour permettre d’offrir la couverture maladie.
- Les entreprises auraient le choix entre des assurances privées ou publiques. Or les assurances publiques pratiqueront des coûts plus faibles que ceux des assurances privées.
Quels sont les principaux points de désaccord ?
Le projet de réforme a rencontré non seulement des attaques de la part des républicains (ce qui n’est guère étonnant) mais également de la part des démocrates les plus conservateurs (blue dog democrats), partisans de la rigueur budgétaire.
- L’un des principaux points de polémique est la création de plans d’assurance publics en concurrence avec les plans privés. Certains mettent en avant que cela aurait pour conséquence d’augmenter les coûts pour les ménages déjà assurés. Par ailleurs, l’extension de la couverture maladie conduirait à des dépenses par tête plus importantes et pourrait provoquer une hausse des prix de la santé.
- Le coût de la réforme malgré sa neutralité budgétaire sur 10 ans. Certains démocrates auraient préféré que les mesures pour financer la réforme servent plutôt à réduire le déficit public. Par ailleurs, d’après le CBO, il est loin d’être évident que la réforme conduise à des réductions de dépenses de santé.
Il semble que la loi pourrait passer à la chambre des représentants mais aurait des difficultés à passer au Sénat. Les démocrates du Sénat pourraient utiliser la procédure de « réconciliation » qui leur permettrait d’adopter la loi avec une majorité de 50 voix
Conclusion
La réforme devrait permettre le développement d’une couverture universelle aux Etats-Unis, après l’échec de plusieurs tentatives par le passé (Roosevelt, Clinton). Malgré la majorité démocrate au Congrès, le lobbying et l’influence des « Blue Dogs » ont freiné le processus législatif au point de le remettre à la rentrée du Congrès. De notre point de vue, si la réforme est adoptée, il est probable qu’elle ne réponde pas plus aux problèmes structurels de non viabilité du système de santé américain à long terme. Par ailleurs, l’effort fait pour juguler les coûts de la santé semble marginal.
NOTES
- U.S. Census Bureau, Current Population Survey, 1988 to 2008 Annual Social and Economic Supplements,
- OMB, Budget 2010,
- House Committee on Ways and Means, 14 Juillet 2009.